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Souveraineté : comment le Maroc peut échapper à la «colonisation numérique» (IMIS)

L’Institut marocain d’intelligence stratégique vient de publier un rapport de plus de 53 pages déclinant une stratégie ambitieuse pour que le Maroc conquière sa souveraineté numérique. Un enjeu crucial pour le Royaume dans un monde où le numérique devient l’arène des nouvelles luttes d’influence entre les grandes puissances. Le document dresse un état des lieux sans concession et propose une feuille de route précise pour relever ce défi historique.

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Où en est le Royaume dans la course effrénée pour la conquête du numérique ? la question a fait l’objet du dernier Policy Paper de L’Institut marocain d’intelligence stratégique (IMIS), publié lundi dernier. Et la réponse n’a pas tardé à venir, dressant un constat sans complaisance : malgré des progrès indéniables en matière d’infrastructures, le Maroc accuse sur le plan des usages un retard qu’il se doit de combler au plus vite.

Le Maroc incontournable dans la transformation numérique africaine

Il fait dire que le document de l’Institut marocain d’intelligence stratégique ne fait pas dans la dentelle. Dans ce pavé de plus de 53 pages intitulé «Souveraineté numérique : pourquoi le Maroc ne peut y échapper ? Recommandations pour un État-stratège», le think tank pointe en toute lucidité les avancées et les retards du Royaume en matière de numérique. Les rédacteurs de ce policy paper – document rédigé par Mouad Agouzoul, sous la direction du professeur Ahmed Azirar, directeur de recherche à l’IMIS, avec la participation de Karim Amor et Victor Pauvert – dressent un constat sans appel : malgré des infrastructures parmi les plus compétitives d’Afrique, le Maroc accuse encore un retard patent sur les usages numériques, à l’image du gouvernement numérique, de la dématérialisation ou de l’accès des entreprises technologiques au capital.

Un constat sur lequel Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait attiré l’attention dans un discours datant de mars 2023, en appelant le Maroc à «se préparer pleinement à inaugurer une nouvelle ère industrielle portée vers et par la notion de souveraineté», indique le document. Un signal fort quand on sait que le numérique représente aujourd’hui l’un des tout premiers enjeux stratégiques au monde.

Le spectre d’une nouvelle colonisation

«Il existe une différence importante entre la colonisation territoriale et la colonisation numérique, assène l’IMIS. La première est visible (...) alors que la seconde est plus insidieuse, mais elle s’immisce dans les moindres aspects de la vie des populations, des entreprises et des administrations». Et d’alerter : «C’est contre cette colonisation qui ne dit pas son nom qu’il faut lutter avec intelligence, méthode et patience pour jouir d’une souveraineté numérique durable et résiliente». Un avertissement qui fait froid dans le dos, tant les enjeux du contrôle des données, des réseaux et des infrastructures numériques deviennent la nouvelle arène des batailles d’influence entre puissances mondiales. De la cybersécurité à l’intelligence artificielle en passant par les infrastructures critiques, la mainmise d’une nation étrangère sur ces leviers stratégiques représenterait une forme de dépendance aux conséquences potentiellement dramatiques. Cette prise de conscience qui gagne tous les États, à tel point que l’IMIS décrit un monde où «les corpus réglementaires sont tous centrés sur la souveraineté numérique» comme la dernière ligne de défense face aux tentatives d’ingérence étrangères sur ce terrain hypersensible.

La stratégie en 5 axes pour reprendre le contrôle

Loin de s’en tenir à ce constat alarmiste, l’Institut marocain propose une stratégie détaillée en 5 axes pour permettre au Royaume de « conquérir progressivement une autonomie en matière de numérique». Un plan baptisé GIRON, selon l’acronyme pour «Gouverner, Innover, Réglementer, Orienter et Naviguer».

• Le premier axe, «Gouverner», recommande la mise en place d’une gouvernance renouvelée, associant tous les acteurs publics et privés dans un cadre rénové.

• Le deuxième axe, «Innover» appelle à identifier et soutenir financièrement les startups technologiques à fort potentiel pour en faire les futurs champions du pavillon marocain.

• «Réglementer» est le troisième axe. Il s’agit de muscler le cadre législatif et réglementaire de ce secteur stratégique.

• Vient ensuite l’axe «Orienter» qui vise à auditer et sécuriser en permanence les infrastructures et systèmes d’information critiques dans une logique de «zone de défense» des actifs numériques souverains.

• Enfin, l’axe «Naviguer» ambitionne de mettre en cohérence toutes les initiatives du Royaume sous l’égide de la stratégie numérique nationale «Maroc Digital 2030», tout en gardant un cap ajustable en fonction des évolutions de ce secteur en perpétuelle mutation.

