Dans la grande salle d'audience du tribunal de Casablanca, il régnait une atmosphère solennelle, celle des grands jours. Une pléiade de magistrats, du siège comme du parquet et d'avocats en robe, s'est pressée pour écouter l’ancien ministre de justice, actuellement avocat au barreau de Casablanca. Pour El Mostapha Ramid, la première clé de lecture du nouveau Code est historique et politique. Le texte n’est pas sorti ex nihilo, il résulte d’un «travail cumulatif de plusieurs décennies». Et M. Ramid d’en rappeler la genèse : la conférence de Meknès de 2004, les recommandations de l’Instance équité et réconciliation en 2005, les exigences de la Constitution de 2011 en matière de droits et libertés, puis le dialogue national sur la réforme de la justice de 2013. Sur les 200 recommandations issues de ce grand chantier, 37 concernent directement la justice pénale, souligne-t-il. Mais nonobstant ce background riche, le texte final de 2025 est hybride, nuance-t-il : «Si le Parlement a introduit des amendements utiles, d'autres modifications, notamment les articles 3 et 7, sont loin d'être souhaitables.»
La révolution des droits de la défense
La révolution des droits de la défense
C'est le segment le plus dense et le plus optimiste de l'analyse de M. Ramid. La nouvelle loi opère un basculement doctrinal majeur : le suspect n'est plus un objet d'enquête, mais un sujet de droit dès la première heure. À cet égard, l'ancien ministre a longuement disséqué l'article 74.1, véritable clé de voûte de cette réforme. «Auparavant, l'avocat était un spectateur muet. Aujourd'hui, il devient acteur», a-t-il résumé. Ce nouvel article autorise l'avocat non seulement à assister à l'interrogatoire devant le Parquet, mais lui octroie trois droits fondamentaux comme la possibilité de poser des questions, de formuler des observations ou encore de solliciter un examen médical pour son client. De même, l'accès à l'assistance juridique est renforcé par la réécriture de l'article 66. L'avocat peut être contacté dès la première heure de la garde à vue, sans autorisation préalable du Parquet. Certes, une exception demeure pour les crimes relevant de l'article 108 (terrorisme, atteinte à la sûreté de l'État), où le contact peut être différé (jusqu'à la moitié de la durée de la garde à vue), mais le principe est posé.
Mieux encore, le droit au silence est constitutionnalisé, une avancée hautement saluée par M. Ramid. En vertu de l'article 66.2, le législateur a enfin explicité que le silence gardé par le suspect «ne peut être considéré comme un aveu implicite». «C’est une traduction procédurale directe de la Constitution», note M. Ramid, qui suggère même aux juges, par analogie, d'étendre ce droit à tous les suspects, et pas seulement ceux placés en garde à vue, comme le laisse entendre une «rédaction imparfaite du texte».
L'accès au dossier ou la fin des «cachotteries» est également une autre avancée significative, affirme l’intervenant. L'article 139 vient mettre un terme à des années de frictions entre le barreau et les juges d'instruction. Désormais, le dossier (papier ou électronique) doit être mis à la disposition de la défense avant tout interrogatoire. Plus fort encore : les avocats ont droit à une copie du procès-verbal de la police judiciaire «sans condition» (sauf cas de terrorisme).
Détention et garde à vue : réduire le périmètre de l'exception
L'accès au dossier ou la fin des «cachotteries» est également une autre avancée significative, affirme l’intervenant. L'article 139 vient mettre un terme à des années de frictions entre le barreau et les juges d'instruction. Désormais, le dossier (papier ou électronique) doit être mis à la disposition de la défense avant tout interrogatoire. Plus fort encore : les avocats ont droit à une copie du procès-verbal de la police judiciaire «sans condition» (sauf cas de terrorisme).
Détention et garde à vue : réduire le périmètre de l'exception
La réduction de la surpopulation carcérale, véritable cheval de bataille d'El Mostapha Ramid lorsqu'il était ministre, trouve un écho positif dans ce nouveau texte qui déploie un arsenal contraignant pour les magistrats. La garde à vue, insiste M. Ramid, ne doit plus être un automatisme. Pour justifier cette mesure privative de liberté, le Parquet est désormais tenu de motiver sa décision en s'appuyant sur l'un des six critères limitatifs définis par la loi, qu'il s'agisse de la préservation des preuves, de la nécessité de l'enquête impliquant la présence du suspect, ou encore du risque de fuite. À ces conditions s'ajoutent la protection des témoins et des victimes contre d'éventuelles pressions, la prévention de toute concertation frauduleuse avec des complices, ainsi que la nécessité de mettre fin à un trouble grave à l'ordre public. Si M. Ramid concède que «ces motifs peuvent sembler vagues», il y voit néanmoins la traduction de la volonté du législateur de faire de la privation de liberté une exception, rigoureusement contrôlée par un «sens judiciaire humain».
