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Réforme des retraites au Maroc : un front syndical et économique contre le «triptyque maudit»

Le 21 juillet, lors de l’émission «Khass» animée par Nawfal Al Awamleh sur Médi1 TV, trois représentants syndicaux, Youssef Allakouch (UGTM), Larbi Habchi (UMT) et Mustapha Chennaoui (CDT), ainsi que l’économiste Mohammed Jadri ont dressé un état des lieux exhaustif de la crise des retraites au Maroc. Tous ont rejeté le «triptyque maudit» issu de la réforme de 2016, composé du relèvement de l’âge de départ à la retraite, de l’augmentation des cotisations et de la diminution des pensions.

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À la croisée des chemins, le système des retraites marocain se trouve confronté à une crise structurelle aux ramifications économiques, démographiques et sociales. Si l’urgence d’une réforme profonde fait désormais consensus parmi les principaux acteurs institutionnels (gouvernement, syndicats, patronat et gestionnaires des caisses), les désaccords demeurent flagrants quant aux orientations à adopter. Dans ce contexte, la tribune de débat et d’analyse «Khass», diffusée sur Médi1 TV, a réuni des représentants syndicaux et un expert économique pour un échange riche et approfondi.

Youssef Allakouch : «Une réforme au goût de la dignité»

De prime abord, Youssef Allakouch, membre du bureau exécutif de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), a mis en avant la nécessité d’une refonte structurelle et profonde des régimes de retraite. À ses yeux, il est impératif de dépasser les cloisonnements sectoriels qui fragilisent le système, pour édifier un régime unifié, englobant le secteur public, le privé, ainsi que le secteur informel. Cette intégration, selon lui, constitue la seule garantie d’une protection sociale véritablement équitable et durable.

Dans la continuité de ce diagnostic, M. Allakouch a fermement dénoncé le fléau généralisé de la sous-déclaration des jours réellement travaillés. Ce phénomène, qui affecte une large part des cotisants, prive ces derniers de droits fondamentaux, compromettant ainsi leur avenir social et économique : «Même lorsque la déclaration existe, elle ne reflète jamais le nombre réel de jours travaillés, pénalisant gravement les travailleurs», a-t-il précisé.

Par ailleurs, il a mis en lumière des injustices relatives au système de cotisations qui conduisent de nombreux salariés à se retrouver totalement exclus du bénéfice d’une pension, un constat qu’il qualifie d’«atteinte directe à la dignité des travailleurs» : «Un travailleur peut se retrouver sans un dirham à la retraite parce qu’il lui manque quelques jours de cotisation», a-t-il martelé.

S’agissant des conditions des retraités, M. Allakouch a également dressé un tableau alarmant. Nombre d’entre eux perçoivent des pensions si dérisoires (souvent comprises entre 1.000 et 1.500 dirhams), qu’il juge «indécentes», en totale contradiction avec les principes d’un État social responsable. Dans cet esprit, il insiste pour que la revalorisation des pensions s’appuie sur une prise en compte rigoureuse des réalités économiques actuelles, prenant notamment comme références le SMIG et le SMAG, afin de garantir un revenu de retraite décent et conforme à la dignité humaine.

Ainsi, il a mis en relief la responsabilité de l’État dans ce dossier : «Depuis la création de la Caisse marocaine des retraites en 1996, l’État n’a pas toujours honoré ses engagements financiers, ce qui fragilise profondément la pérennité des caisses», a-t-il souligné. Pour M. Allakouch, il ne s’agit pas seulement d’ajustements superficiels ou paramétriques. La réforme doit s’inscrire dans une démarche globale et ambitieuse, intégrant notamment une politique volontariste de création d’emplois stables dans le secteur formel et un élargissement conséquent de la base des cotisants. «Sans emplois dignes et sans une intégration réelle et effective du secteur informel, toute réforme des retraites est vouée à l’échec», déduit-il avec force.

Larbi Habchi : «La retraite, un droit humain et non un outil de gestion comptable»

S’inscrivant dans cette même logique, Larbi Habchi, membre du secrétariat national de l’Union marocaine du travail (UMT), a replacé le débat sur les retraites dans une perspective profondément humaine et sociétale. «La retraite n’est pas une simple variable d’ajustement financier, c’est un droit humain reconnu au niveau international», a-t-il affirmé, dénonçant les «réformes régressives» menées ces dernières années, qu’il assimile à des reculs supportés par les travailleurs.

Saluant la relance de la Commission nationale de réforme, proposée initialement par le secrétaire général de l’UMT, Miloudi Moukharik, M. Habchi a mis en avant la nécessité d’une réforme équitable qui corrige les disparités entre les régimes (avantageux pour les fonctionnaires, précaires pour le privé et l’informel), tout en protégeant les retraités les plus vulnérables, dont beaucoup perçoivent des pensions inférieures à 1.500 dirhams. Sans maquiller ses propos, le syndicaliste a également pointé la gestion défaillante des fonds, en particulier l’obligation faite à la CNSS de déposer les cotisations à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) à des taux d’intérêt bas, privant le système de rendements optimaux : «Ces choix amputent les revenus des caisses et aggravent leur fragilité», a-t-il fustigé.

