Le Matin : Votre livre propose une thèse audacieuse sur l'implication directe de l'Algérie dans la perpétuation du conflit du Sahara. Quels sont, selon vous, les principaux facteurs qui motivent cette politique algérienne hostile au Maroc ?
Yasmine Hasnaoui : Les résultats de mon travail s'appuient sur une compréhension approfondie des politiques intérieures et extérieures du régime algérien. La perpétuation par l'Algérie du conflit du Sahara s'inscrit dans des contextes historiques, idéologiques et géopolitiques qui s’entremêlent, le tout sur fond d’une rivalité hégémonique. La question du Sahara s'est cristallisée lorsque le Maroc a signé l'accord de Madrid. Houari Boumédiène a alors riposté en modifiant la position de son gouvernement, qui soutenait initialement les revendications du Maroc, pour adopter une posture plus intransigeante en soutenant le Front Polisario et en lui offrant refuge et appui dans la région de Tindouf. Il a également apporté son appui inconditionnel à l'établissement du gouvernement de la RASD en exil en Algérie et lui a accordé un soutien diplomatique, financier et militaire inconditionnel. Les présidents algériens qui ont succédé à Houari Boumédiène ont perpétué sa stratégie, à l'exception de Mohamed Boudiaf, qui a mené des efforts sincères pour trouver un terrain d'entente pour la résolution de ce problème.
Depuis lors, la position de l'Algérie est demeurée immuable et ne semble pas encline à évoluer. L'Algérie instrumentalise le conflit du Sahara comme un prétexte pour justifier son antagonisme envers le Maroc. Derrière le soutien des généraux algériens au Polisario se dissimule un complexe qui a la peau dure : la détermination de ce pays à prendre sa revanche sur les victoires historiques du Maroc, notamment la guerre des Sables en 1963, et à entraver la reconquête par le Maroc de son leadership incontesté dans la région du Maghreb. Autre motif de l’acharnement : le succès du Maroc au sein des instances internationales. Il est parvenu à rallier plusieurs pays et grandes puissances mondiales, soit à reconnaître la marocanité du Sahara, soit à considérer le plan d'autonomie comme une contribution sérieuse et réaliste au processus politique recommandé par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le Maroc a réussi le pari de diversifier ses alliés aux quatre coins du monde, contrairement à l'Algérie qui n'hésite pas à rompre ses relations avec les pays souhaitant aider le Maroc à mettre fin à ce conflit régional et artificiel.
Tous ces succès ont engendré un mécontentement croissant chez l'Algérie, et ce mécontentement s'est mué au fil du temps en une volonté implacable de vengeance et de nuisance, se manifestant par la promotion du séparatisme sur le sol marocain et par une hostilité fébrile à l’égard de tout ce qui est pro-marocain. Le mode opérationnel de l'Algérie consiste à provoquer et à alimenter un pseudo-patriotisme contre ses ennemis. Depuis trois décennies, ce pays éprouve constamment le besoin de créer des ennemis extérieurs pour mobiliser le soutien national et détourner l'attention des citoyens algériens de leurs problèmes économiques et sociaux.
Vous affirmez avoir mené des entretiens avec des acteurs clés et des experts des deux pays. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces sources et la manière dont elles ont nourri votre analyse ?
Le travail que j'ai mené sur la question du Sahara marocain est une recherche de terrain exhaustive, réalisée sur plusieurs années, notamment durant mes recherches doctorales. J'ai conduit des entretiens dans plus d'une dizaine de pays, impliquant plus d'une trentaine de personnalités et de diplomates marocains, algériens, français et américains ayant participé aux négociations, ainsi que des experts sur la question du Sahara marocain et les relations maroco-algériennes. Ces déplacements dans les différents pays ont été effectués par mes propres moyens.
Parmi les personnalités interrogées figurent M'hamed Boucetta, Mohamed El Yazghi, Bachir Edkhil, Hassan Aourid, Cheikh Malainaine Larabass, Yahya Zoubir (universitaire algérien), William Zartman, Paul Balta (journaliste français qui a fréquemment côtoyé Houari Boumédiène), John Bolton (ancien conseiller à la sécurité nationale sous l'administration Trump), Anne Theophilopoulou (ancienne collaboratrice proche de James Baker), plusieurs ambassadeurs américains en poste à Alger, deux opposants algériens, des membres du bureau politique du FLN, l'ancien chargé d'affaires politiques de l'ambassade d'Algérie au Maroc (avant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays), d'anciens employés du Pentagone à Washington D.C., et bien d'autres encore. L'objectif de ces entretiens, menés auprès d'interlocuteurs des deux bords, était de garantir l'objectivité de mon analyse. C'est pourquoi j'ai interrogé des personnalités tant du côté marocain qu'algérien.
