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Réforme de la Moudawana : les clés pour démêler le vrai du faux

L’annonce des grands axes de la réforme du Code de la famille a suscité des réactions différenciées et souvent passionnées, selon qu’on est du courant dit progressiste ou du courant dit conservateur. Même les simples citoyens en ont fait leurs choux gras. Entre infox, quolibets, boutades et plaisanteries, il est devenu difficile de distinguer le vrai du faux et d’avoir une compréhension lucide et objective de ce projet de réforme. Le ministre de la Justice, membre de la Commission Royale chargée de la réforme, a fait le 28 décembre dernier une sortie médiatique à travers l’émission «La Chambre du VAR» sur Med Radio, qui a permis de remettre les pendules à l’heure et de lever nombre d’ambiguïtés s’agissant de cette réforme qui n’en est encore qu’à ses débuts.

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L’annonce des principaux axes de la réforme du Code de la famille, le mardi 24 décembre 2024, n’a pas laissé de marbre de larges pans de la société marocaine, tellement les attentes et les espoirs sont grands. Cette réforme, chantier qui dure depuis 2022 et fruit de Directives Royales, doit certes encore être validée par le Parlement pour entrer en vigueur. N’empêche qu’elle a déchainé les passions et donné lieu à des interprétations aussi approximatives que farfelues. Les réseaux sociaux se sont enflammés, alimentant un débat clivant entre modernistes, islamistes et conservateurs. Ainsi, les interprétations hâtives et les rumeurs ont rapidement pris le pas sur l’analyse rationnelle des faits. Quatre jours après, le 28 décembre 2024, le ministre de la Justice et membre de la Commission Royale chargée de la réforme, Abdellatif Ouahbi, a tenté d’apporter plus d’éclaircissements lors de sa participation à l’émission «La Chambre du VAR» sur Med Radio.

Une réforme sous le feu des critiques

Dès son annonce – et même avant – la réforme de la Moudawana a divisé l’opinion publique. Les islamistes et conservateurs y voient une menace pour les fondements traditionnels du droit familial marocain, tandis que les modernistes et les féministes la jugent trop limitée pour répondre aux attentes sociétales. Cette polarisation, exacerbée par les réseaux sociaux, oscille entre des plaidoyers pour une modernisation profonde et des appels à la protection des valeurs qui fondent la famille marocaine. Face à cette cacophonie, Abdellatif Ouahbi, membre de la Commission Royale chargée de la réforme, s’est dit «étonné par les rumeurs et les contre-vérités qui entourent ce projet». Il a notamment pointé du doigt ceux qui, selon lui, cherchent à discréditer la nouvelle Moudawana avant même sa publication, accusant certains acteurs de vouloir «déformer les intentions gouvernementales pour fragiliser la stabilité politique».

Ainsi, la reconnaissance du travail domestique des femmes comme une contribution économique à part entière a été parmi les mesures les plus controversées de cette réforme et qui a favorisé la propagation de beaucoup de fake news. Cette disposition propose de considérer les tâches non rémunérées effectuées au sein du foyer comme un élément tangible dans le partage des biens acquis pendant le mariage. En cas de divorce, cette reconnaissance offrirait aux femmes au foyer une protection économique renforcée, une avancée que certains qualifient de révolutionnaire, tandis que d’autres y voient une atteinte aux bases mêmes de la vie conjugale traditionnelle.

Le ministre de la Justice a tenu à cet égard à remettre les pendules à l’heure en précisant que «ce n’est pas parce que vous vous mariez aujourd’hui qu’on va vous demander de partager la moitié de vos biens demain. Les biens préexistants à l’union restent intouchables, sauf décision contraire stipulée dans le contrat de mariage». Il a insisté toutefois sur l’importance de valoriser le travail des femmes au foyer. «Lorsqu’une femme reste au foyer, elle contribue indirectement aux projets de son conjoint en assurant les tâches domestiques. Nous devons reconnaître cette contribution et lui donner une valeur, selon des critères précis et équitables.» Le ministre a alors précisé que la mise en œuvre de cette réforme dépendra de plusieurs facteurs, tels que la durée du mariage et les circonstances spécifiques des deux parties. C’est dans un souci d’équité et de solidarité qu’il faut reconnaître les efforts de la femme, sans pour autant imposer des obligations financières excessives ou injustes aux conjoints, assure M. Ouahbi. Par ailleurs, afin d’apaiser les tensions, le ministre a souligné que, de toute façon, cette question faisait l’objet de consultations avec des sociologues et des experts religieux.