En parallèle, il a insisté sur l’urgence de préserver le pouvoir d’achat des retraités, appelant à intégrer l’inflation et le coût réel de la vie dans la fixation des pensions, critiquant des politiques publiques jugées pénalisantes, telles que la suppression des subventions sur les carburants, l’inflation accentuée par des marges spéculatives et la hausse des prix du gaz butane, qui affectent les ménages modestes et la classe moyenne. Pour y remédier, Larbi Habchi plaide pour une stratégie globale : lutte renforcée contre la fraude à la CNSS, intégration du secteur informel dans le système contributif, création d’emplois dans les secteurs publics en tension (santé, éducation, justice) et mise à jour régulière des données socio-économiques (recensement, pyramide des âges, salaires). Selon lui, seule une approche cohérente et structurée permettra de rétablir l’équité et de garantir la pérennité du système de retraite marocain.

Mustapha Chennaoui : «Une réforme systémique, au-delà des ajustements paramétriques»

Alertant sur la gravité de la crise qui frappe les régimes de retraite marocains, Mustapha Chennaoui, membre du bureau exécutif de la Confédération démocratique du travail (CDT), réaffirme l’urgence d’une refonte complète du système. Selon lui, depuis 2003, la CDT défend sans relâche l’instauration d’un régime de base universel (RBU) englobant tous les travailleurs, publics, privés et informels, seule garantie à ses yeux d’une pérennité réelle et d’une justice sociale durable.

En parallèle, il dénonce avec force la «gestion solitaire» des gouvernements successifs, dont la brutalité de l’interruption des travaux de la Commission nationale en 2013 illustre l’absence de dialogue et de vision partagée. De même, il rejette catégoriquement le «triptyque maudit» (relèvement de l’âge légal, hausse des cotisations, baisse des pensions), qu’il qualifie de pansement inefficace et injuste engendrant des déséquilibres structurels profonds. Pour lui, les déséquilibres sont nombreux et systémiques : la non-affectation historique des cotisations des fonctionnaires au profit du budget général, les transferts massifs de ressources vers d’autres régimes privilégiés, notamment militaires, et surtout le non-respect par l’État de ses engagements financiers, contrairement aux exigences qu’il impose au secteur privé. À cela s’ajoutent des défaillances graves de gouvernance et un manque flagrant de transparence, révélés par des enquêtes parlementaires portant sur la gestion de la CNSS.

Chiffres à l’appui, M. Chennaoui tire la sonnette d’alarme : l’État doit encore à ces caisses près de 25 milliards de dirhams accumulés avant 1999, sans compter des milliards supplémentaires de transferts injustifiés. Ces manquements financiers, couplés à une gestion inefficace, mettent en péril l’avenir même des retraites marocaines. Enfin, il fustige le calendrier politique imposé par le ministère des Finances, qui reporte une réunion nationale cruciale à avril 2026, à la toute fin de la législature. Pour lui, ce délai est une manœuvre qui trahit un manque d’engagement réel. Face à cette urgence sociale et économique, Mustapha Chennaoui appelle à un dialogue national sincère et immédiat, condition indispensable pour restaurer la confiance, refonder le système et assurer une réforme à la fois juste, ambitieuse et pérenne.

Mohammed Jadri : «Sauver les caisses, un impératif»

De son côté, l’économiste Mohammed Jadri a mis en lumière les lacunes de la situation financière des régimes de retraite au Maroc. Relatant les dettes accumulées avant 1999, qu’il a chiffrées à «environ 25 milliards de dirhams», il alerte que certains régimes «ont commencé à puiser dans leurs réserves depuis 2022». En effet, M. Jadri pointe lui aussi du doigt les pratiques de gouvernance qui limitent la rentabilité des fonds, notamment «l’obligation imposée à la CNSS de déposer ses cotisations à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) à des taux faibles», ce qui «réduit les rendements et met en danger la pérennité financière». Sur la question des réformes, il préconise «un dialogue social élargi, ouvert à toutes les options, que ce soit l’âge de départ, les niveaux de cotisations ou le mode de calcul des pensions», à condition que «l’État s’engage sur la gouvernance et la rentabilité des caisses».

Enfin, Mohammed Jadri insiste sur un point majeur : «Le véritable enjeu est d’assurer la survie financière des caisses jusqu’en 2052», avertissant que «sans mesures structurelles profondes, le système risque de s’effondrer». À travers son constat, il appelle également à l’instauration de «passerelles entre les régimes public et privé, une pratique inexistante au Maroc», soulignant que «l’intégration progressive des indépendants et des professions libérales reste un défi crucial pour élargir l’assiette des cotisants».
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