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Sahara : le Maroc à la conquête de l’Afrique anglophone

Depuis son retour à l'Union africaine en 2017, le Maroc a amorcé une transformation profonde de sa politique étrangère, adoptant une stratégie plus audacieuse et plus entreprenante. Loin de se limiter à son aire d'influence traditionnelle en Afrique de l'Ouest francophone, le Royaume s’est employé avec patience et méthode à renforcer sa présence en Afrique anglophone. Dans cette partie de l’Afrique, naguère considérée comme une forteresse imprenable et acquise aux thèses anti-marocaines, il a réalisé des percées significatives augurant d’une nouvelle ère pour l’avenir des relations entre Rabat et des capitales comme Nairobi, Accra ou Pretoria.

Porté par une diplomatie proactive adossée à une vision Royale clairvoyante, le Maroc s’est engagé depuis son retour à l’UA dans une stratégie ambitieuse visant le renforcement de sa présence en Afrique anglophone, naguère fief de certains pays hostiles. Fruit d’un choix mûrement réfléchi et fondée sur une analyse lucide de la géopolitique régionale, cette stratégie reflète également une volonté inébranlable de renforcer la coopération Sud-Sud dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant. En diversifiant ses partenaires et en nouant des liens de coopération multidimensionnelle, le Maroc a ainsi renforcé son positionnement en tant que pilier incontournable de l'intégration et de la transformation du continent africain. Cette dynamique a permis de faire du Maroc un acteur continental majeur, capable de façonner son environnement politique international et continental, tout en défendant ses intérêts territoriaux et en promouvant la stabilité et le développement durable en Afrique.
Grâce à la Vision Royale et à une action diplomatique pragmatique et efficace, le Maroc a réussi des percées notables en Afrique anglophone. «Depuis notre retour au sein de l'Union africaine, nous avons adopté une approche “découplée”, qui privilégie la coopération économique, même si des désaccords politiques persistent sur la question de l'intégrité territoriale du Maroc. On observe de belles collaborations avec des pays comme le Kenya, l'Éthiopie ou l'Angola. Cette approche géoéconomique commence à porter ses fruits, créant des interdépendances et contribuant à apaiser les tensions politiques», analyse Zakaria Abouddahab, professeur de droit et de relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat.

Un soutien croissant à la marocanité du Sahara

L'une des avancées les plus notables concerne la question du Sahara marocain. De plus en plus de pays anglophones reconsidèrent leur politique historiquement hostile au Royaume en prenant leur distance avec les milices séparatistes du polisario et en adoptant des positions plus modérées, voire carrément favorables à la souveraineté marocaine sur ses provinces sahariennes. Le Ghana a ainsi rejoint en juin dernier la liste des pays soutenant le Maroc, suspendant ses relations avec l'entité autoproclamée «rasd» et appuyant la proposition d’autonomie de 2007 comme solution au conflit. Le Kenya, après des années de soutien à la pseudo-rasd, a également opéré en mai 2025 un revirement diplomatique historique en reconnaissant le plan d’autonomie marocain comme la seule approche crédible, sérieuse et durable pour le règlement du différend. Nairobi s'est même engagée à coopérer avec les pays partageant cette vision et l'ouverture de son ambassade à Rabat, le 26 mai dernier, représente un tournant majeur dans les relations bilatérales.

Auparavant, d'autres pays d'Afrique anglophone, comme le Liberia, la Zambie, l’Eswatini et le Malawi, avaient manifesté un soutien clair en ouvrant des consulats dans les provinces du sud du Maroc et en apportant leur appui à l'initiative d'autonomie. Ce réalignement pro-marocain s'est manifesté de manière frappante en mai dernier avec le rejet catégorique par les Comores, la Zambie et le Malawi d'un mémorandum d'entente signé entre la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et la «rasd». La Zambie a qualifié ce document de «non contraignant», réaffirmant son soutien total au plan d'autonomie.