La bataille des compétences

Au cœur des préconisations récurrentes tout au long du rapport, la formation des talents marocains dans les nouvelles technologies représente à la fois le principal goulot d’étranglement actuel et le ferment indispensable de toute souveraineté durable. «La quatrième révolution industrielle, celle du numérique, est celle des cols blancs : les compétences à haut niveau sont clés et leur acquisition constitue un défi majeur en soi», souligne le think tank.

Pour relever ce défi de la compétence, l’IMIS propose la création d’une véritable «zone de conquête des talents», mêlant réformes de l’enseignement supérieur, incitations pour les Marocains de la diaspora à la pointe dans le numérique et accueil de compétences étrangères d’excellence. Un appel d’air pour les futurs «lions numériques» made in Morocco, ces pépites technologiques à fort potentiel qui porteront les couleurs du Royaume dans cette nouvelle guerre des talents planétaire. Là aussi, le constat de départ est sans appel : «Sans souveraineté numérique, les modèles d’affaires numériques sont des pharmakon, c’est-à-dire à la fois le remède et le poison».

L’enjeu industriel et économique

Bien plus qu’une ambition purement technologique, l’IMIS rappelle que la souveraineté numérique représente un puissant levier de compétitivité économique, de sécurité nationale et de rayonnement à l’international pour le Maroc. Un pays qui bénéficie d’atouts indéniables comme «l’attraction d’investissements internationaux, des infrastructures modernes et des dispositifs réglementaires incitatifs, l’existence d’un système de formation de haut niveau et d’une diaspora à haut potentiel dans les entreprises mondiales du numérique».

C’est bien tout un pan industriel qu’il faudra en parallèle développer en profondeur, qu’il s’agisse de la production de semi-conducteurs, des activités de cloud computing ou de l’hébergement des data centers critiques sur le territoire. Un objectif en soi qui devra passer, est-il proposé, par un «financement public volontariste» que l’Institut juge indispensable pour construire un véritable «dôme de fer numérique protégeant les actifs stratégiques» du Royaume. De ce point de vue, le rapport souligne les initiatives prometteuses comme le cluster Technopolis porté par l’Université Mohammed VI Polytechnique à Benguérir, l’interdiction d’hébergement à l’étranger des données essentielles ou l’ouverture d’une usine d’assemblage de semi-conducteurs.

Le bras de fer des géants

Car cette bataille pour la souveraineté sera aussi un affrontement entre puissances pour conserver ou prendre l’avantage dans une économie mondialisée où les GAFAM, NATU, BATX et autres mastodontes positionnent déjà leurs pions. Le Maroc ne pourra pas y faire cavalier seul et devra s’appuyer sur des partenariats de co-développement avec certains de ces géants. À cet égard, le rapport souligne l’importance de renforcer les alliances stratégiques tout en gardant une certaine indépendance. Le Maroc pourra ainsi profiter des technologies de pointe tout en développant ses propres compétences et infrastructures. Un équilibre délicat mais nécessaire pour éviter une nouvelle forme de colonisation numérique. L’IMIS souligne la nécessité pour le Maroc de conclure des accords stratégiques avec des acteurs internationaux, en s’assurant que ces partenariats soient équilibrés et profitables pour renforcer sa propre souveraineté numérique. Ces partenariats doivent viser l’implantation locale de technologies avancées, la formation de talents marocains et la création d’un écosystème numérique robuste capable de soutenir la compétitivité du pays.

Les principales recommandations de l’IMIS

Les recommandations de l’IMIS se concentrent sur plusieurs points clés pour renforcer la souveraineté numérique du Maroc :

Renforcement de la gouvernance : création d’une agence nationale dédiée à la souveraineté numérique, chargée de coordonner les efforts de tous les acteurs impliqués.

Soutien à l’innovation : mise en place de fonds d’investissement spécifiques pour soutenir les startups et les projets innovants dans le domaine numérique.

Cadre législatif et réglementaire : modernisation des lois et régulations pour assurer la protection des données, la cybersécurité et favoriser l’innovation.

Infrastructures numériques : développement de data centers locaux, promotion de l’utilisation du cloud souverain et amélioration des réseaux de télécommunications.

Formation et compétences : réformes éducatives pour intégrer les compétences numériques dans les programmes scolaires et universitaires, et création de programmes de formation continue pour les professionnels.

Partenariats stratégiques : négociation d’accords de co-développement avec des géants technologiques internationaux pour l’implantation locale de technologies et le transfert de compétences.


Ces recommandations visent à positionner le Maroc comme un leader régional dans le domaine numérique, capable de protéger ses intérêts nationaux tout en s’intégrant dans l’économie mondiale. La mise en œuvre de cette stratégie ambitieuse permettra au Royaume de se doter des outils nécessaires pour naviguer dans un monde où la maîtrise du numérique est devenue un enjeu de souveraineté essentiel.
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