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Viol et filiation : Ghizlane Mamouni dénonce les incohérences de la justice

Invitée de l’émission «L’Info en Face», Ghizlane Mamouni, avocate et présidente de l’association «Kif Mama Kif Baba», a vivement critiqué le verdict de la Cour de cassation dans l’affaire du viol d’une femme atteinte de handicap psychologique. Selon elle, la justice marocaine se montre indulgente en matière de protection des femmes vulnérables, en infligeant des peines trop légères aux agresseurs. L’avocate a également dénoncé les dérives juridiques liées à la filiation des enfants nés d’un viol, appelant à une réforme profonde du système judiciaire.

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Lors de son passage le 28 avril 2025 à l’émission «L’Info en Face» diffusée sur Matin TV, l’avocate et militante des droits humains Ghizlane Mamouni a sévèrement critiqué l’indulgence de la justice envers les auteurs des agressions sexuelles sur les femmes. Évoquant l’affaire de viol d’une femme souffrant de déficience mentale, elle s’est dite révoltée par l’incapacité du système judiciaire à protéger efficacement les femmes victimes de viol, ainsi que les enfants nés hors mariage. Outrée par la légèreté des peines prononcées, et indignée par l'absence de reconnaissance juridique des enfants nés hors mariage, Maître Ghizlane Mamouni a pointé une jurisprudence qu'elle juge inique. L'avocate a déploré un système judiciaire s’appuyant sur une vision rigide de l’ordre familial, ne parvenant pas à garantir une protection adéquate aux victimes, en dépit des principes constitutionnels et éthiques censés guider son action. Selon Mme Mamouni, cette situation reflète une défaillance systémique qui empêche les plus vulnérables de bénéficier de leurs droits fondamentaux, en particulier en matière de protection contre les violences.

Une peine d’un an pour un viol reconnu : «scandaleux»

«Un an, c’est absolument insuffisant. C’est scandaleux de prononcer des peines comme ça. Et ce n’est pas la première fois», a tempêté Ghizlane Mamouni, en réaction à la peine infligée à l’auteur d’un viol commis sur une femme atteinte d’un handicap mental. Pour elle, la peine prononcée contre l’agresseur est révélatrice d’une profonde défaillance du système judiciaire.

L’avocate a étayé ses propos en rappelant les résultats d’une étude récente menée par une journaliste, qui met en lumière une réalité inquiétante. «Dans seulement 11% des cas au Maroc, les condamnations pour viols, y compris pédocriminels, dépassent cinq ans, alors que la loi prévoit des peines plus sévères», a-t-elle souligné. Selon cette juriste, ces chiffres illustrent un écart alarmant entre les exigences de la loi et leur application, renforçant ainsi le sentiment d’impunité chez les auteurs de violences sexuelles. Ce constat relève, selon elle, l’incapacité du système judiciaire à protéger les victimes, notamment les plus vulnérables.*

Une requalification pénale injustifiée

Pour Maître Mamouni, l'un des points les plus choquants dans l'affaire en question réside dans la qualification juridique de l'acte. Le viol a été requalifié en «attentat à la pudeur» par la Cour d'appel. «Dans cette affaire, la Cour d’appel n’a même pas qualifié les faits de viol. C’est un doux euphémisme pour qualifier la barbarie des actes commis», s’est-elle insurgée, soulignant que cette requalification reflétait une perception biaisée de ces actes, tant au sein de la société que parmi certains juges. «On considère encore au Maroc que les viols et agressions sexuelles sont des infractions mineures, ce qui est inacceptable. Le viol devrait être considéré comme un crime de sang», a-t-elle insisté, dénonçant ainsi une iniquité flagrante dans le traitement judiciaire de ces crimes.

Par ailleurs, Ghizlane Mamouni a contesté vigoureusement le fondement juridique de cette requalification, rappelant dans ce sens que les éléments constitutifs du viol étaient bel et bien réunis dans cette affaire, mais que le tribunal a choisi de les ignorer. Pour elle, cette décision témoigne d'une volonté délibérée d’atténuer la gravité du crime.