Le Kenya, un partenaire stratégique et un pont vers l'Afrique de l'Est

La relation avec le Kenya est devenue particulièrement stratégique. Le Maroc considère ce pays comme un acteur central pour la stabilité en Afrique, et comme une plateforme et une porte d'entrée essentielle à l’ Afrique de l'Est. Pour rappel, le Kenya est la première économie d’Afrique de l’Est avec un PIB estimé à 131,67 milliards de dollars en 2025. Le pays est aussi un membre clé de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD). Ces facteurs en font une puissance régionale capable de peser sur les équilibres géopolitiques du continent et d’influer sur les positions de ses voisins s’agissant de certains dossiers sensibles.

Au-delà des aspects politiques, les deux pays visent à consolider un partenariat solide dans tous les domaines, incluant l'investissement et la sécurité alimentaire. Ce rapprochement multidimensionnel s’est manifesté à travers la signature de cinq accords de coopération dans des secteurs clés comme le développement urbain, la jeunesse, le commerce, et la formation diplomatique. Il se traduit également par une volonté commune de diversifier et sécuriser les échanges entre l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est, mais aussi via l'expansion de la coopération à des domaines tels que les énergies renouvelables, la pêche, le tourisme culturel, la sécurité et les affaires religieuses.

Les deux États œuvrent également pour le renforcement des connexions maritimes et portuaires, le futur port de Dakhla étant appelé à jouer un rôle majeur en tant que un pôle logistique stratégique reliant l'Atlantique à l'océan Indien via des ports d'Afrique de l'Est comme Mombasa et Dar es Salaam. Cette collaboration s’appuie sur une dimension sécuritaire visant la surveillance conjointe des routes maritimes vulnérables et la lutte contre la piraterie et les trafics illicites, envisageant ainsi un partenariat militaire et de renseignement.

L'Éthiopie, un pilier de stabilité et de coopération militaire

Autre pays influent en Afrique de l’est, l’Éthiopie avec qui le Maroc a développé une relation qui ne cesse de s’intensifier, particulièrement depuis le retour du Royaume au sein de l'Union africaine en 2017. Cette relation, initialement caractérisée par la coopération économique et les échanges culturels, s'est transformée en un partenariat stratégique multidimensionnel visant à servir les intérêts communs des deux pays et à contribuer au développement et à la stabilité du continent africain, et ce malgré le fait qu'Addis-Abeba continue de reconnaître la paseudo-rasd.

La coopération militaire en particulier a franchi ces dernières années un palier significatif, devenant un maillon important du partenariat stratégique Maroc-Éthiopie. Des délégations militaires de haut rang ont échangé des visites en juillet et août 2024, ouvrant la voie à un accord formel. Les accords couvrent la formation, l'entraînement, la santé militaire, l'assistance technique, le soutien logistique et les échanges d'expertises. Cette coopération vise à approfondir les relations du Maroc avec l'Éthiopie et les pays voisins de la Corne de l'Afrique, et d’en faire un outil de promotion de paix et de sécurité.

Sur le plan économique, l’un des exemples les plus parlants est sans conteste la signature, en septembre 2021 d’un accord pour la construction d'une grande usine d'engrais à Dire Dawa entre le géant marocain OCP (Office Chérifien des Phosphates) et le gouvernement éthiopien. Ce projet, dont le coût est estimé à 3,7 milliards de dollars, vise à renforcer le secteur agricole éthiopien. Les deux pays ont également signé un mémorandum d'entente pour la création d'une Coalition pour l'accès à l'énergie durable (CSEA), visant à renforcer la capacité des pays membres en développement énergétique durable et à créer un marché commun des énergies renouvelables.

L'Éthiopie et le Maroc cherchent également à tisser des liens commerciaux durables autour du café arabica, avec des rencontres entre importateurs marocains et exportateurs éthiopiens. À cet effet, une rencontre de haut niveau consacrée au commerce du café s’est tenue à Rabat, le 28 mai 2025 à l’initiative de l’ambassade d’Éthiopie au Maroc et de la Chambre de commerce, d’industrie et de services de Casablanca-Settat (CCIS-CS). Les rencontres B2B organisées à cette occasion ont permis d’établir des partenariats commerciaux durables, fondés sur une reconnaissance mutuelle de l'expertise. Par ailleurs, le Royaume met à profit son aura spirituelle et la crédibilité de son modèle religieux pour renforcer sa présence en Éthiopie et dans la Corne de l'Afrique et intensifier les échanges et la compréhension mutuelle. Ce soft power vise à créer les conditions favorables pour un rapprochement accru entre les peuples des deux côtés à travers la promotion des valeurs de l’islam modéré et tolérant qui caractérise depuis toujours le Royaume.

