D’emblée, le ministre a donné le ton. «Le bien-être des travailleuses et travailleurs, piliers de tout développement et garants de la pérennité de l’entreprise, doit être au cœur des priorités nationales», a affirmé M. Sekkouri à l’inauguration de la conférence dédiée à la nouvelle stratégie de l’Institut national des conditions de vie au travail (INCVT). Il a souligné qu’à l’heure où le Maroc connaissait, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, une dynamique économique sans précédent, cet essor devait s’accompagner d’un engagement accru en faveur de la santé et de la sécurité au travail.
Younes Sekkouri : vers une norme marocaine de SST à l’horizon 2026
Face à la montée des accidents professionnels, le ministre a appelé à une mobilisation collective pour instaurer une véritable culture de prévention. Il a insisté sur la nécessité de renforcer les comités d’hygiène et de sécurité au sein des entreprises et d’en assurer le fonctionnement effectif. Mais au-delà des risques physiques, M. Sekkouri a élargi la réflexion à la santé mentale et psychologique des salariés, «un enjeu majeur de performance et de cohésion sociale». Le stress, la pression et l’usure professionnelle, a-t-il rappelé, constituent désormais des menaces réelles pour la productivité et la qualité de vie au travail.
Le ministre a particulièrement insisté sur la nécessité d’une prise en compte spécifique de la femme travailleuse, dont le parcours professionnel exige des dispositifs adaptés aux réalités de la double charge domestique et professionnelle. Dans cette perspective, il a confié à l’INCVT la mission d’élaborer des campagnes de sensibilisation, des guides pratiques et un calendrier de projets pour accompagner les entreprises, avec l’ambition de créer une norme marocaine de santé et de sécurité au travail d’ici l’an prochain.
Hicham Sabiry : un salon à dimension internationale
Pour Hicham Sabiry, secrétaire d’État à l’Emploi, la 11ᵉ édition de Préventica Maroc a franchi une étape importante grâce à la présence accrue de délégations étrangères, notamment africaines. «Ces pays partenaires sont essentiels pour nos politiques publiques, mais aussi pour le secteur privé», a-t-il souligné dans une déclaration au «Matin», saluant l’esprit de coopération Sud-Sud qui a marqué cette édition.
Le responsable gouvernemental a également mis en avant la fierté nationale suscitée par la forte participation des entreprises marocaines, dont plusieurs opèrent désormais sur des marchés africains, arabes et européens. «Ces entreprises à capital 100% marocain rivalisent aujourd’hui à l’international et collaborent avec des partenaires de référence», a-t-il ajouté, estimant que ce dynamisme illustrait la maturité du tissu entrepreneurial marocain dans le domaine de la prévention et de la sécurité au travail. L’Institut national des conditions de vie au travail, bras opérationnel du ministère, était d’ailleurs au cœur du dispositif en tant qu’exposant et partenaire stratégique du salon.
Faïza Amahroq : 30% à peine des entreprises disposent d’un dispositif SST
Présentée par Faiza Amahroq, directrice de l’INCVT, la nouvelle stratégie nationale en santé et sécurité au travail, adoptée le 22 mai dernier, marque un tournant décisif. Conçue pour accompagner la croissance économique du Maroc, elle part d’un constat alarmant : 76 décès pour 100.000 travailleurs, soit un taux deux fois supérieur à la moyenne internationale, selon les données du Bureau international du travail (BIT).
Autre chiffre préoccupant : seulement 30% des entreprises disposent d’un dispositif SST (santé et sécurité au travail), et parmi elles, la moitié n’est pas réellement opérationnelle. Face à cette réalité, Mme Amahroq défend une approche innovante, intégrée et sectorielle, axée sur quatre grands piliers : la recherche et l’observation, la communication et la formation, le conseil aux entreprises, et la mise en œuvre d’actions pilotes. La stratégie se décline en 23 mesures opérationnelles et 60 actions concrètes, ciblant près de 5 millions de travailleurs, sans compter une large part qui évolue encore dans l’informel. Sept secteurs prioritaires ont été retenus pour 2025, avec le BTP comme secteur pilote, aux côtés des secteurs suivants : santé, mines, agriculture, artisanat, transport et tourisme.
Pour renforcer son impact, l’INCVT mise sur la digitalisation, à travers la création d’un système d’intelligence artificielle dédié à la SST, d’une médiathèque nationale, d’une application mobile et d’un label national en santé et sécurité au travail. «Notre ambition est de faire de l’INCVT une référence nationale et un partenaire de confiance pour toutes les entreprises marocaines», a affirmé Mme Amahroq.