C’est toutefois sur la question de l’enregistrement audiovisuel que l’ancien ministre s’est montré plus critique, dénonçant un report qu'il juge inacceptable. Bien que l'article 66.3 prévoie l'enregistrement de la lecture du procès-verbal au suspect, le texte a été, selon lui, vidé de sa substance par deux verrous majeurs. Le dispositif ne s'applique d'une part qu'aux crimes passibles de plus de cinq ans de réclusion, laissant de côté la masse des délits où «les abus sont pourtant fréquents». D'autre part, l'article 755 reporte son application effective à «cinq ans après la publication du texte réglementaire». Une temporisation que M. Ramid n'a pas hésité à qualifier d'«innovation législative inacceptable», voire de «bidaâ» (hérésie) juridique, regrettant amèrement l'abandon de la mouture de 2015 qui prévoyait un enregistrement systématique des interrogatoires.
Pour pallier l'enfermement, le bracelet électronique fait son entrée officielle via les articles 161 et 174.2, une alternative dans laquelle M. Ramid entrevoit un espoir pour désengorger les prisons, à condition que le Parquet s'en saisisse pleinement. Cette volonté de rationalisation se lit également à travers la nouvelle définition du «détenu préventif» introduite par l'article 618, dont l'objectif affiché est de ramener le taux de détention préventive dans une fourchette comprise entre 15 et 20% de la population carcérale, contre des chiffres bien plus élevés actuellement. Dans cette même logique d'accélération, les délais de détention préventive ont été rabotés, se limitant désormais pour les délits à un mois, renouvelable une seule fois.
Une justice à deux vitesses ?
Une justice à deux vitesses ?
El Mostapha Ramid a ensuite abordé le virage technologique et la justice «négociée», deux piliers de la réforme censés désengorger les tribunaux. L'article 41.1 élargit considérablement le champ de la réconciliation. Désormais, tous les délits punis de deux ans ou moins (chèques sans provision, abus de confiance, violences légères) sont éligibles. Le procureur peut proposer une amende (maximum la moitié du plafond légal) pour éteindre l'action publique. «Si les acteurs jouent le jeu, c'est une bouffée d'oxygène pour le système», analyse M. Ramid. Par ailleurs, s’agissant de la signature électronique et des PV numériques introduit par les articles 24 et 365, M. Ramid, pragmatique, alerte sur la fracture numérique. «La signature électronique est simple pour le policier, mais quid du justiciable analphabète ou déconnecté ?» De ce fait, l’intervenant dit craindre une justice où la modernisation technique se ferait au détriment de la compréhension par le citoyen.
Les «zones d'ombre» : quand l'État se protège
Les «zones d'ombre» : quand l'État se protège
C'est sans doute la partie la plus politique de l’intervention de l’ancien ministre de la Justice. Avec la liberté de ton qu'on lui connaît, M. Ramid a pointé les dispositions qui constituent, à ses yeux, des régressions démocratiques majeures, commençant par ce qui s'apparente à une «organisation de l'impunité». Il a ainsi vivement critiqué l'article 3 du nouveau Code, qui interdit désormais au Ministère public de déclencher de son propre chef des poursuites pour crimes financiers, tels que le détournement de fonds publics. L'action du Parquet est désormais subordonnée à une plainte officielle d'organismes désignés, comme la Cour des comptes. «En cas de flagrant délit, le Parquet retrouve ses droits, mais pour le reste...», a-t-il lancé, laissant sa phrase en suspens pour mieux souligner la lacune consistant à brider l'initiative du procureur sur des sujets aussi sensibles que la protection de l'argent public. Dans cette même «logique restrictive», l'ancien ministre a fustigé la mise sous tutelle de la société civile actée par l'article 7. Les associations de lutte contre la corruption se voient en effet retirer la possibilité de se porter partie civile sans une autorisation préalable du ministère de la Justice, une entrave majeure à leur mission de lanceurs d’alerte.
Parallèlement à ces restrictions, M. Ramid a détaillé les nouveaux «pouvoirs exorbitants» conférés aux enquêteurs, dessinant les contours d'une surveillance de masse légalisée. L'article 108 permet ainsi des écoutes téléphoniques élargies sur demande du procureur du Roi, tandis que l'article 82.3.1 officialise l'infiltration policière, autorisant les agents à user d'identités d'emprunt pour se faire passer pour des complices. Le contrôle d'identité se durcit également de manière significative, la rétention pour vérification pouvant désormais s'étendre jusqu'à huit heures, quatre heures renouvelables une fois, assortie de la possibilité d'effectuer des prélèvements génétiques.
