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Sahara : d’un «consensus de fait» à un «consensus de droit», la prochaine bataille du Maroc à l’ONU

Le dossier du Sahara marocain amorce un tournant décisif. Les Nations unies, après trois décennies marquées du sceau de la prudence et par une posture d'équilibriste ayant montré leur limite, sont désormais appelées à opérer une transition cruciale : passer de la logique de gestion de ce conflit à la logique de sa résolution. Mais pour que les choses évoluent dans ce sens, la dynamique internationale favorable au plan d’autonomie doit se conforter, notamment au niveau du Conseil de sécurité qui doit l’imposer comme l’unique option pour une solution définitive et durable. Or, compte tenu de la composition et des mécanismes de fonctionnement de cet organe exécutif, la partie n’est pas gagnée d’avance. Mais elle n’est pas impossible non plus. Car imperceptiblement et lentement des puissances influentes au sein de ce Conseil adoptent des positions plus positives. Autrement dit, le consensus au sein du Conseil de sécurité est une option envisageable, surtout si des pays africains et arabes, en tant que membres non permanents, jouent le jeu. Fadoua Ammari, experte en relations internationales, et Rida Lyammouri, expert en géopolitique, expliquent les dynamiques à l’œuvre et les chances pour que le scénario escompté puissent aboutir. Voici leurs lecture dans le cadre d’une émission diffusée récemment par le Policy Center for the New South.

La question du Sahara marocain, dossier épineux pour les Nations unies depuis des décennies, semble aujourd'hui à l'aube d'un tournant majeur. Compte tenu des évolutions récentes, nombre d’observateurs affirment que l'organisation mondiale est aujourd’hui face à une «occasion historique rare» de dépasser sa traditionnelle prudence et d'embrasser une solution politique ancrée dans les réalités du terrain. L'initiative marocaine d'autonomie est désormais largement perçue comme le «seul cadre disponible actuellement pour un véritable progrès», bénéficiant d'un soutien international croissant et de l'évolution des positions de puissances clés au sein du Conseil de sécurité.

Le langage en mutation et le «consensus de facto»

Fadoua Ammari, professeure et experte en relations internationales, observe un changement progressif mais tangible dans la position des Nations unies s’agissant de ce différend régional. Bien que l'Organisation maintienne une certaine prudence, le langage des résolutions du Conseil de sécurité a significativement évolué, surtout après 2007, utilisant des termes tels que «solution politique, réaliste, pratique et acceptable par les deux parties». Ces termes, loin d'être des choix sémantiques anodins, reflètent selon elle une volonté d'orienter le processus vers des options plus pragmatiques, applicables sur le terrain.

Pour comprendre la dynamique actuelle, il est essentiel de définir le «consensus international» dans le cadre des Nations unies. L'experte, qui intervenait dans une émission diffusée récemment par le Policy Center for the New South (PCNS), explique que cette notion ne requiert pas un accord universel à 100%, mais plutôt la présence d'une «majorité significative d'États membres, en particulier les grandes puissances influentes, qui ont au moins une position commune et unifiée, ou du moins convergente. Ce que l'on appelle un «consensus de facto», soit un consensus pratique qui confère une légitimité politique et morale à tout changement dans la position officielle des Nations unies.

Les chiffres sont éloquents à cet égard : plus de 85% des États membres soutiennent la proposition marocaine et ne reconnaissent plus la pseudo-rasd. De plus, un nombre croissant d'acteurs majeurs, incluant des membres permanents du Conseil de sécurité comme la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont exprimé leur soutien à l'initiative d'autonomie, tout comme des partenaires stratégiques du Maroc tels que l'Espagne. Autant d’indicateurs qui «créent une base solide pour que les Nations unies sortent de la neutralité, de la prudence et de l'attentisme et s'engagent dans une nouvelle voie aux contours clairs, où le plan d'autonomie serait la seule option».

Du consensus pratique au consensus légal contraignant

Mais malgré son importance, ce consensus pratique n'est pas suffisant à lui seul. L'étape cruciale est de le transformer en un consensus légal et contraignant, soit en un «consensus de droit». Cela signifie concrètement sa traduction en une résolution claire, explicite et contraignante émanant du Conseil de sécurité, qui ferait de l'initiative d'autonomie la seule référence pour toute solution politique à la question du Sahara.