Leïla Doukali : «Le bien-être n’est plus un luxe»
La voix des entrepreneures s’est également fait entendre à travers l’intervention de Leïla Doukali, présidente de l’Association des femmes chefs d’entreprises du Maroc (AFEM). Dans un discours vibrant, elle a plaidé pour une nouvelle approche du travail centrée sur la santé, la dignité et l’équilibre humain. «Trop longtemps, la croissance économique a été dissociée de la santé humaine. Le bien-être au travail n’est pas une option : c’est un impératif de performance et de justice sociale», a-t-elle déclaré. Elle a annoncé la signature prochaine d’une convention entre l’AFEM et l’INCVT pour intégrer la prévention et la santé dans la stratégie entrepreneuriale, notamment à travers le programme «She Impulse», qui accompagne chaque année plus de 200 femmes porteuses de projets.
Le partenariat visera à former les femmes entrepreneures à la gestion du stress et des risques professionnels, tout en intégrant la perspective de genre dans les politiques publiques liées au travail. «Le développement du Maroc dépendra de notre capacité à bâtir un environnement de travail juste, digne et inclusif», a-t-elle conclu.
Trois jours d’échanges, d’innovations et de sensibilisation
Outre les conférences et les panels, Préventica Maroc a proposé des animations interactives de grande qualité : ateliers de sécurité des travaux en hauteur, formations aux gestes de premiers secours, exercices de prévention incendie et sensibilisation à la sécurité routière. Ces trois jours d’activités intenses ont permis de faire converger entreprises, experts, institutions et acteurs de la société civile autour d’une même conviction : la santé et la sécurité au travail ne sont pas des coûts, mais un investissement dans l’avenir du Maroc et de son capital humain.
Entretien avec le président associé du Salon/Congrès Préventica Maroc
Dr Tariq Essaïd : «La santé psychologique et le bien-être au travail doivent être les piliers d’une approche moderne et inclusive de la prévention»
Le Matin : Quel bilan faites-vous de cette édition 2025 du Salon/Congrès Preventica et quels en ont été les temps forts ?
Dr Tariq Essaïd : Cette année, l’édition du Salon Préventica a été d’une envergure sans précédent. Nous avons frôlé les 200 exposants, proposé plus de 80 conférences et accueillis plus de 6.000 visiteurs. L’événement s’est articulé autour de deux grands pôles : la santé et la sécurité au travail (SST), d’une part, et la sécurité globale et la sûreté, incluant notamment la cybersécurité, d’autre part. Ces thématiques sont portées par des partenaires de haut niveau, leaders dans leurs domaines, qui contribuent à élever les standards nationaux en matière de prévention et de gestion des risques.
Parmi les temps forts, une conférence inédite qui a réuni les présidents de communes du Maroc et de Mauritanie autour d’un sujet essentiel : la territorialisation des risques. L’idée est de faire de la commune le pivot d’une approche holistique, coordonnée et participative, intégrant à la fois la gouvernance, la logistique, la prévention et la gestion des urgences. Cette réflexion illustre parfaitement la dynamique de co-construction collective que nous souhaitons encourager. Nous avons également abordé des sujets stratégiques alignés sur les priorités publiques du Maroc, tels que l’économie bleue et la coopération Sud-Sud. À ce titre, un chercheur et maire mauritanien, également conseiller du ministre de la Santé, a présenté un travail sur l’impact du développement des bassins maritimes sur le changement climatique, un exemple concret de dialogue scientifique afro-africain.
Autre moment marquant : un grand panel institutionnel réunissant, entres autres, la DGSN, l’ONCF, l’OCP et Sonasid, autour des enjeux de coordination entre donneurs d’ordre et sous-traitants. L’objectif est d’instaurer une meilleure harmonisation des standards de sécurité, notamment via des mécanismes d’agrément et de validation communs. Nous avons été également honorés par la participation active de la Direction générale de la Sûreté nationale, qui a partagé son expérience en matière de prévention et de bien-être de son personnel. Dans le même esprit, l’ONCF et l’OCP ont animé de grandes conférences de partage d’expertise.
Parce que Préventica est aussi un salon franco-marocain, plusieurs conférences conjointes ont été tenues avec nos partenaires français, portant sur des sujets d’avenir, tels que la convergence entre santé au travail et santé publique, dans la lignée du concept «One Health» de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ou encore les liens entre santé au travail et protection sociale, soulignant que la prévention constitue un levier d’efficacité économique en réduisant le coût global des soins. Cette dimension s’inscrit dans le contexte actuel de révision du profil national santé et sécurité au travail, élaboré en 2017. J’ai eu d’ailleurs l’honneur, en tant qu’expert mandaté par l’OIT, de conduire ce travail et d'organiser une conférence dédiée à la politique nationale de SST et à son déploiement, permettant un benchmark international enrichissant.
Préventica reste fidèle à sa vocation inclusive. Nous avons accueilli cette année un espace consacré à l’artisanat, en partenariat avec l’Instance nationale de l’artisanat et le département chargé de l’Emploi. Une conférence originale, animée avec des artisans eux-mêmes, a permis d’aborder concrètement les enjeux de sécurité et de santé au travail dans les petites structures artisanales, un secteur souvent oublié, mais essentiel à notre économie.
Lors de son intervention, le ministre Younes Sekkouri a laissé entendre que la santé psychologique et le bien-être au travail restaient les «parents pauvres» de ce salon. Que répondez-vous à cette observation ?
