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Pénurie d’eau : Il faut juguler la demande liée à l’intensification agricole (Sraïri)

Pour faire face à la pénurie d’eau désormais structurelle au Maroc, les départements concernés agissent pour augmenter l’offre de ressources en eau, notamment en ayant recours aux eaux non conventionnelles. Mais pour Taher Sraïri, enseignant chercheur à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II, il y a une adéquation à établir entre l’offre et la demande, et il faut infléchir le niveau de cette dernière qui s’est très développée sous l’effet de l’intensification agricole.

L’offre en eau au Maroc a nettement baissé, pendant que la demande augmentait, et cette augmentation se comprend facilement : elle est due à une substitution rampante aux activités agricoles traditionnellement pluviales qui faisaient la réputation du Maroc (cultures céréalières, cultures de légumineuses et élevage) des activités agricoles requérant l’irrigation, notamment l’arboriculture et le maraîchage intensifs, dans une logique de maintien de l’exportations et dans des schémas totalement dépassés aujourd’hui.



C’est ce qu’affirme M. Sraïri, qui en donne pour preuve «les signaux que la nature nous a immédiatement envoyés». «Nous ne pouvons plus continuer à mobiliser des volumes d’eau dont nous ne disposons plus pour une agriculture en grande partie destinée à l’exportation», affirme-t-il.

Les lâchers d’eau doivent être réduits dans les périmètres de grande hydraulique

«Nous pouvons certes mobiliser l’eau, en particulier celle provenant de ressources non conventionnelles comme le dessalement, mais si la demande n’est pas jugulée, nous ne résoudrons pas l’équation», indique l’enseignant chercheur. Et malheureusement, constate-t-il, «aujourd’hui, nous le voyons pertinemment : c’est l’augmentation effrénée de la demande qui nous conduit, en partie parce qu’il y a aussi l’effet du changement climatique, au problème que nous vivons». Si on veut garantir les 10 à 15% d’eau mobilisées pour les usages anthropiques dans les villes, indique cet expert, «il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir que de réduire les lâchers d’eau dans les périmètres de grande hydraulique, là où prédomine encore de l’agriculture irriguée».

La pénurie d’eau se répercute directement sur les revenus des agriculteurs

Un autre inconvénient de cette pénurie d’eau, rappelle M. Sraïri, tient à son incidence directe sur les revenus des agriculteurs, surtout dans les périmètres irrigués, car «s’ils en viennent à ne plus irriguer et à dépendre de l’eau pluviale, et au vu de ce que nous vivons comme effet cumulé de cinq années de sécheresse, le monde rural se trouve à présent dans une grande détresse», et cela vaut encore plus pour les activités traditionnelles de l’agriculture marocaine, comme les cultures céréalières ou l’élevage.

Aussi, poursuit l’enseignant-chercheur, «cette pénurie d’eau se cristallise davantage au niveau de la production de produits animaux». Pour produire un litre de lait, par exemple, il faut 1.500 litres d’eau. «Donc, tant qu’il pleuvait, on ne faisait pas attention à ces volumes, mais malheureusement aujourd’hui, quand on est obligé d’irriguer intégralement (pour ceux qui peuvent le faire encore) les cultures fourragères pour nourrir le bétail, alors on commence à faire attention à ces volumes», souligne-t-il.

Et de noter qu’il y a des produits pour lesquels on peut recourir à une autre source d’eau appelée «eau virtuelle», c’est-à-dire l’eau importée. «Dans le cas du lait, par exemple, la poudre de lait est de plus en plus importée pour maintenir l’approvisionnement du marché. Il en va de même pour les animaux vivants», explique-t-il.

Il faut penser à changer de paradigme

Cette pénurie d’eau, désormais structurelle, doit amener à réfléchir à un changement de paradigme pour penser l’avenir de cette population majoritairement rurale, dont les moyens de subsistance dépendent d’une agriculture à forte consommation d’eau. Aujourd’hui, dit M. Sraïri, il faut engager une réflexion de fond sur l’adaptation de l’agriculture marocaine à une situation devenue presque structurelle, à savoir le manque d’eau. De plus, ajoute-t-il, «il faut appeler les choses par leur nom : le Maroc ne peut pas être une puissance agricole. Certes, ce manque d’eau a été exacerbé par les effets du changement climatique, mais notre climat a toujours été aride ou semi-aride».

Et l’expert de poursuivre que «nous avons un peu trop mis en avant les potentialités agricoles du Maroc par rapport à ses disponibilités réelles en eau, qui s’amenuisent». Voilà pourquoi il faudra donc, à l’avenir, «discuter du devenir de nos territoires et de la diversification des activités qui peuvent y être déployées hors de l’agriculture», insiste-t-il, faisant remarquer que «quand on est dans une zone aride à semi-aride, l’agriculture n’a plus à être la locomotive du développement économique des territoires».

Il faut changer la logique afférente aux performances de l’agriculture marocaine

Le fait d’être confronté à un nouveau climat impose de reconsidérer la part de l’irrigation dans la réflexion sur l’avenir de l’agriculture marocaine. «Nous ne disposons même plus des ressources en eau des barrages qui avaient servi de fer de lance à l’intensification agricole», affirme M. Sraïri.

Et cette intensification agricole, à son avis, «dépasse les rythmes réels de la disponibilité des ressources hydriques et met en péril l’approvisionnement en eau potable qui ne représente même pas 15%». «Voilà pourquoi il faut changer carrément de logique d’appréhension des performances du secteur agricole, étant donné que sur les 60 dernières années, on est parti sur l’idée que l’irrigation va nous permettre d’intensifier notre agriculture et d’être plus compétitif. Mais aujourd’hui, il faut totalement changer de logiciel de pensée et aller dans le sens de l’encouragement des activités agricoles basées sur les eaux pluviales, renouvelables et gratuites, telles les cultures céréalières, les légumineuses alimentaires, de même que l’élevage pastoral. D’un autre côté, il faut être très regardant sur les usages de l’eau, notamment les eaux souterraines qui sont en voie d’épuisement et qu’il faut préserver pour les générations futures».
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