«Une justice en déphasage avec les réalités sociales»

Interrogée sur les difficultés rencontrées en général dans les affaires de viol, Ghizlane Mamouni met en lumière l’incohérence qui caractérise, selon elle, parfois le système judiciaire marocain. «Quand il n’y a pas de preuve, c’est simple, c’est classé sans suite. Mais là, je parle d’un cas où il y a eu condamnation et, malgré cela, la peine est d’un an», a-t-elle déploré, soulignant la contradiction flagrante entre la gravité des faits et la légèreté de la sanction. Pour elle, il s’agit d’une tendance inquiétante : «Dans près de 33% des affaires, les peines sont assorties de sursis, ce qui renforce l’impunité ressentie.»
Pour Mme Mamouni, la problématique dépasse le simple cadre de l’affaire en question et relève d’un dysfonctionnement. «Le problème est aussi structurel», affirme-t-elle, appelant à une remise en question profonde. Plus encore, l’intervenante appelle à rompre avec «cette logique judiciaire qui favorise l’inaction et l’indulgence», rappelant l'exemple de l'affaire de Tiflet où les condamnations avaient été jugées scandaleusement légères.
Par ailleurs, Ghizlane Mamouni a fustigé l'inégalité entre enfants nés de mariages légitimes et ceux nés hors mariage. L'avocate s'insurge contre une vision juridique qui, en creux, consacre la marginalisation de l'enfant, en le traitant comme une anomalie. Elle a déploré que l'enfant soit considéré comme une «victime de son existence», autrement dit comme une personne stigmatisée dès sa naissance. Pour elle, cette perception nie à l'enfant sa pleine humanité et le réduit à un statut juridique dévalorisé, conséquence directe d’une filiation juridiquement niée et moralement dépréciée.

La question de la filiation : une «impasse juridique et morale»

Pour Maître Mamouni, l'article 148 du Code de la famille (qui stipule qu’un enfant né hors mariage n’a aucun lien de filiation avec le père biologique, sauf en cas de reconnaissance volontaire de celui-ci) engendre des «absurdités juridiques» qui mettent en lumière un profond décalage entre l’état du droit positif et les réalités scientifiques et sociales actuelles. «En ignorant le test ADN, on permet encore au père de dire : je ne reconnais pas cet enfant», a-t-il insisté, soulignant l’inefficacité d’un cadre juridique qui ne tient pas compte de la preuve biologique irréfutable. L'avocate plaide avec fermeté pour que l'expertise ADN, aujourd’hui admise dans le domaine pénal comme moyen de preuve, soit également érigée comme preuve de paternité dans les affaires civiles relatives à la filiation.

Mais au-delà de la «contradiction juridique», Maître Mamouni a alerté sur les implications humaines et morales de cette «lacune législative». En refusant de reconnaître le lien entre un père et son enfant, malgré une preuve scientifique établie, le droit marocain ouvre la voie à des situations aux conséquences irréparables. «Cet enfant pourrait, dans quelques années, se marier avec sa demi-sœur, ou même son père biologique. Et pour la Cour de cassation, c’est OK», a-t-elle prévenu, dénonçant une indifférence inquiétante de l'institution judiciaire face aux risques d’«inceste involontaire». Selon elle, le silence de la loi sur la filiation biologique dans les cas de la naissance hors mariage n’est pas seulement une injustice : c’est une mise en danger concrète de la société et de ses fondements éthiques.

C’est pourquoi Maître Ghizlane Mamouni dénonce avec force l’hostilité de certaines autorités religieuses et institutionnelles vis-à-vis des avancées scientifiques, en particulier les tests ADN, dans les affaires de filiation. Pour elle, «ces autorités préfèrent l'inceste à la reconnaissance de l’évidence et refusent d’admettre l’expertise biologique comme outil juridique de preuve, au nom d’une conception figée de l’ordre public familial». Cette position, a-t-elle souligné, empêche toute reconnaissance légale d’un lien de filiation dès lors qu’il résulte d’une naissance hors mariage, même lorsque la filiation biologique est scientifiquement établie. Et de s’indigner : «La morale religieuse supplante les droits fondamentaux» et «la préservation d’une structure familiale supposée légitime l'emporter sur la protection de l’enfant».

Pour Maître Mamouni, cette «posture idéologique», soutenue implicitement ou explicitement par le Conseil supérieur des oulémas et avalisée par le silence du ministère chargé des Affaires islamiques, conduit à des situations d’une gravité extrême. «Il s’agit d’un déni d’humanité de la part d’institutions censées guider la société, mais qui enferment la justice dans des dogmes anachroniques».

Rappelant l'article 32 de la Constitution marocaine qui impose à l'État de protéger tous les enfants, Maître Mamouni a estimé dès lors que cette disposition était bafouée. «On a deux catégories d'enfants dans notre pays : les enfants légitimes, et les autres, considérés comme des bâtards», a-t-elle dénoncé en appelant à rompre avec les conceptions anciennes de la famille et à ouvrir les yeux sur les réalités de la société.
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