Le Rwanda : un partenariat stratégique renouvelé en Afrique de l'Est

Bien que le Rwanda soit également francophone (l’anglais est également une langue officielle), il est associé aux percées diplomatiques du Maroc en Afrique de l'Est. Ce pays a en effet apporté un soutien ferme à la position de Rabat concernant le retrait de l'examen de la question du Sahara du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine. Globalement, les relations avec le Rwanda (qui reconnaît toujours la pseudo-rasd) ont connu une embellie sans précédent, portées par une forte volonté politique des deux Chefs d’État, S.M. le Roi Mohammed VI et le Président Paul Kagame, qui croient fermement à l'importance de la solidarité et de l'intégration de l'Afrique pour la transformation du continent. Depuis la visite Royale de 2016, et la signature de plus d'une quarantaine d'instruments bilatéraux, Rabat et Kigali tracent doucement la voie d’une coopération multidimensionnelle. Une Commission permanente mixte (CPM) a été créée pour le suivi et l'évaluation de cette coopération qui s'étend à de multiples secteurs : logement et urbanisme, santé, sport (partenariat entre le Raja Casablanca et Rayon Sports), et une volonté de renforcer la coopération parlementaire.

Comme l'Éthiopie, le Rwanda a également signé un accord de coopération militaire avec le Maroc, couvrant des domaines similaires tels que la formation, la santé militaire et les échanges d'expertises. Il s'agit d'une diplomatie de défense affirmée, visant à construire des dialogues durables entre les forces armées et à mettre en place une expertise commune essentielle à la sécurité africaine. Le Maroc est ainsi devenu un partenaire privilégié pour le Rwanda en matière de sécurité, permettant à Rabat de renforcer son influence et son ancrage stratégique en Afrique centrale et en Afrique de l'Est, après l'Afrique de l'Ouest. Sur la question du Sahara, les experts estiment que le fait que le Rwanda et l'Éthiopie maintiennent des relations avec le polisario ne saurait durer face à la dynamique de coopération avec le Maroc qui propose un modèle de partenariat réaliste et en phase avec les mutations géopolitiques à l’œuvre sur le continent.

La complexité de la relation avec la Tanzanie

Si les relations entre le Maroc et la Tanzanie ont pris du relief, notamment avec la visite Royale de 2016 qui a vu la signature de 22 conventions et une croissance remarquable des échanges commerciaux (multipliés par dix entre 2016 et 2022, passant de 28 à 285,5 millions de dollars), la question du Sahara marocain continue de «ternir» cette relation. La Tanzanie est restée enfermée dans des positions idéologiques surannées et sclérosées, alignées sur les postures algérienne et sud-africaine. Malgré une position de neutralité positive après la visite Royale, la Tanzanie a depuis accueilli le chef des séparatistes et s'est alignée sur la politique sud-africaine. Pour surmonter cette situation, les experts suggèrent au Maroc de développer un argumentaire revu et corrigé et de tabler sur la formation des futurs leaders tanzaniens au Maroc, y compris en matière d’instruction militaire. Néanmoins, la coopération avec la Tanzanie se renforce dans des domaines comme la transition énergétique, l'électrification rurale, l'hydrogène vert et les infrastructures électriques.