Pour Rida Lyammouri, expert en géopolitique et chercheur associé à Policy Center for the New South, les Nations unies doivent dépasser la logique de gestion pour aller vers une logique de résolution de ce conflit. Selon lui, l’approche actuelle qui favorise le statut quo, à travers notamment le renouvellement de la Minurso, ne fait que contenir la tension et prolonger l'impasse. La résolution, en revanche, exige du «courage politique» pour reformuler le cadre de référence des négociations et reconnaître que certaines approches, notamment celle du référendum, sont devenues tout simplement inapplicables et obsolètes. «Le Conseil de sécurité doit adopter une approche plus claire et plus audacieuse et consacrer l'initiative marocaine d'autonomie comme le seul cadre disponible actuellement pour un véritable progrès dans le processus politique», soutient l’analyste qui intervenait dans le cadre de la même émission.

Le rôle stratégique des pays arabes et africains

Mais une telle évolution n’est pas acquise d’avance, compte tenu de la composition et des mécanismes de vote au sein de l’organe exécutif de l’ONU, ce dernier étant composé de 15 membres (5 permanents et 10 non permanents renouvelés tous les deux ans). «Pour qu'une décision contraignante soit adoptée, il faut neuf voix sur 15 membres, et qu'aucun membre permanent n'utilise son droit de veto. Le défi réside précisément dans l'usage ou la menace d'usage du veto, facteur expliquant la prudence onusienne», relève Fadoua Ammari.

Mais l’espoir est permis, vu les positions de la Chine et de la Russie des derniers temps. Bien qu'elles aient historiquement adopté des positions empreintes de réserve, elles ont commencé à montrer des signes positifs envers l'initiative marocaine. L’experte explique que l’Empire du milieu considère l’initiative d'autonomie comme une solution réaliste qui préserve ses intérêts stratégiques dans la région et dans toute l'Afrique. De plus, l'esprit de l'initiative marocaine est en phase avec le principe de non-ingérence et de souveraineté, pierres angulaires de la diplomatie chinoise. «Cela a permis une sorte d'ouverture silencieuse sur la proposition marocaine, malgré ses relations historiques avec l'Algérie», précise Mme Ammari.

Quant à la Russie, influencée par les nouvelles équations géopolitiques et le développement de ses relations avec l'Afrique de l'Ouest, elle a adopté une position plus proche de la neutralité positive, s'abstenant notamment d'utiliser son droit de veto sur ce dossier. En conséquence, l’experte estime que le consensus au sein du Conseil de sécurité n’est plus impossible, surtout si les pays africains et arabes, en tant que membres non permanents, jouent le jeu.

Abondant dans le même sens, Rida Lyammouri affirme que les reconnaissances par les pays africains et arabes peuvent avoir un impact puissant sur le dossier du Sahara marocain. Ces pays peuvent devenir un acteur essentiel en travaillant selon une «logique de bloc et de coordination», assure-t-il. Au-delà d’une présence symbolique, leur rôle peut se transformer en un facteur politique décisif pour faire pencher la balance en faveur de l'adoption d'une «nouvelle doctrine onusienne claire» qui consacre l'initiative d’autonomie comme une solution finale, juste et réaliste à ce conflit régional chronique. Leur poids émane selon lui d’une influence multiforme :
• Par leur nombre : ils constituent un bloc important et influent au sein de l'Assemblée générale des Nations unies, influençant ainsi la tendance générale des positions de l'organisation.

• Par leur présence au Conseil de sécurité : un certain nombre de ces pays sont régulièrement élus comme membres non permanents, ce qui leur donne la possibilité d’avoir voix au chapitre dans la formulation des résolutions, poussant à des formulations plus fermes et plus claires.

• Par le soutien public croissant : ce soutien se manifeste par l'ouverture de consulats à Dakhla et Laâyoune, les retraits de reconnaissance de la «pseudo-rasd» et des déclarations diplomatiques explicites.

«Cette pression politique, morale et effective a déjà un impact pratique sur les équilibres de vote au sein du Conseil de sécurité et sur le langage des résolutions, devenues plus axées sur le réalisme, le consensus et le sérieux», note le chercheur, rappelant que des pays comme les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, le Sénégal et la Côte d'Ivoire ont contribué à la formation d'un bloc régional favorable à l'autonomie sous souveraineté marocaine.
«Les pays africains et arabes ne sont pas seulement invités aujourd'hui à apporter un soutien rhétorique ou protocolaire. Ils sont face à une opportunité historique de se transformer en un levier politique efficace qui contribue de manière significative à l'élaboration d'une solution juste et finale à ce conflit, et ce à travers des alliances intelligentes, des positions coordonnées et une action diplomatique collective organisée, que ce soit au sein du Conseil de sécurité, de l'Assemblée générale ou à travers les cadres et espaces régionaux et africains», conclut Rida Lyammouri.
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