Ces interlocuteurs ont été sélectionnés sur la base de leur connaissance approfondie du conflit du Sahara, des relations extérieures de l'Algérie et du Maroc, ainsi que du système politique algérien. Ces acteurs provenaient de divers horizons politiques, comprenant des personnes impliquées (ou ayant été impliquées) dans la politique et le processus de paix, ainsi que des analystes portant un regard plus distant sur la politique et le conflit. Ces entretiens ont significativement contribué au processus d'investigation sur le rôle de l'Algérie dans le conflit du Sahara. De plus, ils ont permis de poser des questions directes à des personnes détenant des connaissances essentielles sur le thème de l'ouvrage.
L'Algérie nie catégoriquement toute implication directe dans ce conflit, le présentant comme une question de décolonisation relevant de l'ONU. Comment votre livre déconstruit-il cet argumentaire officiel algérien ?
Le dernier chapitre de mon ouvrage analyse en détail le rôle de chaque président et des militaires algériens et leur implication directe dans le conflit du Sahara. J'y déconstruis l'argumentaire officiel algérien et démontre l'implication de tous les présidents algériens, à l'exception de Boudiaf (qui souhaitait sincèrement résoudre ce problème), dans le conflit. Il convient d'ajouter que l'ensemble des entretiens que j'ai menés corrobore l'implication de l'Algérie dans l'impasse de la résolution du dossier du Sahara marocain. Depuis la récupération du Sahara par le Maroc, l'Algérie conteste cette décision et, en guise de représailles, soutient le Polisario – qu’elle a créé – militairement, diplomatiquement et financièrement. La République algérienne était et est déterminée à empêcher l’émergence du Maroc comme puissance en Afrique du Nord. Si Alger n'a jamais revendiqué officiellement son implication dans le conflit du Sahara, elle en est de facto l’instigateur et un acteur majeur.
Au sein de l'ONU, l'Algérie s'est fortement impliquée diplomatiquement pour aider le Polisario et donner écho à ses revendications en promouvant l'autodétermination basée sur la tenue d'un référendum. Cette démarche a débuté avec le deuxième président algérien, Houari Boumédiène, qui était résolument en faveur de l'autodétermination du Sahara. Son accord pour fournir au Polisario des armes, un soutien politique, un sanctuaire et des installations d'information a provoqué des tensions intermittentes dans les relations maroco-algériennes. L’implication de l'Algérie dans le conflit du Sahara, en particulier au niveau de l'ONU, est plus qu’évidente. Elle a contribué à la rédaction de l'accord du plan Baker I, de même qu’elle a pris l’initiative pour intégrer un chapitre sur les droits de l'Homme dans les attributions de la Minurso. L’Algérie a tout fait dans son entreprise pour l'indépendance du Sahara, allant jusqu’à refuser de collaborer avec les envoyés personnel du Secrétaire général de l'ONU qui prônent des solutions réalistes, comme dans les cas de De Soto, Van Walsum et De Mistura.
Dans sa communication officielle à l'ONU, l'Algérie s'est parfois présentée comme «une partie concernée», un «acteur important» ou une «partie dans le règlement du différend». Autre élément qui démontre l’implication de l'Algérie : son refus systématique de permettre au Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de procéder à un recensement indépendant pour déterminer le nombre de Sahraouis vivant dans les camps de Tindouf. La communauté internationale exerce une pression pour qu'un recensement indépendant soit effectué, mais cette volonté se heurte à une résistance farouche à Alger. Depuis plus de 40 ans, l'ONU n'a pas réussi à contraindre l'Algérie à accéder aux demandes du HCR de remplir son mandat et de procéder à un recensement de la population sahraouie dans les camps de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie.
Pis, plusieurs rapports publiés par des agences de l'ONU, telles que le HCR et le Programme alimentaire mondial, mettent en évidence le détournement par l'Algérie et le Polisario de l'aide humanitaire destinée à la population sahraouie de Tindouf. Enfin, doit-on rappeler que l'Algérie est également citée plus de 5 fois dans les résolutions du Conseil de sécurité et des rapports de l'ONU pour prendre part aux tables rondes de Genève, ce qui atteste son implication sans l’ombre d’un doute.