L'intégration du Maroc dans la Zlecaf par l'Afrique du Sud : un signal fort

En février 2025, l'Administration fiscale sud-africaine (SARS) a annoncé l'intégration du Maroc, du Burundi et de l'Ouganda en tant qu'États parties à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Cette décision de Pretoria, bien que l'Afrique du Sud ait un parti pris idéologique systématique contre le Maroc sur la question du Sahara, officialise l'application des dispositions de la Zlecaf à ces pays, leur permettant de bénéficier des préférences tarifaires. L'inclusion du Maroc, deuxième économie du continent hors hydrocarbures, confère une ampleur inédite à ce grand projet d'intégration économique africaine, augurant une avancée significative malgré les divergences politiques persistantes.

Autre signal fort, la position récemment exprimée par le parti sud-africain Umkhonto we Sizwe (MK), laquelle marque un tournant notable concernant le Sahara marocain. Dans un document-plaidoyer, le parti fondé par l’ancien président Jacob Zuma se range aux côtés de nombreux pays africains et internationaux sur ce dossier sensible, brisant ainsi le consensus diplomatique traditionnel en Afrique du Sud. Le MK plaide en faveur d'un renforcement des liens bilatéraux avec le Maroc et affiche un soutien clair et sans équivoque à la marocanité du Sahara. Les analystes estiment qu'il s'agit d'un développement potentiellement majeur pour les relations bilatérales. Cet appui, fondé sur des considérations de légitimité historique et de stabilité régionale, envoie un signal fort susceptible de redéfinir les dynamiques diplomatiques sur le continent.

Le rôle clé de l'OCP et l'intégration économique

On ne peut certainement et raisonnablement parler de la stratégie du Royaume pour la conquête des fiefs adversaires en Afrique anglophone, sans parler des efforts extraordinaires d’OCP group qui accompagnent ou appuient l’action de la diplomatie marocaine. À travers sa filiale OCP Africa, il développe des solutions adaptées pour libérer le potentiel agricole africain, aidant ainsi les fermiers à augmenter les rendements de leurs exploitations et à faire face aux défis du changement climatique. La présence notable d’OCP group en Tanzanie, par exemple, a contribué de manière significative à la souveraineté alimentaire de ce pays.
Autre exemple illustrant l’engagement du géant phosphatier en Afrique, l'usine d'engrais réalisée à Bugesera (est), en partenariat avec le gouvernement rwandais. Dans cette unité, la production d'engrais de haute qualité a démarré depuis août 2023, contribuant ainsi à renforcer la sécurité alimentaire et à promouvoir le développement agricole au Rwanda et dans la région de l’Afrique de l’Est. Érigée sur une superficie de 8 hectares, cette structure comprend une unité moderne de mélange d'engrais d'une capacité de 120 tonnes par heure, une unité de stockage de 25.000 tonnes, un laboratoire équipé des dernières technologies pour garantir le contrôle de qualité des produits, l'analyse, la catégorisation et la définition des propriétés du sol, ainsi qu'une ferme pilote pour les essais agricoles et la formation des agriculteurs.

D'une capacité de production annuelle s'élevant à près de 100.000 tonnes, cette usine vise à augmenter de 40% la productivité agricole au Rwanda, et ce grâce à des formules conçues spécialement pour améliorer le sol et l'équilibre des éléments nutritionnels. L’usine Bugesera s’inscrit dans une approche stratégique dite «Green Africa» pour l’horizon 2025, s’articulant autour du développement des formules d’engrais les plus efficaces et les plus adaptées aux besoins des sols et des plantes. Outre le Rwanda, cette approche est à l’œuvre dans d’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, le Bénin, la République démocratique du Congo, l’Angola, la Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe, le Mozambique, le Kenya, le Ghana, l’Éthiopie et Nigeria.

Le parti MK d'Afrique du Sud «reconnaît le contexte historique et juridique qui renforce la revendication du Maroc sur le Sahara»

M. Jacob Zuma, ex-président de l’Afrique du Sud et leader du parti Umkhonto we Sizwe (MK), a indiqué que son parti estimait que la proposition marocaine d’autonomie «permettra une gouvernance locale significative par les populations de la région du Sahara, tout en garantissant au Maroc sa souveraineté sur le Sahara». Cette position a été exprimée dans une déclaration à la presse de M. Zuma à l’issue de ses entretiens, le 15 juillet 2025, avec le ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, Nasser Bourita. L'ex-président sud-africain a ajouté que son parti, le MKP, «reconnaît le contexte historique et juridique qui renforce la revendication du Maroc sur le Sahara» et «estime que les efforts du Maroc pour recouvrer sa pleine intégrité territoriale s'inscrivent dans la continuité de l'engagement du parti MK à préserver la souveraineté et l'unité des États africains».

