Dimanche 19 octobre, au Palais Royal de Rabat, le Conseil des ministres, présidé par S.M. le Roi Mohammed VI, a adopté deux projets de textes qui pourraient bien rebattre les cartes de la vie politique marocaine. L’un revoit le statut de la Chambre des représentants, l’autre réforme en profondeur la loi sur les partis politiques. Le communiqué officiel parle d’un objectif clair «moraliser les prochaines échéances législatives et garantir leur intégrité, afin qu’elles débouchent sur des élites jouissant de légitimité et de confiance». Ces deux lois, discrètes dans leur formulation, posent en réalité les fondations d’un tournant moral dans un paysage politique souvent miné par la défiance. Rien que depuis 2021, 26 députés ont été poursuivis ou condamnés pour des affaires de corruption, de détournement de fonds ou d’abus de pouvoir.
Parmi eux, 11 ont été incarcérés, tandis que 29 autres ont perdu leur siège à la suite de décisions de la Cour constitutionnelle, dont 15 pour condamnation judiciaire. Au total, 47% des cas de déchéance parlementaire enregistrés durant la législature actuelle sont liés à des faits de corruption ou de violation de la loi. Un bilan qui fait de cette législature l’une des plus marquées par les scandales de probité depuis 2011, et qui a nourri une défiance croissante envers l’institution parlementaire.
Parmi eux, 11 ont été incarcérés, tandis que 29 autres ont perdu leur siège à la suite de décisions de la Cour constitutionnelle, dont 15 pour condamnation judiciaire. Au total, 47% des cas de déchéance parlementaire enregistrés durant la législature actuelle sont liés à des faits de corruption ou de violation de la loi. Un bilan qui fait de cette législature l’une des plus marquées par les scandales de probité depuis 2011, et qui a nourri une défiance croissante envers l’institution parlementaire.
Des affaires qui ont sapé la confiance
Par exemple, en 2023, le député Rachid El Fayek (RNI) a été condamné à huit ans de prison pour détournement de fonds publics et trafic d’influence. En 2024, Mohamed El Hidaoui, autre député du RNI, a écopé de huit mois ferme pour revente illégale de billets du Mondial 2022. Et Abdelkader El Boussaïri, ex-parlementaire, a été condamné à cinq ans pour corruption dans la gestion municipale. Autant d’affaires qui ont entamé la crédibilité du Parlement. Cette crise de confiance se lit dans les chiffres : selon une enquête du Centre marocain pour la citoyenneté (CMC), 94,8% des Marocains déclarent ne pas faire confiance aux partis politiques. Et le dernier Indice de perception de la corruption de Transparency International place le Maroc à 37/100, en recul d’un point, soit la 99ᵉ place sur 180 pays, preuve que la lutte contre l’opacité reste un chantier ouvert. Face à cela, la Monarchie entend réintroduire la rigueur. Les nouvelles dispositions excluent désormais toute personne condamnée pour des faits entraînant la perte d’éligibilité. Les sanctions seront également durcies pour toute fraude électorale, «durant toutes les étapes du vote», précise le texte.
Jeunes et femmes : vers un nouveau visage politique ?
Mais la moralisation n’est pas qu’affaire de sanction. Les nouvelles lois veulent aussi renouveler la représentation. Les candidats de moins de 35 ans bénéficieront désormais d’un soutien public couvrant 75% de leurs dépenses de campagne, mesure inédite destinée à lever un frein majeur à l’engagement politique. Quant aux circonscriptions régionales, elles seront réservées exclusivement aux femmes : selon les projections du ministère de l’Intérieur, la part féminine du Parlement pourrait passer de 24% à près de 35% en 2026. Le second texte, consacré aux partis, va plus loin encore : il impose plus de transparence financière et un encadrement strict des comptes. Le dernier rapport de la Cour des comptes (2025) montre pourtant l’ampleur du chantier : sur 33 partis, seuls 27 ont transmis leurs bilans financiers pour 2023, et 24 ont dû restituer 38,4 millions de dirhams de subventions non justifiées. En tout, les partis ont déclaré 104,9 millions de DH de ressources l’an dernier, dont 58% issus de financements publics. Ces chiffres révèlent un système de dépendance et de gestion encore perfectible. «Moderniser l’action partisane pour qu’elle s’adapte aux mutations profondes de la société marocaine», résume le Communiqué Royal.