Quelles sont, selon vous, les conséquences du conflit du Sahara sur les relations algéro-marocaines actuelles ? Pensez-vous que ces relations pourraient s'améliorer si une solution était trouvée ?
Dans le contexte d'une Algérie gouvernée par un système militaire et opaque, aucun changement concernant la politique étrangère algérienne envers le Sahara n'est envisageable. Tant que les mêmes dirigeants militaires resteront au pouvoir, aucun président ne sera en mesure de modifier le statu quo. Une véritable évolution de la politique étrangère nécessiterait une refonte complète du système qui affranchirait le pays de l'emprise des positions anti-marocaines et des idéologies surannées. À l'heure actuelle, il n'y a que peu d'espoir d'une inflexion de cette politique étrangère algérienne en raison de l'incapacité du gouvernement algérien à agir, car ce dernier demeure otage d’une mentalité figée et foncièrement rétive. L'Algérie est en effet paralysée par ses généraux et ses anciens présidents.
Avec un rajeunissement de l'armée algérienne, la politique de ce pays à l'égard du Sahara pourrait évoluer et, potentiellement, les relations entre le Maroc et l'Algérie pourraient s'améliorer. L'armée devrait adopter un nouvel état d'esprit, en donnant la priorité à son propre peuple plutôt qu’aux rivalités basées sur des idéologies dépassées. Pour y parvenir, un changement de régime est nécessaire, les dirigeants des 50 dernières années devraient se retirer complètement de la scène politique afin que de nouveaux leaders, non empêtrés dans les mêmes luttes personnelles et idéologiques, puissent accéder au pouvoir. Plus important encore, une véritable transformation démocratique émanant de l'intérieur de l'Algérie. Tant que l'une ou l'autre de ces conditions ne s’est pas remplie, l'Algérie ne changera pas. Il est donc impératif, dans l'intérêt des deux pays et plus généralement du Maghreb, que l'Algérie et le Maroc dépassent leurs désaccords. L'Algérie sait pertinemment que le Maroc ne cédera pas un pouce de ses provinces sahariennes.
Au niveau des Nations unies, seules la solution politique et le plan d'autonomie sont évoqués de manière récurrente. L'Algérie apparaît comme le seul obstacle au travail du Maroc et à celui de la communauté internationale. Par conséquent, une refonte complète au niveau du pouvoir algérien, à même de libérer le pays de l'emprise des vieilles idéologies, semble nécessaire.
Vous liez l'enlisement du conflit à l'échec de l'intégration maghrébine. Une résolution du conflit ouvrirait-elle la voie à une relance du processus d'intégration régionale ?
L'absence d'intégration régionale des pays du Maghreb engendre une perte annuelle d'au moins deux points de PIB, principalement en raison des désaccords entre le Maroc et l'Algérie. Historiquement, la région du Maghreb a été confrontée à de nombreux défis et obstacles dans sa quête d'une unité. Après la création de l'Union du Maghreb arabe (UMA), tous les espoirs d'une intégration politique et économique durable s’étaient rapidement évanouis, en raison de la méfiance algéro-marocaine et des divergences concernant le conflit du Sahara. L’UMA est entrée alors en léthargie. Et les choses ont empiré lorsque l'Algérie a refusé de la relancer en excluant le Maroc et la Mauritanie, une initiative qui a conduit de nombreux observateurs à conclure que la concrétisation de ce projet est peu probable sans la participation et l'implication effectives de toutes les parties concernées.
Depuis la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara en décembre 2020, avez-vous observé une inflexion ou une réaction de la politique algérienne sur ce dossier ?
Ce que l'Algérie redoutait le plus s'est finalement concrétisé avec la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Suite à cette reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, plusieurs pays ont emboîté le pas à Washington. Les pays ayant une responsabilité historique envers le Sahara, tels que l'Espagne, ont adopté une posture plus constructive en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur cette région. Il s'agit en effet d'un revirement salutaire après des années d'ambiguïté et de neutralité prudente de la part notamment de la France et de l'Espagne.