Tout en reconnaissant «le soutien international et continental croissant que la proposition marocaine d'autonomie a reçu ces dernières années», M. Zuma a estimé que la proposition d’autonomie «offre une voie équilibrée qui favorise la stabilité, la paix et le développement dans la région», appelant «la communauté internationale à soutenir le plan d'autonomie du Maroc, qui constitue un moyen efficace d'assurer la paix, la stabilité et la prospérité du peuple du Sahara». Cette position s’inscrit dans le cadre de la position politique du parti MK «visant à apporter une solution concrète au long débat sur l'avenir de la région du Sahara», publiée par le parti le mois dernier, dans un document intitulé «Un partenariat stratégique pour l'unité africaine, l'émancipation économique et l'intégrité territoriale : Maroc».

Entretien avec le professeur de droit et de relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat

Zakaria Abouddahab : «L’approche consistant à découpler la coopération économique des désaccords politiques commence à porter ses fruits»

Sahara : le Maroc à la conquête de l’Afrique anglophone



Zakaria Abouddahab estime que les pays africains anglophones encore réticents finiront par reconsidérer leurs positions dépassées et rejoindre le consensus mondial sur la marocanité du Sahara. Selon ce professeur de sciences politiques et spécialiste en relations internationales, la stratégie pragmatique adoptée par le Royaume depuis son retour à l’UA s’avère pertinente et efficace vu ses retombées diplomatiques. L’ approche «découplée», qui privilégie la coopération économique, même si des désaccords politiques persistent sur la question de l'intégrité territoriale du Maroc s’est avérée payante, ajoute cet expert. «Cette approche géoéconomique commence à porter ses fruits, créant des interdépendances et contribuant à apaiser les tensions politiques», explique M. Abouddahab, qui précise toutefois que beaucoup reste à faire, notamment en termes de communication, d’action sur le terrain et de diplomatie publique.

Le Matin : La diplomatie marocaine, portée par la Vision Royale et la volonté de consolider sa position sur le dossier du Sahara marocain, a déployé une stratégie active en Afrique. La tournée Royale, qui a précédé la réintégration du Royaume à l'Union africaine, a ciblé des pays d'Afrique de l'Est et centrale (Rwanda, Tanzanie, Éthiopie, Zambie, Nigeria). Pouvez-vous nous expliquer comment cette tournée Royale a permis d’ouvrir de nouveaux horizons pour le pays et quelles ont été les retombées concrètes de cette stratégie en termes de soutien au Sahara marocain ?

Zakaria Abouddahab :
Depuis son intronisation, Sa Majesté le Roi Mohamed VI a fait du continent africain une priorité de sa vision proactive, ciblant à la fois les pays avec lesquels le Maroc entretient des liens traditionnels et ceux avec lesquels les relations de partenariat étaient moins développées. L'objectif était de redéployer stratégiquement le Maroc sur le continent et de préparer sa réintégration au sein de l'Union africaine (UA), dont il fut l'un des fondateurs en 1963. Il est essentiel de souligner que Sa Majesté le Roi intervient non seulement pour défendre sa vision du développement du continent, mais également à travers ses déplacements, qui ont couvert un grand nombre de pays africains, notamment en Afrique centrale, de l'Est et de l'Ouest.

