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Sahara marocain : regards croisés sur le conflit régional, son évolution et les pistes de règlement envisageables

La question du Sahara marocain a fait l’objet d’une conférence organisée par le Parti de la justice et du développement (PJD). Les intervenants y ont souligné l’importance d’une résolution régionale du conflit, impliquant directement le Maroc et l’Algérie, face à une diplomatie perçue comme stagnante au sein des Nations unies. Les six experts conviés au débat ont mis en lumière la nécessité de réformer les relations maghrébines, de renforcer la diplomatie parlementaire et d’impliquer davantage les Sahraouis dans les discussions. Le débat appelle à un changement de paradigme dans la manière d’aborder la question du Sahara marocain. Les détails.

Lors d’une conférence scientifique organisée la semaine dernière à Rabat par le Parti de la justice et du développement (PJD), des experts ont discuté des défis posés par la question complexe du Sahara marocain et des solutions potentielles envisageables, soulignant l’importance d’une approche régionale pour apaiser les rivalités historiques entre le Maroc et l’Algérie et parvenir à une solution à ce conflit qui n’a que trop duré.

Une affaire régionale, pas internationale

Saïd Sadiki, professeur universitaire, a fermement soutenu que la résolution du conflit saharien ne saurait être envisagée sans prendre en compte la dynamique intrinsèque du système maghrébin. Selon lui, la rivalité historique et la méfiance entre le Maroc et l’Algérie, qui émanent de facteurs antérieurs à la question du Sahara elle-même, sont au cœur de cette problématique. La question du Sahara, dit-il, est non seulement une manifestation des tensions au sein du système maghrébin, mais elle contribue également à creuser un fossé entre les deux nations.

Un système chaotique, mais structuré

M. Sadiki décrit le système maghrébin comme un «système chaotique», mais il nuance en précisant que ce chaos ne signifie pas nécessairement désordre. L’absence d’une autorité régionale capable d’assurer la stabilité - à l’image de l’Union européenne - complique davantage la situation. Il insiste sur le fait que les conflits régionaux ne peuvent être résolus que si la structure même du système régional est modifiée. Cela nécessiterait soit un changement dans les rapports de force, soit la promotion d’une confiance réciproque entre les deux pays.



Le professeur évoque plusieurs options pour envisager une résolution. Si certaines voix au Maroc préconisent d’ignorer l’Algérie et d’agir unilatéralement en cherchant des alliances ailleurs, cela pourrait générer des conflits d’une toute autre nature. M. Sadiki préconise plutôt une approche plus douce, fondée sur la confiance et la diplomatie. Selon lui, la reconstruction de la confiance est la voie la plus prometteuse et la moins coûteuse pour garantir une stabilité durable dans la région.

L’option de la main tendue

Dans ce cadre, M. Sadiki souligne l’importance d’allier une politique de main tendue, souvent évoquée dans les Discours Royaux, avec une offensive diplomatique sur le plan international. L’objectif serait de conforter la reconnaissance internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara, rendant ainsi le soutien à la thèse séparatiste économiquement et politiquement coûteux. Bien que cette approche puisse prendre du temps, elle serait, selon lui, la plus sûre à long terme.

Tout peut se jouer au niveau de la Quatrième Commission de l’ONU

Le Maroc est en position de sceller le sort du conflit relatif au Sahara au sein de la Quatrième Commission de l’ONU, notamment grâce au soutien international dont il y dispose. Cette option stratégique a été soulignée par Ahmed Noureddine, expert de la question du Sahara marocain. Selon lui, le Maroc a l’opportunité de prendre les devants dans cette Commission pour défendre ses intérêts. L’expert rappelle que, contrairement à une idée répandue, la quatrième commission de l’ONU a la priorité sur le Conseil de sécurité concernant les questions non résolues. Dans ce sens, le dossier du Sahara marocain a été transféré au Conseil de sécurité en raison de l’incapacité de la Quatrième Commission à résoudre le différend. Par conséquent, une fois ce dossier clos dans le cadre de ladite Commission, il le sera de manière définitive dans les autres instances onusiennes.

Le politologue relève aussi que le débat autour de la question du Sahara repose principalement sur une recommandation annuelle émise par l’Algérie que le Maroc s’emploie à contrer. Cette approche, qualifiée de «paresseuse» par l’expert, soulève des interrogations sur la stratégie diplomatique du Maroc. «Qu’est-ce qui empêche donc le Maroc de proposer sa propre résolution ?» s’interroge-t-il, signalant que le Royaume, avec le soutien de soixante pays répartis entre nations arabes et africaines, dispose d’un atout considérable, tandis que l’Algérie peine à recueillir le soutien de plus de 15 à 20 voix en sa faveur.

Deux années suffiront à inverser la donne

Ahmed Noureddine est convaincu qu’avec deux années d’action intensive sur le plan diplomatique et de lobbying, le Maroc pourrait arracher une recommandation favorable au sein de la Quatrième Commission et il affirme que les habitants du Sahara ont pris en main leur destin. Cette démarche pourrait être renforcée par les nombreux arguments juridiques dont dispose le Maroc, démontrant que la question du Sahara doit être résolue par ses propres habitants. Ainsi, en agissant de manière proactive, le Royaume pourrait non seulement gagner davantage de points, mais également établir un rapport de force encore plus favorable, en s’appuyant sur le soutien de ses alliés.

