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Mohammed Sadiki fait le point sur la campagne agricole et la situation de l'eau

Dans le contexte actuel des changements climatiques et des enjeux de sécurité alimentaire, la tutelle adopte de nouveaux mécanismes, avec un suivi continu et régulier de l’avancement de la campagne agricole. Ce qui permettra de prendre les mesures et les dispositions complémentaires nécessaires en temps utile. Le détail avec Mohammed Sadiki, Ministre de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts.

Mohammed Sadiki.
Mohammed Sadiki.
Le Matin : Comment évaluez-vous la situation du secteur agricole après les dernières précipitations ?

Mohammed Sadiki : Le début de la campagne agricole 2023/2024 a été caractérisé par des pluies précoces, ayant donné l’espoir aux agriculteurs, sachant que la campagne précédente s’inscrit dans une séquence climatique de 5 années difficiles.

Le cumul pluviométrique national moyen au 16 avril 2024 est de 224 mm, soit une baisse de 29% par rapport à la moyenne des 30 dernières années (317 mm) et une hausse de 8% par rapport à la campagne précédente (207 mm) à la même date. La réserve globale des barrages à usage agricole au 16 avril 2024 s’élève à près de 4,33 milliards de m3, soit le même niveau que celui enregistré la campagne précédente à la même date pour un taux de remplissage de 32. Après un arrêt des pluies du 21 janvier au 8 février 2024, notre pays a reçu des précipitations importantes, généralisées et variables selon les provinces durant les mois de février et mars 2024 avec des moyennes respectivement de 43 mm et 93 mm. Ces pluies pourraient impacter favorablement la croissance et le développement des cultures en place, l’amélioration du couvert végétal des parcours et le démarrage des opérations d’entretien par les agriculteurs (engrais de couverture et traitement contre les mauvaises herbes), l’accélération du rythme d’installation des cultures de printemps ainsi que le remplissage des barrages et des nappes phréatiques. Compte tenu du déficit en eau, et s’alignant avec les Hautes Instructions Royales, le ministère a renforcé le suivi rapproché pour rationaliser les disponibilités en eau au niveau des périmètres irrigués en donnant la priorité à l’arboriculture et aux cultures pérennes, en plus de la limitation des superficies des cultures consommatrices d’eau.



À noter que les cultures d’automne ont connu un retard en matière d’emblavement, marqué par une prédominance des semis de saison entre le 15 novembre et 15 décembre, avec 56% de la superficie totale semée à date. Concernant la superficie semée en céréales d’automne, elle s’élève à 2,52 millions Ha, soit une baisse de 31% par rapport à la campagne précédente à la même date (3,65 millions Ha) et de 41% par rapport à une année normale (4,3 millions Ha). Cette superficie est constituée à 46% de blé tendre, 30% d’orge et 24% de blé dur.

Le stade végétatif des céréales est différencié selon la date de semis avec 92% d’Epiaison, 4% Montaison et 4% Tallage notamment pour des semis tardifs. L’état végétatif est à hauteur de 30% de la superficie totale semée et se trouve dans un état végétatif jugé bon, 29% moyen, 21% médiocre et près de 20% perdus.

Quant aux cultures fourragères, elles s’étalent sur une superficie de 470.960 Ha, dont 32% en irrigué, contre 575.780 Ha lors de la campagne précédente à la même date, soit une baisse de 18% et de 8% par rapport à une année normale (510.750 Ha).

Pour les légumineuses, elles occupent environ 109.140 Ha, dont 10% en irrigué, en baisse de 35% par rapport à la campagne précédente à la même date (167.490 Ha) et de 27% par rapport à une année normale (150.000 Ha). Ainsi, l’évolution de la situation des cultures annuelles d’automne dépend encore des précipitations attendues et des travaux d’entretien accordés par les agriculteurs durant le printemps. Concernant les cultures sucrières, la superficie semée en betterave à sucre est de 22.672 Ha, soit 42% du programme. Ce faible taux de réalisation est dû essentiellement à la non-disponibilité en eau d’irrigation dans les bassins de Doukkala et Tadla.

Pour la canne à sucre, la superficie plantée en automne s’élève à près de 1.055 Ha, soit 35% du programme (3.000 Ha). Quant à la production prévisionnelle de la betterave à sucre, elle avoisinera les 1,5 million de tonnes et celle de la canne à sucre est évaluée à près de 330.000 tonnes.