Cette politique a porté ses fruits. Les visites Royales, y compris dans des pays anglophones comme le Nigeria et le Ghana, ont conduit ces nations importantes à reconsidérer leur position sur la question de la reconnaissance de la prétendue République séparatiste. De plus, elles ont favorisé le développement des relations économiques. Par exemple, la visite de Sa Majesté au Ghana en 2017 a mené à la création de commissions mixtes et à la signature d'accords significatifs. Le projet de gazoduc Maroc-Nigeria, initié avec le président Buhari lors de la visite du Souverain en 2016, concerne désormais 11 pays, dont la majorité est membre de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). Cette politique s'est encore manifestée en l’année 2000, lorsque le Souverain a annoncé l'annulation de la dette des pays africains les moins avancés envers le Maroc, lors du premier Sommet euro-africain au Caire. Progressivement, une feuille de route multidimensionnelle a été élaborée, visant tous les pays africains, répartis dans les cinq régions : Afrique centrale, de l'Est, australe, de l'Ouest, et bien sûr l'Afrique du Nord, à laquelle le Royaume appartient.

En résumé, la démarche de Sa Majesté est pragmatique, tout en étant guidée par une vision basée sur l'appropriation. Le discours d'Abidjan en 2014, «l'Afrique aux Africains», illustre cette vision de co-construction et de coopération Sud-Sud, selon laquelle l'Afrique peut maîtriser son propre développement. Cette approche a préparé le terrain pour le retour institutionnel du Maroc au sein de l'Union africaine en 2017 et a gagné la considération de la majorité des États africains. Récemment, l'ancien président sud-africain, Jacob Zuma, leader d'un parti d'opposition, a réévalué la position de l'Afrique du Sud, exprimant son soutien à l'intégrité territoriale du Maroc et rappelant le soutien historique du Maroc à Nelson Mandela, figure de proue de la résistance africaine anticoloniale et anti-apartheid. En conclusion, la stratégie et la démarche de Sa Majesté ont réinscrit et repositionné le Maroc au cœur du développement africain. Le Maroc est perçu comme un moteur de développement, jouant un rôle important au niveau continental, régional et bilatéral.

Le Maroc a significativement renforcé son influence en Afrique anglophone, gagnant le soutien de 11 des 22 pays. Cependant, des bastions clés restent à conquérir. Que faut-il faire concrètement pour rallier ces pays à notre cause, quels leviers faut-il actionner ?

L'Afrique, c'est une mosaïque, une richesse de peuples et de langues. On y trouve l'Afrique francophone, hispanophone, lusophone et anglophone, chacune avec ses spécificités. Historiquement, le Maroc a tissé des liens privilégiés avec les pays francophones. Cela remonte à notre lutte commune contre le colonialisme, à notre engagement dans des forums panafricains et à la construction d'une identité africaine commune, dès les années 1960. Feu le Roi Mohammed V, père de la nation, a joué un rôle clé dans cette démarche. Bien sûr, des efforts ont été déployés pour s'ouvrir aux autres sphères linguistiques et culturelles, mais les débuts n'ont pas toujours été simples. La stratégie d'isolement menée par l'Algérie à l'époque a parfois freiné notre rayonnement continental, et le retrait du Maroc de l'Union africaine en 1984, suite à l'admission du front séparatiste du «polisario», a entraîné une perte d'influence, notamment auprès des pays anglophones.

Aujourd'hui, fort heureusement, la tendance s'inverse. Depuis notre retour au sein de l'Union africaine, nous avons adopté une approche «découplée», qui privilégie la coopération économique, même si des désaccords politiques persistent sur la question de l'intégrité territoriale du Maroc. On observe de belles collaborations avec des pays comme le Kenya, l'Éthiopie ou l'Angola. Cette approche géoéconomique commence à porter ses fruits, créant des interdépendances et contribuant à apaiser les tensions politiques.

Mais il reste beaucoup à faire. Il faut renforcer la communication, agir sur le terrain, intensifier la diplomatie publique, favoriser les échanges universitaires et attirer les étudiants anglophones et autres. Pour cela, une stratégie commune, coordonnée entre tous les ministères, est essentielle. Ce n'est pas seulement une affaire de diplomatie, mais aussi d'éducation, de tourisme, de convergence des politiques publiques... Il faut une véritable feuille de route globale, incluant une communication multilingue efficace, pour informer les États et les populations de l'évolution de notre Royaume. Donc oui, des efforts ont été faits, c'est indéniable. Mais il faut aller plus loin, en multipliant les actions sur le terrain, en mobilisant tous les acteurs, dans tous les domaines : universitaire, scientifique, éducatif, social, culturel, artistique... pour véritablement rayonner sur tout le continent.

