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Taxis Vs VTC : aux origines d’une confrontation qui n’en est qu’à ses débuts

Les confrontations entre chauffeurs de taxis et chauffeurs de VTC (via applications mobiles) continuent de défrayer la chronique, cristallisant les tensions d’un secteur qui peine à s’organiser. De par son opacité et son anachronisme, le régime des agréments qui se trouve au cœur du système de transport urbain par voitures de tourisme, complique toute tentative de réforme. Visiblement la bataille sera rude et longue.

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Au Maroc, la guerre entre les chauffeurs de taxi et les chauffeurs de VTC (via applications mobile) continue de défrayer la chronique, cristallisant les tensions d’un secteur qui peine à s’organiser. Les scènes surréalistes s’enchaînent : courses-poursuites à Rabat dignes de films d’action, agressions de clients ayant choisi une VTC... Les citoyens, eux, restent les principales victimes de ce système dysfonctionnel. Ce bras de fer n’est pas le reflet d’une concurrence entre deux acteurs de deux époques différentes. Il met à nu une réalité beaucoup plus complexe : des lois obsolètes, des pratiques dignes d’un autre âge, un secteur en mal d’un cadre régulateur clair et équitables. Mais comment en est-on arrivé là ? une récente vidéo du youtubeur Swinga décrypte les rouages de l’univers du transport en taxi, ses dérives et les enjeux d’une modernisation aussi nécessaire qu’inévitable.

Un système d’agréments anachronique

Le fonctionnement des taxis au Maroc repose sur un cadre légal établi en 1963, confiant la gestion des agréments aux autorités locales : wilayas et préfectures. Cependant, cette loi, incomplète et rarement mise à jour, a laissé place à des pratiques arbitraires. Chaque collectivité territoriale dicte ses propres conditions pour délivrer ces agréments, créant ainsi une mosaïque réglementaire confuse. En tous cas, pour devenir chauffeur de taxi, il faut :

• Un permis de confiance délivré par la wilaya (ou la préfecture).

• Une carte professionnelle obtenue auprès du ministère des Transports.

• Et surtout, un agrément, un document indispensable mais très difficile à obtenir.

Contrairement à beaucoup d’idées reçues, c’est bien le ministère de l’intérieur, via les préfectures et les autorités locales, qui accordent les agréments de taxi. Et ces dernières ont un pouvoir discrétionnaire qui nourrit beaucoup de fausses croyances. D’autant que l’opacité entourant cette question perpétuent rumeurs et défiance dans le système d’octroi. En effet, depuis les années 1980, plusieurs circulaires ministérielles ont tenté d’organiser la délivrance des agréments, mais sans succès. En 1999, la circulaire 122 du ministère de l’Intérieur précisait les critères d’obtention, mais sa mise en œuvre est restée limitée. Cette situation a engendré une rareté d’agréments qui a donné lieu à des pratiques informelles, népotiques et fort lucratives. Ces autorisations d’exercer, censés être une simple formalité administrative, sont parfois délivrées moyennant des sommes importantes. De plus, les agréments sont souvent exploités par des investisseurs non chauffeurs, qui sous-traitent à des professionnels, leur imposant des redevances quotidiennes variant entre 100 et 400 dirhams. Ces sous-traitants devront à leur tour payer des sommes conséquentes pour avoir un contrat avec le détenteur de l’agrément. Ces transactions illégales connues sous le nom de l7lawa (pots-de-vin) peuvent atteindre jusqu'à 1,4 million de dirhams dans certaines régions comme le Nord. Ce qui aggravait le problème, c’est qu’avant 2022, certains possesseurs d’agréments en cédaient l’exploitation à plusieurs chauffeurs, accentuant la précarisation de ces derniers.

Des réformes tardives mais insuffisantes

Face à cette anarchie, le ministère de l’Intérieur a tenté d’agir. En 2022, deux circulaires importantes ont été publiées. D’abord la circulaire 444 qui réserve la signature de nouveaux contrats d’exploitation exclusivement aux chauffeurs professionnels et la limite à un contrat par personne physique afin d’éviter le monopole sur le secteur des taxis. Il y aussi la circulaire 755 qui stipule que l’agrément ne peut être assimilée à une propriété du titulaire ou faire partie de son héritage, donnant lieu à des droits au profit des membres de sa famille après son décès. Ces mesures visent à réduire les abus, mais elles semblent aujourd’hui encore insuffisantes face aux problèmes structurels du secteur.

Applications de transport : menace ou solution ?

Face au chaos qui caractérise le secteur des taxis au Maroc, les plateformes de transport par application ont su se frayer un chemin, répondant à des besoins que le système traditionnel peine à satisfaire. En 2015, Uber, le géant mondial du transport, a tenté de s’implanter sur le marché marocain. Cependant, l’absence d’un cadre juridique adapté, combinée à une vive opposition des taxis classiques, a contraint la plateforme à se retirer en 2018. Cette tentative avortée n’a pas découragé d’autres acteurs. Des applications comme Heetch, Indrive et Careem ont su exploiter les failles d’un environnement réglementaire encore flou et continuent à opérer dans une zone grise juridique qui reste aujourd’hui l’objet de nombreux débats.
En effet, ces entreprises ne se positionnent pas comme des opérateurs de transport au sens classique du terme, mais comme des plateformes technologiques. Cette distinction leur permet de contourner les obligations imposées aux taxis traditionnels, notamment en matière d’agréments ou de tarifs réglementés. En connectant directement chauffeurs et clients via une application, elles n’assument pas la responsabilité légale des prestations de transport. Pourtant, cette stratégie, bien qu’astucieuse, place les chauffeurs dans une situation précaire. En effet, ces derniers sont souvent exposés à des sanctions en vertu de la loi de 1963, qui régit encore le secteur des transports au Maroc. Cette loi, largement dépassée, qualifie leur activité de transport exceptionnel sans autorisation, ce qui expose les chauffeurs à des amendes variant de 120 à 1.200 dirhams, assorties de peines de prison pouvant aller jusqu’à six mois. Cette situation est la parfaite illustration d’un déphasage entre une législation obsolète et une nouvelle réalité économique et technologique en constante évolution.

Les applications ont le vent en poupe

Malgré ces obstacles, le modèle économique des applications continue de séduire un nombre croissant de Marocains. Avec des tarifs souvent compétitifs, une disponibilité accrue et une transparence sur les prix, ces plateformes répondent à une demande insatisfaite par le système des taxis classiques. Ainsi, en 2024 seulement, le secteur devrait générer plus de 67 millions de dollars, selon Statista, une plateforme de statistique. Et ce marché continuera certainement à se développer, vu qu’aujourd’hui seulement 10% des Marocains utilisent ces applications. Pourtant, la coexistence entre taxis traditionnels et applications reste conflictuelle, notamment parce que la légalisation des applications menace directement les titulaires d’agréments, vu que les chauffeurs professionnels se dirigent de plus en plus vers les applications parce que ça leur permet de gagner plus et d’être leur propre boss.
Pour faire face à cette crise, la réforme des lois régissant ce secteur semble plus que jamais urgente, notamment avec l’approche de projets majeurs pour le Maroc comme l’organisation du mondial 2030 qui connaîtra un grand afflux de touristes. La réforme de cette loi et l’adoption de mesures équitables pour tous les acteurs semblent aujourd’hui indispensables pour garantir un transport urbain digne et efficace
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