Libérer le dossier de la tutelle de l’ONU

Mohamed Lamine Daïda, membre du secrétariat général du Parti de la justice et du développement (PJD), a exprimé de son côté des positions claires et déterminées concernant le dossier du Sahara, insistant sur l’urgence de sortir cette question des arcanes complexes des Nations unies et de mettre fin à la mission de la Minurso dans la région. Ces deux axes, a-t-il affirmé, doivent devenir les priorités des efforts déployés pour avancer vers une résolution du conflit. Sur un ton caustique, M. Daïda n’a pas hésité à mettre en question l’efficacité des Nations unies, en qualifiant celles-ci d’«organisation hors service». Pour lui, la guerre de Gaza a mis en lumière les limites d’une organisation censée garantir la paix et la sécurité internationales. Il a déclaré qu’il était peu probable que la question du Sahara trouve une solution dans le cadre onusien, étant donné l’échec passé de l’organisation à mener à bien ses missions.

Mission de la Minurso : aucun impact tangible

L’intervenant a rappelé que l’introduction du dossier du Sahara à l’ONU visait à réaliser deux objectifs : organiser un référendum, dont l’infaisabilité a été irrévocablement mise en évidence, et maintenir un cessez-le-feu pour éviter toute escalade. Cette inaction a rendu la mission de la Minurso pratiquement inutile et sans impact tangible sur le terrain. Il a également dressé un tableau alarmant de la situation actuelle, déclarant que chaque mois d’octobre représente une épée de Damoclès suspendue au-dessus du Maroc. Ce dossier, selon lui, est devenu un instrument de pression et de chantage aux mains des grandes puissances. M. Daïda s’est également insurgé contre l’Envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Staffan de Mistura, qui, selon lui, propose régulièrement des idées qui suscitent l’indignation, notamment en matière de droits de l’Homme, de ressources naturelles ou de partage du territoire saharien.

«Pourquoi continuer à laisser ce dossier entre les mains d’acteurs étrangers au conflit ?» s’est-il exclamé. Il rappelle que le Maroc bénéficie du soutien des États-Unis, la plus grande puissance mondiale, et de la France, comme le confirment les déclarations fortes du Président Macron. Face à cette réalité, il a ajouté avec conviction : «L’heure est venue de prendre des initiatives audacieuses pour retirer ce dossier de l’ONU et libérer le Maroc de ce poids qui l’étouffe». M. Daïda a précisé que, une fois le dossier retiré des mains de l’ONU, il devrait être traité directement entre le Maroc et l’Algérie. Ce serait alors l’occasion de rapprochements constructifs, en faisant appel à la sagesse qui caractérise traditionnellement l’État et le peuple marocains, afin d’éviter l’escalade vers un conflit armé.

Un changement nécessaire de paradigme

Bachir Dkhil, fondateur et président de l’Institut du Forum international des alternatives pour les études sahraouies «Al Andalouss», a abordé la responsabilité des Sahraouis marocains et leur rôle dans la défense de l’intégrité territoriale. Selon lui, leur absence parfois dans les instances de défense de leur cause soulève des interrogations. En effet, malgré les efforts déployés par la diplomatie marocaine et d’autres instances pour défendre la cause nationale, M. Dkhil estime qu’il y a encore un effort à faire. Selon lui, une question demeure posée : où se trouve la population sahraouie dans ce débat ? Elle est la principale concernée par les résolutions de l’ONU, et pourtant, sa voix n’est pas très audible lors des discussions et des débats juridiques.

À cet égard, M. Dkhil met en lumière une autre question cruciale : pourquoi les Sahraouis marocains n’ont-ils pas entrepris d’actions pour défendre leurs intérêts auprès de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) ? Celle-ci a estimé que tout accord incluant le territoire du Sahara nécessitait le consentement du peuple sahraoui. Or les représentants légitimes des Sahraouis, qui composent 71% de la population des provinces du Sud, n’ont pas réagi avec vigueur pour déconstruire l’argumentaire de la Cour.

«Aujourd’hui, il est impératif que cette population, dont la légitimité est avérée, prenne une place active dans le débat essentiel qui entoure la question du Sahara marocain», martèle le Sahraoui qui est l’un des membres fondateurs du Polisario ayant rallié le Maroc en 1992. M. Dkhil souligne qu’il est temps de changer de paradigme. L’approche actuelle ne fonctionne pas. Les Sahraouis doivent sortir du rôle de victime et revendiquer leur place dans le discours national et international. «Il faut façonner un discours correspondant à la nouvelle réalité», affirme-t-il. Cet appel à une nouvelle narration est encore plus urgent à une époque où les contextes géopolitiques évoluent rapidement.