Un enjeu démocratique, mais aussi économique
Par ailleurs, la moralisation du champ politique n’est donc plus perçue comme une simple exigence éthique, mais comme une condition de stabilité économique. Lors du même Conseil des ministres, S.M. le Roi Mohammed VI a validé les grandes orientations du projet de loi de Finances 2026, centré sur la croissance, l’emploi et la justice sociale, trois piliers qui ne peuvent, selon plusieurs observateurs, se consolider sans un environnement politique crédible et prévisible. L’économiste Marwane Hatim, membre de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec et chercheur associé à l’Université de Montréal, y voit «une très bonne nouvelle». «La moralisation de la vie politique, dit-il, est un signal fort. Un environnement politique éthique et stable réduit l’incertitude et attire les investisseurs. Plus la sphère politique est transparente, plus les règles du jeu deviennent équilibrées et justes pour tous les acteurs économiques.» Pour M. Hatim, la transparence n’est pas seulement un idéal moral, c’est un facteur de compétitivité. «Quand les investisseurs étrangers observent une gouvernance claire, sans favoritisme ni opacité, ils savent que le risque est moindre. Cela place l’économie marocaine sur les radars internationaux, tout en favorisant la rétention des capitaux et la création de valeur locale.»
Mais encore faut-il que la réforme soit appliquée, pas seulement proclamée. «Il faut rendre cette moralisation effective sur le terrain : les contrôles, les sanctions, l’indépendance des institutions doivent être réels. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle deviendra palpable pour les citoyens, les opérateurs économiques et les investisseurs», insiste-t-il. En effet, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), dans son Country Fact Sheet 2025 sur le Maroc, le souligne : «L’intégrité publique reste freinée par la faiblesse du contrôle des financements politiques et par la lenteur des sanctions administratives. Ainsi, M. Hatim établit un lien direct entre moralisation et gouvernance publique. «Cette exigence de transparence et de reddition de comptes doit s’accompagner d’une meilleure performance de l’État. Améliorer la productivité, la gestion des ressources et l’évaluation indépendante des politiques publiques, c’est renforcer la confiance économique.» Il précise ainsi qu’«il ne suffit pas d’adopter des lois : il faut les incarner. L’intégrité doit devenir un réflexe collectif, du plus petit échelon administratif jusqu’aux dirigeants.»
Mais encore faut-il que la réforme soit appliquée, pas seulement proclamée. «Il faut rendre cette moralisation effective sur le terrain : les contrôles, les sanctions, l’indépendance des institutions doivent être réels. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle deviendra palpable pour les citoyens, les opérateurs économiques et les investisseurs», insiste-t-il. En effet, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), dans son Country Fact Sheet 2025 sur le Maroc, le souligne : «L’intégrité publique reste freinée par la faiblesse du contrôle des financements politiques et par la lenteur des sanctions administratives. Ainsi, M. Hatim établit un lien direct entre moralisation et gouvernance publique. «Cette exigence de transparence et de reddition de comptes doit s’accompagner d’une meilleure performance de l’État. Améliorer la productivité, la gestion des ressources et l’évaluation indépendante des politiques publiques, c’est renforcer la confiance économique.» Il précise ainsi qu’«il ne suffit pas d’adopter des lois : il faut les incarner. L’intégrité doit devenir un réflexe collectif, du plus petit échelon administratif jusqu’aux dirigeants.»
Sur le plan budgétaire, l’économiste reste confiant. «Le Maroc a fait preuve d’une rigueur constante dans la gestion de ses finances publiques, ce qui a valu sa récente notation Investment Grade. C’est un gage de confiance qui doit maintenant s’étendre à la sphère politique.» Mais il prévient : cette discipline doit aller de pair avec une politique sociale ciblée et durable. «Il faut que nos politiques sociales soient mieux orientées vers les populations vulnérables. L’éducation et la santé dans le monde rural doivent devenir des priorités. La justice sociale et la discipline budgétaire ne sont pas incompatibles, à condition qu'il y ait une gestion rigoureuse et une fiscalité plus équitable.»
In fine, M. Hatim insiste sur la dimension collective du changement. «La moralisation ne doit pas être l’affaire d’un seul département : elle doit être portée par l’ensemble des institutions, de la société civile et du secteur privé.» «Les dirigeants et les gestionnaires publics doivent être des modèles d’intégrité et de reddition de comptes. Ce sont les vraies boussoles du développement. Ainsi, la réforme en cours relie deux ambitions jusqu’ici parallèles : le redressement moral et la performance économique. «Il n’y a pas de développement économique sans développement humain», conclut M. Hatim. «Et il n’y a pas de développement humain sans exemplarité politique.»