Pour la situation de l’avancement de la campagne des cultures de printemps, elle intervient dans une conjoncture climatique marquée par le retour des pluies suite aux précipitations enregistrées au cours du mois de mars. Ces précipitations ont annoncé de bonnes perspectives quant à l’installation des cultures de printemps, notamment le pois chiche, le maïs grain, le tournesol, le haricot sec et les cultures maraîchères, sachant que dans plusieurs régions, les producteurs agricoles souhaitent se rattraper par rapport aux cultures d’automne touchées par le déficit pluviométrique. À cette date, les réalisations des grandes cultures de printemps sont de l’ordre de 112.880 Ha, soit 70% du programme (160.970 Ha) dont le maïs grain est d’environ 66.356 Ha emblavés, soit 71% du programme (93.817 Ha) et le pois chiche est de 19.745 Ha, soit 51% du programme (38.490 Ha). Pour les cultures maraîchères d’automne, la superficie réalisée au 15 décembre 2023 est de 90.662 Ha, soit un taux de réalisation de 89% du programme arrêté, enregistrant une légère hausse de 2% par rapport à la campagne précédente. La superficie réalisée en cultures maraîchères d’hiver au 15 mars 2024 est d’environ 57.844 Ha, soit 86% du programme (67.060 Ha).

La production attendue du maraîchage d’automne et d’hiver devra couvrir les besoins de consommation et d’exportation en produits maraîchers pour la période allant de décembre 2023 jusqu’au mois de juin 2024. Concernant les cultures maraîchères de printemps, leurs réalisations à cette date ont atteint environ 21.984 Ha, soit 32% du programme. La production attendue (2 millions de tonnes) permettra de couvrir les besoins de consommation du marché local en ces produits pendant l’été et début automne. Il y a lieu de préciser que, si les conditions climatiques s’améliorent en avril et mai (pluies et température adéquate), cela aura un impact très positif sur les cultures d’automne (céréales, légumineuses ...), la floraison de l’arboriculture, la maturité des espèces maraichères (notamment la tomate), l’installation des cultures de printemps, l’état du couvert végétal des parcours et le niveau de nappe phréatique et le taux de remplissage des barrages. Par ailleurs, les services du ministère assurent un suivi continu et régulier de l’avancement de la campagne agricole et la mobilisation de tous les acteurs du secteur. Ce qui permettra de prendre les mesures et les dispositions complémentaires nécessaires en temps utile.



L’un des axes de votre stratégie est l’expansion des techniques d’économie en eau. Où en est ce programme aujourd’hui ?

Conscient de l’importance des enjeux de la rationalisation et de l’économie de l’eau en agriculture, le Maroc a opté pour des stratégies agricoles volontaristes en matière d’utilisation efficiente des ressources hydriques en agriculture. L’objectif visé dans ce sens est l’atténuation des effets de la raréfaction des ressources en eau et l’amélioration de l’efficience de leur utilisation en agriculture, à travers le développement de l’irrigation localisée et la modernisation des réseaux collectifs d’irrigation dans les grands périmètres irrigués. À fin 2023, une superficie cumulée de 824.000 ha est équipée en irrigation localisée, soit 62% de la superficie irriguée à l’échelle nationale et 82% de l’objectif fixé par la stratégie Génération Green en matière d’équipement en irrigation localisée à l’horizon 2030.

Compte tenu de l’avancement de ce programme, l’objectif global de 1 million d’hectares équipés en techniques d’irrigation goutte à goutte à l’horizon de 2030, fixé par la stratégie agricole Génération Green 2020-2030, est sur la bonne voie d’être atteint. Ce programme permettra à notre pays d’être armé de capacités d’économie et de valorisation de l’eau pour produire plus avec moins d’eau et ainsi faire face au stress hydrique aggravé par les effets des changements climatiques comme ceux qui ont sévi ces dernières années à la suite de 6 années successives de sécheresse. En effet, les capacités d’économie et de valorisation de l’eau mises en place dans le cadre du Plan Maroc Vert et Génération Green ont permis à notre agriculture de maintenir des niveaux stratégiques en produits agricoles de base notamment en fruits, légumes et lait frais malgré ces 6 dernières années successives de sécheresse sans précédent.

Mohammed Sadiki fait le point sur la campagne agricole et la situation de l'eau



Qu’en est-il de la reconversion des cultures sensibles au déficit hydrique par d’autres plus résilientes aux changements climatiques ?

Dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie «Génération Green 2020-2030», le ministère continue de renforcer ses interventions pour améliorer la production des filières végétales, notamment dans le contexte actuel des changements climatiques et des enjeux de sécurité alimentaire, et ce en adoptant de nouveaux mécanismes qui concernent notamment :

- la reconversion des cultures sensibles au manque d’eau par des cultures plus résistantes au stress hydrique à l’instar de l’olivier, le palmier dattier, l’arganier, le cactus, l’amandier, le figuier et le caroubier, notamment dans le cadre de l’agriculture solidaire ;

- le développement et l’utilisation de variétés génétiquement améliorées pour faire face à la sécheresse et à la rareté des ressources en eau, notamment pour les céréales, les légumineuses et les cultures oléagineuses ;