Le premier mandat du président Abdelmajid Tebboune a été marquée ̶ rappelons-le ̶ par plusieurs crises avec divers pays qui ont soutenu le Maroc dans la résolution de ce conflit. En juin 2022, l'Algérie a rappelé son ambassadeur à Madrid suite à l'approbation par l'Espagne du plan d'autonomie marocain comme solution crédible au conflit du Sahara, entraînant la suspension d'un traité d'amitié vieux de deux décennies avec l'Espagne et la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe. Actuellement, Abdelmajid Tebboune menace les entreprises espagnoles de couper leur approvisionnement en gaz si elles revendent le gaz algérien au Maroc. En 2024, l'Algérie a immédiatement riposté à la décision de la France en rappelant son ambassadeur. Bien que l'Algérie n'ait pas rompu ses relations diplomatiques avec la France, cette décision a des conséquences désastreuses sur les relations bilatérales. Par ces actions, le président Abdelmajid Tebboune semble reléguer au second plan le bien-être de ses citoyens au profit d'un conflit régional et artificiel géré exclusivement par Conseil de sécurité de l'ONU.
Votre livre vise à combler un vide dans la littérature en langue anglaise sur ce conflit. Pensez-vous que la compréhension de ce dossier souffre d'un manque de connaissance au niveau international ?
L'objectif de mon ouvrage est effectivement de combler une lacune dans la littérature de langue anglaise concernant ce conflit artificiel dans les pays anglophones. Mon livre est le premier au Maroc, rédigé en anglais, à traiter en profondeur de la question du rôle de la politique étrangère de l'Algérie sur la question du Sahara. J'ai choisi de le publier avec une maison d'édition basée dans le Maryland, aux États-Unis.
L'une des questions que je posais aux officiels, experts et diplomates que j'ai rencontrés aux États-Unis était de savoir les raisons de l'incompréhension qui entoure ce conflit dans les pays anglophones. Leurs réponses étaient invariables : il existe une réelle pénurie de publications en anglais émanant de la partie marocaine pour expliquer les tenants et les aboutissants de ce conflit. Ce manque de publications en anglais a été exploité par les adversaires du Maroc. Malgré les évolutions survenues au Maroc, seuls quelques livres et articles sont actuellement publiés en anglais pour soutenir la thèse marocaine. Il faudra néanmoins du temps pour déconstruire ces quarante années de propagande qui a inondé le monde académique anglophone.
Yasmine Hasnaoui : Les résultats de mon travail s'appuient sur une compréhension approfondie des politiques intérieures et extérieures du régime algérien. La perpétuation par l'Algérie du conflit du Sahara s'inscrit dans des contextes historiques, idéologiques et géopolitiques qui s’entremêlent, le tout sur fond d’une rivalité hégémonique. La question du Sahara s'est cristallisée lorsque le Maroc a signé l'accord de Madrid. Houari Boumédiène a alors riposté en modifiant la position de son gouvernement, qui soutenait initialement les revendications du Maroc, pour adopter une posture plus intransigeante en soutenant le Front Polisario et en lui offrant refuge et appui dans la région de Tindouf. Il a également apporté son appui inconditionnel à l'établissement du gouvernement de la RASD en exil en Algérie et lui a accordé un soutien diplomatique, financier et militaire inconditionnel. Les présidents algériens qui ont succédé à Houari Boumédiène ont perpétué sa stratégie, à l'exception de Mohamed Boudiaf, qui a mené des efforts sincères pour trouver un terrain d'entente pour la résolution de ce problème.
Depuis lors, la position de l'Algérie est demeurée immuable et ne semble pas encline à évoluer. L'Algérie instrumentalise le conflit du Sahara comme un prétexte pour justifier son antagonisme envers le Maroc. Derrière le soutien des généraux algériens au Polisario se dissimule un complexe qui a la peau dure : la détermination de ce pays à prendre sa revanche sur les victoires historiques du Maroc, notamment la guerre des Sables en 1963, et à entraver la reconquête par le Maroc de son leadership incontesté dans la région du Maghreb. Autre motif de l’acharnement : le succès du Maroc au sein des instances internationales. Il est parvenu à rallier plusieurs pays et grandes puissances mondiales, soit à reconnaître la marocanité du Sahara, soit à considérer le plan d'autonomie comme une contribution sérieuse et réaliste au processus politique recommandé par le Conseil de sécurité des Nations unies. Le Maroc a réussi le pari de diversifier ses alliés aux quatre coins du monde, contrairement à l'Algérie qui n'hésite pas à rompre ses relations avec les pays souhaitant aider le Maroc à mettre fin à ce conflit régional et artificiel.