Des occasions manquées dans l’action parlementaire

Selon Youssef Gharbi, ancien président de la Commission des affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l’étranger à la Chambre des représentants, le Parlement n’a pas toujours saisi les occasions qui se présentaient en matière de défense du dossier du Sahara marocain, notamment dans le cadre des groupes parlementaires d’amitié et des forums parlementaires, sans oublier les activités des différentes commissions.

Dans la lignée du dernier Discours Royal prononcé devant le Parlement, il estime qu’il est essentiel de sélectionner des profils hautement qualifiés au sein des partis politiques, afin que l’instance législative puisse remplir pleinement son rôle dans ce dossier. Les élus doivent en effet posséder des compétences solides, tant sur le plan linguistique que juridique, pour aborder la question du Sahara avec la rigueur et le sérieux qu’elle requiert.

L’ancien président de Commission a également préconisé la mise en place de programmes de formation destinés aux membres des groupes et équipes parlementaires, tout en préconisant l’organisation de tables rondes parlementaires focalisées sur le Sahara. Ces initiatives visent à améliorer la compréhension des parlementaires et leur engagement envers ce sujet délicat, précise-t-il.

M. Gharbi a également souligné l’importance de promouvoir la proposition d’autonomie avancée par le Maroc. Il a insisté sur le fait que cette initiative devrait être valorisée à la lumière de l’évolution de la régionalisation au Maroc. À cet égard, une connaissance approfondie des droits de l’Homme et des ressources naturelles de la région, ainsi qu’une compréhension des perspectives d’avenir du conflit, apparaissent comme essentielles.

Par ailleurs, M. Gharbi a rappelé le rôle fondamental de l’éducation dans le traitement de la question du Sahara. Il a souligné que la présence de cette thématique dans les programmes scolaires restait insuffisante, alors qu’elle devrait être une priorité nationale. À ce titre, il a appelé à une amélioration notable de la manière dont cette question est abordée dans le système éducatif, préconisant l’intégration d’approches variées - des aspects sociaux et éducatifs jusqu’aux dimensions littéraires- afin de sensibiliser les jeunes générations aux enjeux cruciaux inhérents à la question du Sahara marocain.

La décision de la CJUE : aucun fondement juridique solide

Abdelkbir Tabih, avocat au barreau de Casablanca, a décortiqué pour sa part la décision rendue le 4 octobre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), laquelle a annulé deux accords agricoles et de pêche passés avec le Maroc. Un verdict qui ne repose sur aucun fondement juridique solide, assure-t-il. Il en veut pour preuve le fait que le tribunal de l’Union européenne (UE) n’a pas tenu compte d’une décision de la Cour de justice qui, en décembre 2016, avait annulé un autre arrêt de ce même tribunal, daté de 2015, ayant partiellement invalidé l’accord agricole entre le Maroc et l’UE.

Mais plus grave encore selon ce juriste, la décision désigne le Polisario comme le représentant légitime du peuple sahraoui. Pourtant, aucun pays européen ne reconnaît ce front comme tel. Même la CJUE, dans son arrêt de 2016, a refusé au Polisario le droit de représenter une entité hypothétique au Sahara, notant qu’il n’a ni la personnalité juridique ni la personnalité physique, car il n’est rattaché à aucun pays ou système juridique et politique. Pour M. Tabih, la CJUE se contredit dans sa décision récente en prétendant que le Polisario représente les Sahraouis.

Mais le plus surprenant dans l’arrêt du 4 octobre 2024 est qu’il enfreint même les lois européennes, s’étonne M. Tabih. L’avocat ittihadi explique que le tribunal de l’UE est seulement compétent pour résoudre des différends entre les pays membres de l’Union, selon l’article 275 du Traité de fonctionnement de l’UE, alors que cette affaire concerne deux parties qui ne sont pas membres, à savoir le Maroc et le Polisario. De plus, la CJUE n’a pas compétence sur les questions de politique étrangère et de sécurité commune, ni sur les actes adoptés en ce sens, comme précisé par le même article.

Une pitoyable manœuvre politique

Pour l’avocat casablancais, cette décision n’est qu’une manœuvre politique et une énième tentative de mettre la pression dans un contexte où le Maroc a dévoilé son intention de reconsidérer les accords agricoles et de pêche. Le Royaume a fait part de son souhait de conclure des partenariats plus avancés, avec une valeur ajoutée plus forte pour le Maroc. «Les ennemis du Maroc ont vu leurs espoirs s’effondrer, eux qui s’attendaient à une détérioration des relations entre le Royaume et l’Union européenne suite à cette décision», se félicite M. Tabih.

Par ailleurs, la réaction de la France, ainsi que celle de plusieurs autres pays européens comme l’Allemagne et l’Espagne, met en évidence leur volonté de passer outre ce verdict, qui repose sur des arguments juridiques fragiles. De plus, les engagements pris par le Président français Emmanuel Macron lors de sa visite au Maroc viennent consolider cette position. Nombre de projets ayant fait l’objet d’accords concernent justement les régions du sud du Maroc. Sans oublier la volonté clairement affichée par la France de renforcer sa présence consulaire dans les provinces sahariennes, dans la perspective d’y ouvrir une antenne diplomatique française.
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