- l’encadrement des organisations professionnelles et l’appui à l’investissement, notamment en matière de techniques d’économie d’eau d’irrigation ;

- la poursuite de l’assurance pour les céréales, les légumineuses, les cultures oléagineuses et les arbres fruitiers contre les risques climatiques ;

- l’encouragement et développement du semis direct sur une superficie d’un million d’hectares à l’horizon 2030 pour les grandes cultures telles que les céréales, les légumineuses, les cultures fourragères et les cultures oléagineuses ;

- le soutien à l’irrigation d’appoint pour couvrir les besoins en eau des cultures en bour en vue d’améliorer la stabilité de la production (1 million Ha) ;

- la promotion de l’utilisation des énergies renouvelables pour la production ;

- le développement de l’agriculture écologique par l’adoption de pratiques de conservation des ressources naturelles (eau et sol), l’amélioration durable de la productivité et la promotion et la diffusion de ces techniques ;

- l’adoption et la diffusion de technologies vertes et le développement de la digitalisation en agriculture ;

Dans le cadre de la déclinaison régionale de cette nouvelle stratégie, le choix des cultures adaptées est priorisé en tenant compte des potentialités édapho-climatiques qui caractérisent chaque région. Aussi, dans l’objectif d’une gestion durable des sols et d’une meilleure production, le ministère entreprend plusieurs actions pour l’encouragement à l’adoption de la rotation intensive des cultures et la sensibilisation des agriculteurs à la nécessité de rationaliser l’utilisation des engrais et pesticides, de recourir à l’utilisation de matières organiques et de préserver les sols contre l’érosion par les plantations ; et l’encouragement des techniques de conservation des sols.

Il est aussi question de transition énergétique vers le renouvelable par l’encouragement de l’utilisation de l’énergie solaire en irrigation. Où en est ce programme et quels sont les défis auxquels il fait face ?

La question de la transition énergétique vers les énergies renouvelables est déterminante pour le secteur de l’irrigation car elle permet à notre agriculture irriguée d’être plus productive et plus compétitive et durable notamment par la transition vers une économie agricole à bas carbone.

La stratégie agricole Génération Green a intégré cette orientation dans son axe 4 relatif à la transition vers une agriculture résiliente et éco-efficiente à travers l’investissement dans l’efficacité hydrique et énergétique et particulièrement par la promotion des énergies renouvelables. Pour promouvoir les énergies renouvelables dans l’agriculture irriguée, plusieurs actions et mesures incitatives sont mises en œuvre notamment :

- la réduction de la TVA applicable à l’énergie électrique produite de sources renouvelables ;

- l’encouragement des pompes solaires dans le cadre des projets intégrés d’irrigation localisée dans la limite des plafonds fixés par la réglementation en vigueur ;

- récemment, une convention de financement d’un programme pilote est conclue par le ministère de l’Économie et des finances et le ministère de l’Agriculture, de la pêche maritime, du développement rural et des eaux et forêts pour la reconversion du pompage en gaz butane en pompage solaire dans les projets d’économie d’eau en irrigation.

Il est à souligner que dans le contexte de stress hydrique de plus en plus accentué et de l’augmentation des coûts de mobilisation des ressources en eau, l’interdépendance de plus en plus forte de l’agriculture notamment irriguée, de l’eau et de l’énergie, le département de l’agriculture privilégie l’approche Nexus Eau-Énergie renouvelable-Agriculture dans ces programmes notamment dans le développement des unités de dessalement de l’eau de mer pour faire face à la pénurie d’eau. Le projet Dakhla de dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation est le premier projet d’envergure qui consacre cette approche innovante. En effet, ce projet est conçu pour produire de l’eau pour l’irrigation des cultures sur 5.000 ha avec le recours à une station de dessalement de l’eau de mer adossée à un champ éolien. Le projet de l’unité de dessalement de l’eau de mer de Casablanca destinée à l’approvisionnement en eau potable du la métropole s’inscrit également dans cette approche Nexus avec l’intégration des énergies renouvelables et la réservation d’un volume d’eau pour un projet d’irrigation par le dessalement de l’eau mer dans la zone de Sidi Rahal. Le développement des énergies renouvelables ouvre des opportunités importantes au dessalement de l’eau à bas prix pour assurer la sécurité hydrique et la souveraineté alimentaire. Le défi pour cette approche réside dans la mise en place de toutes les mesures incitatives permettant de mobiliser le potentiel en énergies renouvelables au profit de la sécurité hydrique et la souveraineté alimentaire à travers notamment la réservation et sécurisation du foncier pour la construction des projets d’Enr, la mise en place de mécanismes efficaces de régulation du marché des énergies renouvelables et la mise en place d’incitations fiscales pour encourager les projets stratégiques de dessalement de l’eau par ces énergies.

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