«La conscience est le seul juge»
«La conscience est le seul juge»
Pour clore cette intervention fleuve, El Mostapha Ramid a choisi de s'élever au-dessus de cette architecture technico-juridique. Il a rappelé que la loi la plus parfaite ne valait rien sans l'éthique de ceux qui l'appliquent. Il a convoqué le souvenir du Discours Royal du 30 juillet 2013 : «Quelle que soit l’importance de cette réforme [...] la conscience responsable des acteurs en restera le véritable test.» En quittant l'estrade, l'ancien ministre a laissé les magistrats casablancais face à leur responsabilité : faire vivre les articles de ce texte offrant des garanties et, peut-être, tempérer par leur jurisprudence les excès des articles les plus sécuritaires. «Que Dieu écrive la justice par vos mains», a-t-il conclu. Le Code est entré en vigueur. L'épreuve de vérité commence !
La contrainte par corps : la nouvelle procédure pénale desserre l’étau
C’est l’un des volets les plus sensibles de la réforme de la procédure pénale, un point de friction historique entre l'efficacité du recouvrement des amendes et le respect des libertés individuelles. Le nouveau texte tente de résoudre une équation complexe : comment contraindre le justiciable à honorer ses dettes envers l'État ou les particuliers sans transformer la prison en un centre de détention pour indigents ou insolvables ? Face à un taux de recouvrement jugé famélique, à peine 14 millions de dirhams récupérés annuellement sur une moyenne de 50 millions prononcés, le législateur a choisi de refondre totalement le mécanisme de la contrainte par corps, en pariant sur un équilibre inédit entre incitation financière et protection humanitaire. Dans une volonté manifeste d'humaniser la sanction, la réforme dresse désormais des barrières infranchissables autour des profils jugés vulnérables. La prison pour dettes n'est plus une épée de Damoclès universelle : elle est désormais interdite pour les sommes inférieures à 8.000 dirhams, instaurant un seuil de tolérance pour les petits débiteurs qui n'existait pas auparavant. Cette logique de protection s'étend de manière absolue aux personnes âgées de plus de 60 ans, le législateur prenant ici en compte le déclin naturel des capacités physiques pour exclure toute incarcération, allant jusqu'à ordonner la libération immédiate dès que ce cap d'âge est atteint. Le «bouclier» social couvre également la cellule familiale, interdisant l'application de cette mesure pour des dettes entre époux, ascendants ou descendants, ainsi que pour les femmes enceintes ou allaitantes, qui bénéficient d'un sursis de deux ans après l'accouchement.
Pas question de renoncer aux deniers publics
Pour autant, l'État ne renonce pas à ses deniers. Pour casser la logique purement répressive et renflouer les caisses publiques, le texte introduit une innovation majeure inspirée du pragmatisme du droit routier : la réduction pour paiement rapide. L'article 634-1 instaure ainsi un véritable mécanisme incitatif, permettant au condamné qui s'acquitte de son amende dans les trente jours suivant la notification de ne payer que les deux tiers de la somme due. Cette approche, qui vise à encourager l'adhésion volontaire plutôt que la coercition, s'accompagne d'une modernisation procédurale via la création d'une plateforme électronique nationale dédiée, destinée à centraliser les données et éviter les dysfonctionnements administratifs.
Enfin, lorsque la sanction privative de liberté devient inévitable, elle obéit désormais à un cadre procédural drastiquement resserré. La privation de liberté ne relève plus de l'automatisme administratif : l'article 640 impose l'intervention directe du juge de l'application des peines, qui doit statuer sur demande écrite et vérifier l'insolvabilité réelle du débiteur avant toute décision. La durée de cette détention est elle-même strictement étalonnée par l'article 638, selon un barème progressif allant de quinze jours pour les petites créances à un maximum de quinze mois pour les dettes dépassant le million de dirhams, garantissant ainsi que la punition reste proportionnelle au manquement financier.
Pas question de renoncer aux deniers publics
Pour autant, l'État ne renonce pas à ses deniers. Pour casser la logique purement répressive et renflouer les caisses publiques, le texte introduit une innovation majeure inspirée du pragmatisme du droit routier : la réduction pour paiement rapide. L'article 634-1 instaure ainsi un véritable mécanisme incitatif, permettant au condamné qui s'acquitte de son amende dans les trente jours suivant la notification de ne payer que les deux tiers de la somme due. Cette approche, qui vise à encourager l'adhésion volontaire plutôt que la coercition, s'accompagne d'une modernisation procédurale via la création d'une plateforme électronique nationale dédiée, destinée à centraliser les données et éviter les dysfonctionnements administratifs.
Enfin, lorsque la sanction privative de liberté devient inévitable, elle obéit désormais à un cadre procédural drastiquement resserré. La privation de liberté ne relève plus de l'automatisme administratif : l'article 640 impose l'intervention directe du juge de l'application des peines, qui doit statuer sur demande écrite et vérifier l'insolvabilité réelle du débiteur avant toute décision. La durée de cette détention est elle-même strictement étalonnée par l'article 638, selon un barème progressif allant de quinze jours pour les petites créances à un maximum de quinze mois pour les dettes dépassant le million de dirhams, garantissant ainsi que la punition reste proportionnelle au manquement financier.