L’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Éthiopie, la Tanzanie, le Botswana et l’Île Maurice figurent dans le Top 10 des économies les plus puissantes d'Afrique subsaharienne. Cela fait 6 puissances d’Afrique anglophone qui ne soutiennent pas le Maroc. Pourquoi ces pays persistent-ils dans des positions hostiles selon vous ? et pourquoi n’a-t-on pas pu jusqu’à présent gagner leur adhésion à notre vision ?

Commençons par relativiser un peu les choses concernant ces pays que vous avez mentionnés. Pour l'Afrique du Sud, comme je l'ai souligné précédemment, la troisième force politique du pays est en train de se préparer potentiellement à une alternance. Lorsqu'un parti d'opposition, représentant cette troisième force, gagne du terrain, cela offre au Maroc une opportunité de renforcer ses canaux de communication et d'influence. Cela peut également entraîner une dynamique favorable, incitant d'autres partis ou positions à s'aligner ou à suivre cette tendance.

Pour le Nigeria, les choses évoluent progressivement, inéluctablement. Il est probable que la position du Nigeria s'aligne sur le consensus international, qui soutient majoritairement le plan d'autonomie marocain, avec déjà plus d'une centaine de pays qui l'appuient. Les grands projets économiques en cours devraient faciliter cette évolution, et pourraient même mener à des rencontres au sommet pour établir une nouvelle feuille de route. Pour la Tanzanie, le Botswana, l'Île Maurice et l'Éthiopie, là aussi, des avancées sont possibles. On pense notamment aux projets de l'OCP, comme la construction d'un complexe pour la production de phosphate et d'acide sulfurique. De plus, la coopération militaire est un atout majeur. Le Maroc a récemment conclu des accords dans ce sens avec l'Éthiopie, un pays important et désormais membre des BRICS. Mais ce qui est essentiel, c'est une démarche de «reconquête» à plusieurs niveaux (investissements, culture, communication...). Il faut également gagner les esprits. Certains dirigeants ont des préjugés ou des idées reçues sur le Maroc, souvent influencés par des idéologies obsolètes. Le Maroc, grâce à son rayonnement, à sa crédibilité et à sa visibilité croissante, joue désormais un rôle majeur sur le continent. Son action multidimensionnelle, que ce soit en matière de droits de l'Homme, de sécurité ou de participation aux opérations de maintien de la paix, en fait un acteur stabilisateur et développeur. De plus, sa position de premier investisseur en Afrique de l'Ouest et de deuxième au niveau continental lui confère une influence importante.

Le Maroc profite également des sommets avec les puissances internationales (Chine, États-Unis, Russie, Union européenne, etc.) pour plaider en faveur du développement des pays africains, y compris ceux ayant des positions réticentes envers le Royaume, notamment dans les sphères anglophones. Ces derniers finiront par s'adapter, reconsidérer leurs positions dépassées et rejoindre le consensus mondial, en apportant un soutien clair à l'intégrité territoriale du Maroc et à son plan d'autonomie pour les provinces du Sud.

Pensez-vous que la nouvelle position du Royaume-Uni et son soutien au plan d’autonomie vont favoriser le rapprochement avec ces pays ? la position de Londres peut-elle influencer leur position ?