Garde des enfants : un terrain fertile aux fake news

En outre, le maintien de la garde des enfants chez la mère en cas de remariage a été à l’origine de l’une des polémiques les plus vives soulevées par la réforme. Sur les réseaux sociaux et dans certains débats publics, la fake news selon laquelle un père divorcé serait contraint de d’entretenir non seulement ses enfants, mais également son ex-épouse et son nouveau conjoint, a été largement relayée. En réalité, le gouvernement explique que le droit marocain était explicite sur ce point. Une fois la période de la «idda» (période de viduité) – fixée à trois mois après le divorce – achevée, l’ex-mari n’a plus aucune obligation financière envers son ex-épouse. La seule responsabilité qui lui incombe est de pourvoir aux besoins de ses enfants, conformément à ses moyens et aux exigences légales. Ces besoins incluent l’éducation, la santé et les dépenses liées à la vie quotidienne des enfants, mais ne concernent en aucun cas les frais de l’ex-épouse ou de son nouveau conjoint.

La question de la garde a été également déformée au niveau du débat qui a fait florès sur la Toile. Le maintien de la garde chez la mère après son remariage ne sera pas automatique, tranche le ministre. Si le père estime que l’intérêt supérieur des enfants n’est plus garanti dans ce contexte, il peut demander un transfert de garde. Cette requête sera examinée par le juge, qui évalue la situation de manière rigoureuse, en tenant compte du bien-être des enfants avant toute autre considération.

Filiation hors mariage : l’ADN au cœur des tensions

Du côté des progressistes, la décision du Conseil supérieur des oulémas d’interdire le recours aux tests ADN pour établir la filiation des enfants nés hors mariage a provoqué une vague d’indignation. Pour eux, ce refus est perçu comme un frein à la justice et une négation des avancées scientifiques capables de répondre à des enjeux sociaux complexes. Le Conseil supérieur des oulémas justifie cette position en invoquant des impératifs religieux et constitutionnels. Selon lui, la filiation, dans les préceptes islamiques, ne peut être établie qu’au sein du cadre du mariage légitime. Permettre une reconnaissance par des tests ADN remettrait en question les fondements de la structure familiale et irait à l’encontre des principes de la charia et de la Constitution marocaine.

Cela dit, les tests ADN seraient bel et bien inclus dans le projet de réforme, mais leur usage sera strictement limité, assure le ministre de la Justice. Ils pourront servir à déterminer la responsabilité parentale ou à fixer les pensions alimentaires, mais pas à établir une filiation complète ou à ouvrir des droits successoraux. À la fin de son interview, Abdellatif Ouahbi, s’est montré confiant quant à l’adoption de la réforme par le Parlement. «Soyez sûr qu’en fin de compte, nous allons gagner la bataille, que ce soit sur le plan législatif, médiatique ou encore populaire», a-t-il affirmé.

Il est à noter toutefois que cette adoption sera soumise à un long processus. En effet, le porte-parole du gouvernement, Mustapha Baïtas, a expliqué dans son point de presse hebdomadaire qu’après la finalisation du projet, ce dernier sera soumis au gouvernement pour validation juridique et constitutionnelle, avant d’être discuté et adopté en Conseil du gouvernement. Il passera ensuite à la Chambre des représentants pour examen, amendement et vote, avant d’atterrir à la Chambre des conseillers, avant un vote final. Une fois adopté, le texte sera promulgué et publié au Bulletin officiel. Ce cheminement, qui s’annonce long et accompagné d’intenses débats, constitue toutefois une étape nécessaire pour adapter le droit familial marocain aux réalités contemporaines de la société dans un esprit consensuel et dans le strict respect des préceptes islamiques du Royaume.
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