Je ne parlerais pas d’une réaction en tant que telle, mais plutôt d’une écoute attentive et constructive des propos de Monsieur le ministre, que j’ai suivis avec beaucoup d’intérêt en tant qu’expert et militant de longue date pour la promotion de la santé et de la sécurité au travail. D’ailleurs, juste après son allocution, je me suis permis de lui dire que ses propos constituaient, à mon sens, l’énoncé d’une véritable politique nationale de santé et sécurité au travail. Il m’a donné son accord pour que nous la formalisions dans le cadre du travail de révision du profil national SST actuellement en cours.
Les grands axes évoqués par Monsieur le ministre sont d’ailleurs particulièrement pertinents. Ils concernent d’abord l’ajustement des équipements et des infrastructures, indispensable à toute politique de prévention efficace. Mais au-delà des moyens matériels, il a rappelé l’importance de l’organisation du travail : la gestion du temps, les conditions de travail, les attentes et les besoins réels des salariés... Il a aussi insisté – et c’est un point important – sur la place de la femme au travail. Aujourd’hui, elle partage avec l’homme les mêmes responsabilités professionnelles, tout en assumant souvent une charge supplémentaire au sein du foyer, en raison de réalités culturelles et sociales bien ancrées. Prendre en compte cette dimension dans les politiques de santé au travail est essentiel, car le bien-être professionnel ne peut être dissocié du bien-être global de la personne. C’est dans cette vision intégrée, humaniste et pragmatique que nous souhaitons inscrire la prochaine politique nationale. La santé psychologique et le bien-être au travail ne seront plus les parents pauvres du système, mais des piliers essentiels d’une approche moderne et inclusive de la prévention.
Concernant la femme, quelles mesures concrètes recommandez-vous pour protéger et promouvoir sa santé au travail, tout en tenant compte de ses spécificités professionnelles et sociales ?
Avant de parler des leviers concrets, il est important de rappeler la démarche à adopter. Il ne s’agit pas de multiplier les études pour elles-mêmes, mais de mettre en place un outil pragmatique permettant d’identifier rapidement ce qui doit être fait. La première étape consiste en un dialogue inclusif, en allant à la rencontre des femmes de toutes catégories et secteurs pour comprendre leurs conditions, leurs attentes et les spécificités liées à leur double charge professionnelle et domestique.
Cette démarche doit ensuite se traduire par une politique intégrée, avec un leadership clair, un déploiement structuré, une répartition des rôles et des périmètres de pilotage précis. Dans le cadre de la régionalisation avancée, cette approche doit aussi s’inscrire dans une logique décentralisée et subsidiée, afin d’harmoniser la santé et la sécurité au travail tout en favorisant le leadership collaboratif. L’intérêt de cette approche est que les acteurs soient spontanément en accord : employeurs, syndicats et délégués du personnel s’engagent naturellement dans ce type de démarche. Enfin, il est essentiel de définir des objectifs réalistes, même modestes, qui permettent d’obtenir des résultats rapides et tangibles, tout en progressant vers des résultats durables.
L’inspection du travail, dans son rôle de gendarme, est un acteur clé pour garantir la santé et la sécurité des salariés. Quel est votre regard sur l’état actuel de ce corps et sur ses capacités à remplir pleinement sa mission ?
L’inspection du travail doit être considérée sous deux angles. D’abord, la compétence individuelle des inspecteurs : nous avons aujourd’hui des professionnels hautement qualifiés, formés à la prévention et à l’utilisation des équipements de mesure. Ces compétences représentent un levier solide sur lequel construire. Ensuite, il y a les moyens et effectifs disponibles : le nombre d’inspecteurs, je le déplore, reste insuffisant pour couvrir l’ensemble des entreprises, comme le rappelait le profil national de 2017. Cela limite malheureusement la couverture réglementaire et relève davantage de la volonté politique et des ressources mises à disposition.
Après sept éditions, comment évaluez-vous aujourd’hui l’évolution du Salon Preventica Maroc, de ses débuts modestes à sa dimension actuelle ? Êtes-vous satisfait ?
À nos yeux, ce salon reste petit par sa genèse, mais sa grandeur est manifeste par la diversité et la qualité des acteurs qui y convergent. Les médias, les institutions, les corps d’État, les professionnels de la santé, de l’administration et de la sécurité sont tous représentés, créant un réseau unique et un véritable palmarès de partenariats. Votre présence en tant que journal de notoriété et votre accompagnement en témoigne aussi. Je considère ce salon comme un outil missionnel, une véritable lettre de mission pour servir de caisse de résonance au déploiement des politiques publiques. Cette vocation est renforcée par l’engagement de partenaires prestigieux et par la qualité des échanges scientifiques et institutionnels qui s’y déroulent. Donc, nous sommes assez satisfaits et plutôt fiers de cette dynamique, qui contribue à faire progresser la santé et la sécurité au travail au Maroc.