Absolument ! Personnellement, je pense que le Royaume-Uni, avec son poids sur la scène internationale, notamment au sein du monde anglophone, a une influence non négligeable. D'ailleurs, je pense que cela pouvait également être perçu à travers la position exprimée par le ministre britannique des Affaires étrangères lors de ses entretiens avec son homologue marocain le mois dernier (juin 2025 NDLR). N'oublions pas que le Royaume-Uni est un membre permanent du Conseil de sécurité. Ses prises de position, au fil du temps, peuvent donc amener d'autres pays, en particulier ceux de la sphère anglophone, à se rallier. C'est tout à fait logique. Cela dit, cela nécessite une approche stratégique : accompagner le Maroc dans ses rencontres internationales et régionales, préparer le terrain pour que d'autres pays anglophones adhèrent à cette vision. Le Royaume-Uni lui-même favorise déjà une coopération accrue avec le Maroc, comme en témoigne l'accord d'association de 2018, entré en vigueur l'année suivante. L'important, c'est que ces rencontres entre le Maroc et le Royaume-Uni deviennent des plateformes pour inviter d'autres pays à discuter et à intégrer le plan d'autonomie marocain.

Si un pays anglophone siège au Conseil de sécurité, même en tant que membre non permanent, cela ouvre la voie à des consultations. Et, en perspective de l'élection du Maroc en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité – une candidature soutenue par la Ligue arabe –, la démarche s'inscrirait dans le long terme. C'est d'ailleurs l'esprit même de l'approche marocaine : non seulement défendre l’intégrité territoriale du Royaume, mais assurer sur le long terme la protection de ses intérêts stratégiques.

Après le Kenya, qui est le prochain ou qui sont les prochains sur la liste à votre avis ? Dans quelle mesure la position de Nairobi peut-elle avoir un effet d’entraînement sur d’autres pays de sa région ?

C'est une excellente question ! Aujourd'hui, on constate que la position du Maroc est largement soutenue par la plupart des pays africains, voire la quasi-totalité. Bien sûr, il reste quelques voix discordantes, des pays comme la Namibie et surtout l'Afrique du Sud, qui n'ont pas encore basculé. Mais, et c'est là où ça devient intéressant, je sens qu'un travail de fond est en cours. On prépare le terrain, on redéploie nos forces diplomatiques. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a tracé la voie et nous rappelle constamment les objectifs à atteindre. On a un rendez-vous important en octobre 2025, avec l'adoption d'une nouvelle résolution au Conseil de sécurité. On espère que cette nouvelle résolution permettra de recentrer le plan d'autonomie marocain au cœur des discussions, tout en respectant les codes de la diplomatie onusienne. Les choses avancent, c'est indéniable.

Pour autant, je pense qu’il est difficile de dire quels pays rejoindront le mouvement ensuite, on ne peut pas vraiment les nommer. Mais, à mon avis, le plus important, c'est d'obtenir une majorité encore plus forte à l'échelle continentale, au sein même de l'Union africaine. Si cette majorité est atteinte, on pourra envisager d'autres étapes, comme une procédure d'exclusion ou de suspension des séparatistes. Car, au final, la vérité finit toujours par triompher.

Donc, après le Kenya, il est difficile de prédire avec certitude qui sera le prochain, mais on observe des mouvements intéressants, comme l'écho actuel de certaines voix au Congrès américain qui envisagent de qualifier le polisario d'organisation terroriste, faisant référence à leurs actions déstabilisatrices et aux attaques contre des civils, comme à Smara. Pour moi, cela indique que les manœuvres dilatoires des séparatistes, soutenus notamment par l'Algérie, montrent leurs limites. La thèse séparatiste semble en déclin, et il est temps de l'enterrer définitivement, car elle cause des souffrances à d'autres pays africains.

Prenons l'exemple de l'accord de paix récent entre le Rwanda et la RDC, concernant le M23, sous l'égide des Américains. Cela illustre bien le besoin urgent de stabilité en Afrique. De plus, l'annonce du 15 juillet 2025, où M. Zuma, en tant que président du parti Umkhonto we Sizwe (MK), a soutenu l'intégrité territoriale marocaine, est une évolution doctrinale significative. Le Maroc perçoit cela comme le résultat d'une action menée sur plusieurs fronts, à l'échelle africaine et mondiale. Les reconnaissances internationales des États-Unis, de la France, de l'Angleterre et d'autres pays ne sont pas passées inaperçues. Je pense que nous sommes dans une nouvelle phase des relations entre le Maroc et les États africains. Mais, et c'est crucial, le travail doit continuer dans cette direction.

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