Lorsque Rachid Hallaouy accueille Driss Guerraoui sur le plateau de «L'Info en Face» lundi 30 juin, c'est pour aborder une question lancinante que se posent de millions de Marocains : la jeunesse est-elle vraiment le «parent pauvre» des politiques publiques ? L'économiste, président de l'Université ouverte de Dakhla et du Forum des associations africaines d'intelligence économique, apporte un éclairage sans complaisance sur cette problématique cruciale. Fort de son expérience au sein du Conseil national de la jeunesse et de l'avenir dès 1991, puis comme secrétaire général du Conseil économique, social et environnemental (2011-2018) et auteur de nombreux livres et écrits sur le sujet, M. Guerraoui est un des meilleurs experts à pouvoir analyser et mettre en perspective les politiques de jeunesse au Maroc.
Un triple déficit qui plombe l'action publique
«Pour que les politiques fassent de la bonne politique publique, il faut trois choses», affirme l’économiste d’entrée de jeu. D'abord, connaître les réalités complexes du champ de la jeunesse. Ensuite, avoir une vision claire de ce que devraient être des politiques publiques appropriées. Enfin, établir des relais efficaces entre le politique et les jeunes. Or force est de constater que ces trois conditions sont loin d'être réunies, regrette-t-il.
Le premier obstacle identifié par M. Guerraoui est le poids des préjugés. «On a tendance à généraliser une conception qui ne correspond absolument pas à la réalité», déplore-t-il. Les décideurs voient trop souvent la jeunesse comme un bloc monolithique, dépolitisé, violent ou contestataire. Cette vision réductrice occulte la diversité des profils : entrepreneurs, jeunes engagés politiques, acteurs associatifs, chercheurs, artistes, sportifs, jeunes attachés aux pratiques religieuses... et bien sûr les marginalisés et exclus.
Plus grave encore, ce déficit de connaissance empêche l'élaboration de politiques adaptées. «Les politiques ne connaissent pas aujourd'hui réellement et avec précision qui sont les jeunes, ce qu'ils font, quelles ce que sont leurs préoccupations», regrette l'expert. Comment concevoir des réponses pertinentes sans comprendre les mutations profondes qui traversent cette population, ses attentes, ses angoisses et ses rêves ?
Le premier obstacle identifié par M. Guerraoui est le poids des préjugés. «On a tendance à généraliser une conception qui ne correspond absolument pas à la réalité», déplore-t-il. Les décideurs voient trop souvent la jeunesse comme un bloc monolithique, dépolitisé, violent ou contestataire. Cette vision réductrice occulte la diversité des profils : entrepreneurs, jeunes engagés politiques, acteurs associatifs, chercheurs, artistes, sportifs, jeunes attachés aux pratiques religieuses... et bien sûr les marginalisés et exclus.
Plus grave encore, ce déficit de connaissance empêche l'élaboration de politiques adaptées. «Les politiques ne connaissent pas aujourd'hui réellement et avec précision qui sont les jeunes, ce qu'ils font, quelles ce que sont leurs préoccupations», regrette l'expert. Comment concevoir des réponses pertinentes sans comprendre les mutations profondes qui traversent cette population, ses attentes, ses angoisses et ses rêves ?
Des chiffres alarmants qui traduisent l'ampleur du défi
Les statistiques présentées par M. Guerraoui donnent le vertige. Le taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans a connu une progression inquiétante : de 22,1% en 2004, il est passé à 29,7% en 2014 pour atteindre 36,7% en 2024. En milieu urbain, ce chiffre culmine à 46,7%. «Nous n'avons pas réussi à apporter une réponse à la première des priorités des jeunes», constate amèrement l'économiste.
Cette situation s'inscrit dans un paradoxe troublant. Alors que le PIB marocain a doublé en vingt ans, témoignant d'un enrichissement significatif du pays, les inégalités, la précarité et l'exclusion ont paradoxalement augmenté, particulièrement chez les jeunes. Près de 70% d'entre eux ne bénéficient d'aucune couverture santé, et seuls 34,6% des étudiants sont couverts par l'Assurance maladie obligatoire.
