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Ordre des médecins : Élections gelées, une crise secoue le corps médical

Depuis trois ans, le processus électoral au sein du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) et des Conseils régionaux (CROM) est à l’arrêt. Ce blocage prolongé, inédit dans l’histoire de la profession, alimente des tensions croissantes entre syndicats, nourrit un climat de méfiance et pose une question centrale : celle de la légitimité des instances ordinales, censées représenter l’ensemble du corps médical. La situation intervient dans un contexte particulièrement sensible, marqué par une profonde réforme du système de santé impulsée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans le cadre du chantier de la généralisation de la protection sociale.

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Le Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL), par la voix de son président. Dr Ahmed Benboujida, a choisi de rompre le silence. Dans un communiqué en date du 30 juillet, il alerte sur «un déficit de légitimité croissant» et appelle au strict respect du cadre légal, tout en plaidant pour une revalorisation du rôle des praticiens libéraux dans la gouvernance sanitaire. Cette prise de position, si elle a trouvé un écho dans une partie du corps médical, a aussi suscité réserves et critiques de la part d’autres organisations syndicales.

Un blocage électoral jugé illégal par le SNMSL

Pour le SNMSL, les faits sont simples et préoccupants. Selon la loi 08-12, la durée des mandats au sein du CNOM et des CROM est fixée à quatre ans. Or plus de deux années se sont écoulées depuis la fin légale du dernier mandat, sans qu’aucune élection n’ait été convoquée. «Le gel prolongé du processus électoral contrevient aux dispositions explicites de la loi. L’absence de convocation des scrutins est injustifiable et constitue une entorse grave au bon fonctionnement des institutions ordinales», dénonce le communiqué du syndicat.

Pour le Dr Benboujida, ce silence équivaut à un déni institutionnel. Les organes de représentation ne peuvent prétendre à l’autorité morale s’ils ne sont pas issus d’un processus régulier, transparent et conforme au droit. Il souligne que cette paralysie ne compromet pas seulement la légitimité des instances, mais fragilise la confiance des professionnels envers leurs représentants.

La polémique autour d’une instruction du Chef du gouvernement

L’un des points les plus sensibles est l’explication avancée par le président du CNOM. Selon le SNMSL, celui-ci aurait justifié le report des élections par une instruction venue du département Chef du gouvernement. Le syndicat rejette cette version, estimant qu’il s’agit d’une ingérence inacceptable dans les affaires ordinales. «La loi 08-12 confère aux seules instances ordinales, et notamment à la présidence du CNOM, la compétence pleine et entière pour organiser les scrutins en fin de mandat. La Chefferie du gouvernement n’a ni autorité juridique ni vocation à suspendre une échéance électorale de nature professionnelle. Ce glissement est dangereux et juridiquement infondé», insiste Dr Benboujida.

Plus troublant encore, le département du Chef du gouvernement a diffusé un communiqué précisant que cette recommandation de surseoir aurait été formulée... à la demande du président du CNOM lui-même, souligne notre interlocuteur. «Face à ce flou, nous avons publié il y a environ un mois un communiqué appelant à des éclaircissements officiels. À ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse, ni du CNOM ni des autorités concernées», ajoute le président du SNMSL.

Une prise de parole hors du cadre intersyndical

Cette sortie médiatique a été faite en dehors de la charte intersyndicale signée avec trois autres organisations représentatives du secteur libéral : le Collège syndical national des médecins spécialistes privés (CSNMSP), le Syndicat national des médecins généralistes (SNMG) et l’Association nationale des cliniques privées (ANCP). Pour certains, il s’agit d’un manquement à l’engagement de concertation préalable fixé par cette charte. Pour le Dr Benboujida, c’est un acte de responsabilité : «Le gel prolongé des élections ordinales crée une situation de blocage institutionnel sans précédent. Face à cette impasse, il était de notre devoir de prendre la parole, même en dehors d’une action collective, pour alerter sur la gravité de la situation.» Il affirme que des discussions sont en cours avec les autres signataires, mais que la pression de la base impose une réaction rapide pour répondre aux interrogations.

Une représentativité libérale jugée insuffisante

Au-delà de la crise électorale, le SNMSL dénonce une marginalisation plus structurelle du secteur libéral dans la réforme sanitaire. Alors que les praticiens libéraux assurent plus de 70% des actes médicaux à l’échelle nationale, leur voix reste quasiment absente des principales instances de pilotage, telles que la Haute Autorité de la santé ou les Groupements sanitaires territoriaux. Autre sujet de tension : l’opacité autour des amendements en cours de la loi 08-12. «Nous avons demandé au président du CNOM de nous communiquer les propositions d’amendement. Ce refus d’information est incompréhensible, d’autant que ces amendements engagent directement l’avenir du secteur privé.»

Réformer le mode de scrutin

Le syndicat plaide pour une réforme du système électoral ordinal, jugé inéquitable. Le vote croisé entre médecins du public et du privé aboutirait à une représentation déséquilibrée, selon le SNMSL. «Les intérêts des médecins du public et du privé ne sont pas toujours alignés. Nous demandons un scrutin sectoriel pour garantir une juste représentativité.» Pour avancer dans cette direction, le SNMSL prévoit d’organiser en septembre une réunion nationale élargie rassemblant les praticiens libéraux des douze régions du Royaume. Objectif : élaborer une feuille de route commune, définir les priorités collectives et réorganiser la représentation régionale autour d’une vision stratégique partagée.

La fracture syndicale : divergences de méthode, pas d’objectifs

La publication du communiqué du SNMSL a suscité des réserves chez ses partenaires syndicaux. Le Dr Saâd Agoumi, président fondateur du CSNMSP, nuance toutefois la portée de ce désaccord : «Le SNMSL s’est écarté de l’esprit de la charte, mais il n’y a pas de divergence de fond sur les objectifs syndicaux. Ce sont les approches et les rythmes d’action qui diffèrent.» Pour ces organisations, l’essentiel est de préserver l’unité et la confiance du corps médical, en privilégiant le dialogue et une stratégie commune.

Une lecture stratégique du gel

À l’opposé du discours syndical, l’expert en politique et économie de la santé Jaafar Heikel défend une interprétation stratégique du gel. Selon lui, le Chef du gouvernement a demandé de surseoir aux élections pour harmoniser les textes de loi avec la réforme en cours : «Il ne s’agit ni d’une annulation ni d’un report arbitraire, mais d’un délai nécessaire à l’harmonisation. La réforme est globale, systémique, et nécessite que l’Ordre soit pleinement aligné avec les nouvelles exigences de gouvernance.» L’expert insiste sur le rôle futur du CNOM comme acteur clé de la cartographie des soins, de l’élaboration de l’offre territoriale et de la régulation éthique de la pratique médicale.

Une crise aux résonances profondes

Derrière ce différend, ce sont la légitimité des instances, la reconnaissance du secteur libéral et la capacité du système à garantir une représentativité crédible qui sont en jeu. Tous s’accordent sur un point : la santé publique ne peut être régulée durablement sans des institutions élues, crédibles et porteuses d’un mandat clair.
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