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Omar Hilale : Chaque fois que le Sud est uni, il impose sa volonté (The Atlantic Dialogues)

Réunis à Rabat dans le cadre de la conférence «Southfulness and the Future of Multilateralism», des diplomates, des experts et des intellectuels ont débattu du rôle croissant du Sud global dans un monde marqué par les inégalités et les tensions géopolitiques. Portée par le Policy Center for the New South, dans le cadre de la 13e édition de «The Atlantic Dialogues», cette rencontre a exploré les moyens pour ces nations de redéfinir leur place dans la gouvernance mondiale et de promouvoir des modèles plus équitables et inclusifs.

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«Le Sud est pluriel et pourtant uni dans son appel à plus de justice et d’égalité.» C’est ainsi qu’a résumé Omar Hilale, représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies, l’enjeu central de l’événement «Southfulness and the Future of Multilateralism», organisé par le Policy Center for the New South dans le cadre de la 13e édition de «The Atlantic Dialogues», ce 13 décembre 2024 au sein de l’UM6P à Rabat. Cet événement, qui a réunis diplomates, intellectuels et experts, a exploré la montée en puissance du Sud global face à des institutions multilatérales souvent critiquées pour leur manque d’équité et constitué une occasion de réflexion sur la manière dont les pays du Sud, avec leur diversité et leur poids croissant, pourraient s’unir pour influencer les décisions mondiales.

Ainsi, le représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies a souligné la diversité et la complexité du Sud global, souvent perçu à tort comme une entité homogène. Il a également abordé les disparités économiques et les tensions géopolitiques qui traversent ces régions, soulignant que «le Sud représente près de 85% de la population mondiale et 50% du PIB mondial. Pourtant, les inégalités persistent, non seulement entre le Nord et le Sud, mais aussi au sein même du Sud.» M. Hilale a également alerté que «sur les 56 conflits recensés dans le monde, 54 se déroulent dans le Sud». Une réalité qui, selon lui, reflète le rôle prépondérant du Sud dans l’agenda du Conseil de sécurité des Nations unies, souvent centré sur la résolution de crises dans ces régions.



Omar Hilale a également dénoncé les inégalités criantes dans la gestion des grands enjeux mondiaux, notamment en matière de climat. Lors de la COP29 à titre d’exemple, les 197 parties à la Conférence sur le climat des Nations unies se sont accordées sur une aide financière de 300 milliards de dollars, destinée aux pays du Sud pour soutenir leur transition climatique. Il a cependant critiqué cet accord, affirmant qu’il ne répondait pas aux attentes des pays en développement, particulièrement celles des îles du Pacifique, gravement menacées par la montée des eaux. «Toutes les discussions portent sur la collecte de fonds pour aider les pays du Sud, mais ces propositions ne sont ni équitables ni à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés» a-t-il déclaré. Ainsi, M. Hilale a critiqué l’iniquité persistante entre un Nord, principal émetteur de carbone, et un Sud, principale victime. «Nous ne pouvons pas accepter des propositions qui ne rendent pas justice. Ce déséquilibre alimente une révolution, un appel à réduire les inégalités et à respecter les règles.» L’ambassadeur du Maroc a également souligné l’importance de rétablir le respect des normes internationales, en pointant les conflits actuels comme la guerre sur Gaza ou la guerre en Ukraine, qui illustrent selon lui «le non-respect des règles par les grandes puissances.»

Cependant, malgré ces défis, le diplomate marocain voit dans le Sud une puissance politique capable de peser sur les grandes décisions internationales. «Chaque fois que le Sud se montre uni et transcende ses divergences idéologiques, il peut imposer sa volonté et contribuer à la réforme des Nations unies. Il peut aussi influencer certaines décisions des agences internationales.» Par ailleurs, «les richesses du Sud, particulièrement les minéraux rares, peuvent, si elles sont exploitées de manière équitable, devenir le moteur du développement mondial. Le Sud est un appel à la diversité, au dialogue et à une vision d’espoir.»

La fracture entre démocratie et dictature

De son côté, Jacques Attali, écrivain et futurologue, a remis en question la pertinence du terme «Southfulness», le qualifiant de «démodé» et «totalement vide de sens». «Le terme “Sud” n’a plus de raison d’être. Il y a des Suds très différents, tout comme il y a du Nord dans le Sud et du Sud dans le Nord», a-t-il expliqué, en référence aux élites qui prospèrent dans le Sud, tout comme aux populations défavorisées du Nord. Pour lui, la distinction pertinente aujourd’hui n’est plus entre le Nord et le Sud, mais entre les démocraties, les dictatures et les zones de transition. M. Attali a également abordé le «déclin relatif» de l’empire américain, qu’il compare à celui de l’Empire romain. «Quand l’Empire romain a commencé à décliner, il restait la première puissance mondiale. Pourtant, son idéologie et son mode de vie ont fini par s’imposer à tous, y compris à ceux qu’il qualifiait de “barbares”. C’est ce qui se passe aujourd’hui : le Sud vit à la manière du Nord. L’idéologie de l’Occident, tel que l’individualisme, le modèle familial, la démocratie... s’est répandue partout. Le monde est devenu occidental.»

Pour Jacques Attali, cette occidentalisation globale a établi une nouvelle ligne de fracture, non plus géographique mais idéologique. In fine, M. Attali a appelé à une réforme des institutions internationales et à une reconnaissance des nouvelles réalités géopolitiques. «Le monde ne peut plus fonctionner sur des distinctions obsolètes entre le Nord et le Sud. Il faut s’attacher à reconstruire un ordre mondial basé sur la légitimité démocratique et l’inclusion de toutes les nations, en respectant les transitions en cours» recommande-t-il.

Des modèles injustes

Selon Erika Mouynes, ancienne ministre des Affaires étrangères du Panama, «les systèmes actuels de gouvernance internationale ne sont ni équitables ni justes. Cependant, nous devons montrer qu’il existe de l’espoir et mettre en avant les aspects positifs», a-t-elle affirmé. Pour Mme Mouynes, l’émergence du Sud passe également par une meilleure inclusion des jeunes dans les débats internationaux. Revenant sur l’impact culturel du Nord, elle a invité à valoriser davantage les ressources et les compétences issues du Sud. «Nous sommes nombreux à ressentir une certaine saturation face à l’omniprésence de marques comme McDonald’s ou Starbucks. Les nouvelles générations recherchent des nouveautés, des idées émergentes provenant des pays du Sud. Par exemple, pourquoi ne pas promouvoir une chaîne de café du Panama ici au Maroc ?»

Pour une gouvernance mondiale plus inclusive

Pour sa part, Ana Palacio, ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Espagne, elle pense «le concept de “Sud” doit être vu dans sa pluralité et sa richesse. Nous devons aller au-delà des cadres traditionnels et repenser ce qu’il signifie dans un monde globalisé», a-t-elle affirmé. L’ancienne ministre a également souligné l’importance de réformer certaines institutions comme la Banque mondiale et le FMI : «Il ne s’agit pas seulement d’accorder une plus grande place à l’Afrique ou à d’autres régions dans ces institutions. C’est l’approche même de ces organisations qu’il faut repenser.» Ana Palacio a conclu son intervention en soulignant la nécessité de préserver et de réformer les règles du jeu international : «Les règles ne sont pas obsolètes, mais elles doivent être modifiées pour refléter la diversité et l’inclusion. C’est là que réside l’avenir d’une gouvernance mondiale juste et durable.»
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