La jeunesse évolue dans un contexte de «fragilité, vulnérabilité et insécurité» multiforme : conflits émergents, perspectives économiques peu réjouissantes, impacts du changement climatique, révolution numérique et intelligence artificielle. «Une jeunesse qui a peur de l'avenir, s'interroge sur le sens de son existence, qui commence à avoir un déficit d'ambition et de rêve», décrit M. Guerraoui.
Cette situation s'inscrit dans un paradoxe troublant. Alors que le PIB marocain a doublé en vingt ans, témoignant d'un enrichissement significatif du pays, les inégalités, la précarité et l'exclusion ont paradoxalement augmenté, particulièrement chez les jeunes. Près de 70% d'entre eux ne bénéficient d'aucune couverture santé, et seuls 34,6% des étudiants sont couverts par l'Assurance maladie obligatoire.
La jeunesse évolue dans un contexte de «fragilité, vulnérabilité et insécurité» multiforme : conflits émergents, perspectives économiques peu réjouissantes, impacts du changement climatique, révolution numérique et intelligence artificielle. «Une jeunesse qui a peur de l'avenir, s'interroge sur le sens de son existence, qui commence à avoir un déficit d'ambition et de rêve», décrit M. Guerraoui.
L'urgence d'une refonte systémique face à la fenêtre démographique
Or le temps presse. M. Guerraoui lance un avertissement sans équivoque : «Nous avons une fenêtre de tir de 5 à 10 ans avant que le vieillissement de la population ne devienne le défi majeur.» Avec 60% de la population ayant moins de 30 ans et 35% entre 15 et 35 ans, le Maroc dispose d'un «gisement important» et d'un «véritable trésor démographique» actuellement sous-exploité.
Pour inverser la tendance, l'économiste plaide pour une approche radicalement nouvelle. Il faut d'abord «repenser l'approche politique» avec une nouvelle génération d'élites «sensibles et en phase avec la complexité du contexte». Les décideurs doivent écouter les jeunes, connaître leurs vrais besoins, leur faire confiance et les impliquer dans la conception des politiques publiques.
Sur le plan économique, M. Guerraoui identifie un obstacle majeur : le Maroc ne crée que 86.000 entreprises par an, contre 2,5 millions aux États-Unis et 750,000 à 800,000 en France. «Il est objectivement impossible de promouvoir l'emploi sans une économie forte qui génère une masse critique d'entreprises», affirme-t-il. Le climat des affaires doit être amélioré en urgence.
Pour inverser la tendance, l'économiste plaide pour une approche radicalement nouvelle. Il faut d'abord «repenser l'approche politique» avec une nouvelle génération d'élites «sensibles et en phase avec la complexité du contexte». Les décideurs doivent écouter les jeunes, connaître leurs vrais besoins, leur faire confiance et les impliquer dans la conception des politiques publiques.
Sur le plan économique, M. Guerraoui identifie un obstacle majeur : le Maroc ne crée que 86.000 entreprises par an, contre 2,5 millions aux États-Unis et 750,000 à 800,000 en France. «Il est objectivement impossible de promouvoir l'emploi sans une économie forte qui génère une masse critique d'entreprises», affirme-t-il. Le climat des affaires doit être amélioré en urgence.
Au-delà des recettes classiques, l'intelligence comme moteur
Face aux limites des solutions traditionnelles, M. Guerraoui propose une vision novatrice. La dette publique ayant atteint 90-92% du PIB et la pression fiscale approchant un seuil contre-productif, il faut explorer de nouvelles voies. «La nouvelle source de financement de la croissance doit venir de la création de richesses nouvelles par l'intelligence, le génie des acteurs et l'innovation», préconise-t-il. Cette transformation passe par plusieurs leviers. D'abord, réformer en profondeur le système éducatif pour qu'il devienne «un acteur essentiel de production d'innovation». Ensuite, rationaliser la gouvernance du marché du travail, aujourd'hui fragmentée entre une multitude d'intervenants sans pilotage unifié. Enfin, redéfinir le rôle de l'État selon le principe «plus d'État mais mieux d'État» : intervenir davantage dans les secteurs où le privé ne peut agir, tout en favorisant un secteur privé fort et en développant l'économie sociale et solidaire.