Tous ces succès ont engendré un mécontentement croissant chez l'Algérie, et ce mécontentement s'est mué au fil du temps en une volonté implacable de vengeance et de nuisance, se manifestant par la promotion du séparatisme sur le sol marocain et par une hostilité fébrile à l’égard de tout ce qui est pro-marocain. Le mode opérationnel de l'Algérie consiste à provoquer et à alimenter un pseudo-patriotisme contre ses ennemis. Depuis trois décennies, ce pays éprouve constamment le besoin de créer des ennemis extérieurs pour mobiliser le soutien national et détourner l'attention des citoyens algériens de leurs problèmes économiques et sociaux.
Vous affirmez avoir mené des entretiens avec des acteurs clés et des experts des deux pays. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces sources et la manière dont elles ont nourri votre analyse ?
Le travail que j'ai mené sur la question du Sahara marocain est une recherche de terrain exhaustive, réalisée sur plusieurs années, notamment durant mes recherches doctorales. J'ai conduit des entretiens dans plus d'une dizaine de pays, impliquant plus d'une trentaine de personnalités et de diplomates marocains, algériens, français et américains ayant participé aux négociations, ainsi que des experts sur la question du Sahara marocain et les relations maroco-algériennes. Ces déplacements dans les différents pays ont été effectués par mes propres moyens.
Parmi les personnalités interrogées figurent M'hamed Boucetta, Mohamed El Yazghi, Bachir Edkhil, Hassan Aourid, Cheikh Malainaine Larabass, Yahya Zoubir (universitaire algérien), William Zartman, Paul Balta (journaliste français qui a fréquemment côtoyé Houari Boumédiène), John Bolton (ancien conseiller à la sécurité nationale sous l'administration Trump), Anne Theophilopoulou (ancienne collaboratrice proche de James Baker), plusieurs ambassadeurs américains en poste à Alger, deux opposants algériens, des membres du bureau politique du FLN, l'ancien chargé d'affaires politiques de l'ambassade d'Algérie au Maroc (avant la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays), d'anciens employés du Pentagone à Washington D.C., et bien d'autres encore. L'objectif de ces entretiens, menés auprès d'interlocuteurs des deux bords, était de garantir l'objectivité de mon analyse. C'est pourquoi j'ai interrogé des personnalités tant du côté marocain qu'algérien.
Ces interlocuteurs ont été sélectionnés sur la base de leur connaissance approfondie du conflit du Sahara, des relations extérieures de l'Algérie et du Maroc, ainsi que du système politique algérien. Ces acteurs provenaient de divers horizons politiques, comprenant des personnes impliquées (ou ayant été impliquées) dans la politique et le processus de paix, ainsi que des analystes portant un regard plus distant sur la politique et le conflit. Ces entretiens ont significativement contribué au processus d'investigation sur le rôle de l'Algérie dans le conflit du Sahara. De plus, ils ont permis de poser des questions directes à des personnes détenant des connaissances essentielles sur le thème de l'ouvrage.
L'Algérie nie catégoriquement toute implication directe dans ce conflit, le présentant comme une question de décolonisation relevant de l'ONU. Comment votre livre déconstruit-il cet argumentaire officiel algérien ?
Le dernier chapitre de mon ouvrage analyse en détail le rôle de chaque président et des militaires algériens et leur implication directe dans le conflit du Sahara. J'y déconstruis l'argumentaire officiel algérien et démontre l'implication de tous les présidents algériens, à l'exception de Boudiaf (qui souhaitait sincèrement résoudre ce problème), dans le conflit. Il convient d'ajouter que l'ensemble des entretiens que j'ai menés corrobore l'implication de l'Algérie dans l'impasse de la résolution du dossier du Sahara marocain. Depuis la récupération du Sahara par le Maroc, l'Algérie conteste cette décision et, en guise de représailles, soutient le Polisario – qu’elle a créé – militairement, diplomatiquement et financièrement. La République algérienne était et est déterminée à empêcher l’émergence du Maroc comme puissance en Afrique du Nord. Si Alger n'a jamais revendiqué officiellement son implication dans le conflit du Sahara, elle en est de facto l’instigateur et un acteur majeur.