L'expert insiste sur la nécessité d'équilibrer trois modèles économiques : le modèle d'offre (création de richesse par l'investissement), le modèle de demande (distribution de richesse) et le modèle de répartition (élargir la base sociale de l'activité productive). Cette approche implique de «lutter contre la rente et les passe-droits» pour garantir l'égalité des chances devant l'acte économique.
Le courage politique, clé de voûte du changement
«Le courage politique est la clé de toute politique publique réussie», insiste M. Guerraoui, fort de son expérience lors du lancement de l'AMO sous le gouvernement Youssoufi. Il rappelle comment, malgré les résistances et les doutes sur le financement, la détermination politique avait permis d'initier cette réforme majeure il y a vingt ans. Aujourd'hui, ce même courage est nécessaire pour proposer aux jeunes «un projet mobilisateur et crédible» ainsi que des «politiques publiques attractives qui leur permettent de rêver». Il faut passer d'une vision des jeunes comme «problème» à celle d'un «atout majeur et gisement de potentiel».
L'enjeu dépasse largement les considérations électorales. «Il y a une responsabilité historique, politique et sociétale des élites politiques», rappelle l'économiste. Si les jeunes ne représentent pas toujours une force électorale significative, leur avenir conditionne celui du pays tout entier.
L'enjeu dépasse largement les considérations électorales. «Il y a une responsabilité historique, politique et sociétale des élites politiques», rappelle l'économiste. Si les jeunes ne représentent pas toujours une force électorale significative, leur avenir conditionne celui du pays tout entier.
«À la croisée des chemins» : l'heure des choix décisifs
En conclusion, M. Guerraoui livre un diagnostic sans appel : «Nous sommes à la croisée des chemins et l'heure des grands choix est arrivée». Le Maroc doit choisir entre deux voies. La première consiste à «compter sur nos propres forces pour libérer les énergies» et créer «un Maroc de prospérité partagée». La seconde perpétue «une logique de rente et de concurrence déloyale» qui compromettrait les ambitions du pays.
L'urgence et l'effectivité sont les deux défis majeurs identifiés. «Tout est urgent» dans un pays aux ambitions multiples, mais il faut surtout «matérialiser les réformes» pour que les lois et règlements se traduisent en actions concrètes. Sans cette transformation profonde, le Maroc risque de passer à côté de son potentiel et de compromettre son positionnement comme «acteur central» en Afrique et dans le monde.
Le message de M. Guerraoui est clair : la jeunesse marocaine n'est pas un fardeau mais un trésor. Encore faut-il que les décideurs en prennent conscience et agissent en conséquence. Car comme le souligne l'économiste, au-delà des discours et des stratégies, c'est bien «l'effectivité des réformes» qui déterminera si le Maroc saura transformer ce «gâchis» actuel en opportunité historique. Le compte à rebours a commencé !
L'urgence et l'effectivité sont les deux défis majeurs identifiés. «Tout est urgent» dans un pays aux ambitions multiples, mais il faut surtout «matérialiser les réformes» pour que les lois et règlements se traduisent en actions concrètes. Sans cette transformation profonde, le Maroc risque de passer à côté de son potentiel et de compromettre son positionnement comme «acteur central» en Afrique et dans le monde.
Le message de M. Guerraoui est clair : la jeunesse marocaine n'est pas un fardeau mais un trésor. Encore faut-il que les décideurs en prennent conscience et agissent en conséquence. Car comme le souligne l'économiste, au-delà des discours et des stratégies, c'est bien «l'effectivité des réformes» qui déterminera si le Maroc saura transformer ce «gâchis» actuel en opportunité historique. Le compte à rebours a commencé !