Au sein de l'ONU, l'Algérie s'est fortement impliquée diplomatiquement pour aider le Polisario et donner écho à ses revendications en promouvant l'autodétermination basée sur la tenue d'un référendum. Cette démarche a débuté avec le deuxième président algérien, Houari Boumédiène, qui était résolument en faveur de l'autodétermination du Sahara. Son accord pour fournir au Polisario des armes, un soutien politique, un sanctuaire et des installations d'information a provoqué des tensions intermittentes dans les relations maroco-algériennes. L’implication de l'Algérie dans le conflit du Sahara, en particulier au niveau de l'ONU, est plus qu’évidente. Elle a contribué à la rédaction de l'accord du plan Baker I, de même qu’elle a pris l’initiative pour intégrer un chapitre sur les droits de l'Homme dans les attributions de la Minurso. L’Algérie a tout fait dans son entreprise pour l'indépendance du Sahara, allant jusqu’à refuser de collaborer avec les envoyés personnel du Secrétaire général de l'ONU qui prônent des solutions réalistes, comme dans les cas de De Soto, Van Walsum et De Mistura.
Dans sa communication officielle à l'ONU, l'Algérie s'est parfois présentée comme «une partie concernée», un «acteur important» ou une «partie dans le règlement du différend». Autre élément qui démontre l’implication de l'Algérie : son refus systématique de permettre au Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) de procéder à un recensement indépendant pour déterminer le nombre de Sahraouis vivant dans les camps de Tindouf. La communauté internationale exerce une pression pour qu'un recensement indépendant soit effectué, mais cette volonté se heurte à une résistance farouche à Alger. Depuis plus de 40 ans, l'ONU n'a pas réussi à contraindre l'Algérie à accéder aux demandes du HCR de remplir son mandat et de procéder à un recensement de la population sahraouie dans les camps de Tindouf, dans le sud-ouest de l'Algérie.
Pis, plusieurs rapports publiés par des agences de l'ONU, telles que le HCR et le Programme alimentaire mondial, mettent en évidence le détournement par l'Algérie et le Polisario de l'aide humanitaire destinée à la population sahraouie de Tindouf. Enfin, doit-on rappeler que l'Algérie est également citée plus de 5 fois dans les résolutions du Conseil de sécurité et des rapports de l'ONU pour prendre part aux tables rondes de Genève, ce qui atteste son implication sans l’ombre d’un doute.
Quelles sont, selon vous, les conséquences du conflit du Sahara sur les relations algéro-marocaines actuelles ? Pensez-vous que ces relations pourraient s'améliorer si une solution était trouvée ?
Dans le contexte d'une Algérie gouvernée par un système militaire et opaque, aucun changement concernant la politique étrangère algérienne envers le Sahara n'est envisageable. Tant que les mêmes dirigeants militaires resteront au pouvoir, aucun président ne sera en mesure de modifier le statu quo. Une véritable évolution de la politique étrangère nécessiterait une refonte complète du système qui affranchirait le pays de l'emprise des positions anti-marocaines et des idéologies surannées. À l'heure actuelle, il n'y a que peu d'espoir d'une inflexion de cette politique étrangère algérienne en raison de l'incapacité du gouvernement algérien à agir, car ce dernier demeure otage d’une mentalité figée et foncièrement rétive. L'Algérie est en effet paralysée par ses généraux et ses anciens présidents.
Avec un rajeunissement de l'armée algérienne, la politique de ce pays à l'égard du Sahara pourrait évoluer et, potentiellement, les relations entre le Maroc et l'Algérie pourraient s'améliorer. L'armée devrait adopter un nouvel état d'esprit, en donnant la priorité à son propre peuple plutôt qu’aux rivalités basées sur des idéologies dépassées. Pour y parvenir, un changement de régime est nécessaire, les dirigeants des 50 dernières années devraient se retirer complètement de la scène politique afin que de nouveaux leaders, non empêtrés dans les mêmes luttes personnelles et idéologiques, puissent accéder au pouvoir. Plus important encore, une véritable transformation démocratique émanant de l'intérieur de l'Algérie. Tant que l'une ou l'autre de ces conditions ne s’est pas remplie, l'Algérie ne changera pas. Il est donc impératif, dans l'intérêt des deux pays et plus généralement du Maghreb, que l'Algérie et le Maroc dépassent leurs désaccords. L'Algérie sait pertinemment que le Maroc ne cédera pas un pouce de ses provinces sahariennes.
Au niveau des Nations unies, seules la solution politique et le plan d'autonomie sont évoqués de manière récurrente. L'Algérie apparaît comme le seul obstacle au travail du Maroc et à celui de la communauté internationale. Par conséquent, une refonte complète au niveau du pouvoir algérien, à même de libérer le pays de l'emprise des vieilles idéologies, semble nécessaire.
Vous liez l'enlisement du conflit à l'échec de l'intégration maghrébine. Une résolution du conflit ouvrirait-elle la voie à une relance du processus d'intégration régionale ?
L'absence d'intégration régionale des pays du Maghreb engendre une perte annuelle d'au moins deux points de PIB, principalement en raison des désaccords entre le Maroc et l'Algérie. Historiquement, la région du Maghreb a été confrontée à de nombreux défis et obstacles dans sa quête d'une unité. Après la création de l'Union du Maghreb arabe (UMA), tous les espoirs d'une intégration politique et économique durable s’étaient rapidement évanouis, en raison de la méfiance algéro-marocaine et des divergences concernant le conflit du Sahara. L’UMA est entrée alors en léthargie. Et les choses ont empiré lorsque l'Algérie a refusé de la relancer en excluant le Maroc et la Mauritanie, une initiative qui a conduit de nombreux observateurs à conclure que la concrétisation de ce projet est peu probable sans la participation et l'implication effectives de toutes les parties concernées.
Depuis la reconnaissance américaine de la souveraineté du Maroc sur le Sahara en décembre 2020, avez-vous observé une inflexion ou une réaction de la politique algérienne sur ce dossier ?
Ce que l'Algérie redoutait le plus s'est finalement concrétisé avec la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Suite à cette reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, plusieurs pays ont emboîté le pas à Washington. Les pays ayant une responsabilité historique envers le Sahara, tels que l'Espagne, ont adopté une posture plus constructive en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur cette région. Il s'agit en effet d'un revirement salutaire après des années d'ambiguïté et de neutralité prudente de la part notamment de la France et de l'Espagne.
Le premier mandat du président Abdelmajid Tebboune a été marquée ̶ rappelons-le ̶ par plusieurs crises avec divers pays qui ont soutenu le Maroc dans la résolution de ce conflit. En juin 2022, l'Algérie a rappelé son ambassadeur à Madrid suite à l'approbation par l'Espagne du plan d'autonomie marocain comme solution crédible au conflit du Sahara, entraînant la suspension d'un traité d'amitié vieux de deux décennies avec l'Espagne et la fermeture du gazoduc Maghreb-Europe. Actuellement, Abdelmajid Tebboune menace les entreprises espagnoles de couper leur approvisionnement en gaz si elles revendent le gaz algérien au Maroc. En 2024, l'Algérie a immédiatement riposté à la décision de la France en rappelant son ambassadeur. Bien que l'Algérie n'ait pas rompu ses relations diplomatiques avec la France, cette décision a des conséquences désastreuses sur les relations bilatérales. Par ces actions, le président Abdelmajid Tebboune semble reléguer au second plan le bien-être de ses citoyens au profit d'un conflit régional et artificiel géré exclusivement par Conseil de sécurité de l'ONU.
Votre livre vise à combler un vide dans la littérature en langue anglaise sur ce conflit. Pensez-vous que la compréhension de ce dossier souffre d'un manque de connaissance au niveau international ?
L'objectif de mon ouvrage est effectivement de combler une lacune dans la littérature de langue anglaise concernant ce conflit artificiel dans les pays anglophones. Mon livre est le premier au Maroc, rédigé en anglais, à traiter en profondeur de la question du rôle de la politique étrangère de l'Algérie sur la question du Sahara. J'ai choisi de le publier avec une maison d'édition basée dans le Maryland, aux États-Unis.
L'une des questions que je posais aux officiels, experts et diplomates que j'ai rencontrés aux États-Unis était de savoir les raisons de l'incompréhension qui entoure ce conflit dans les pays anglophones. Leurs réponses étaient invariables : il existe une réelle pénurie de publications en anglais émanant de la partie marocaine pour expliquer les tenants et les aboutissants de ce conflit. Ce manque de publications en anglais a été exploité par les adversaires du Maroc. Malgré les évolutions survenues au Maroc, seuls quelques livres et articles sont actuellement publiés en anglais pour soutenir la thèse marocaine. Il faudra néanmoins du temps pour déconstruire ces quarante années de propagande qui a inondé le monde académique anglophone.