Menu
Search
Lundi 21 Avril 2025
S'abonner
close
Lundi 21 Avril 2025
Menu
Search
lock image Réservé aux abonnés

Casablanca : wilaya ou mairie, qui donne le tempo ?

Sous l’impulsion du wali de Casablanca-Settat, Mohamed Mhidia, la métropole est en train de changer de visage. Les chantiers se multiplient et leur réalisation s’accélère. Mais cette «nouvelle dynamique» positive ne doit pas occulter des questions fondamentales : quelle est la contribution des élus à ce renouveau ? leurs compétences sont-elles à la hauteur des ambitions de la ville ? Le troisième volet de l’émission «On a visité pour vous» sur Matin TV essaie de répondre à ces interrogations en décryptant les enjeux politiques de la gestion du patrimoine immobilier casablancais. Car, entre rivalités partisanes et calculs politiques étriqués, l’Administration territoriale a parfois du mal à imprimer l’élan nécessaire à la transformation de la ville.

L’arrivée du wali Mohammed Mhidia à la tête de la région de Casablanca-Settat a indéniablement impulsé une dynamique nouvelle à la métropole, se traduisant par une accélération notable de la réalisation de nombreux chantiers jusqu’alors bloqués ou en difficulté. En toute logique, la question de la compétence des élus et de leur capacité à concrétiser les ambitions de développement de la métropole se pose, soulevant par là l’imprécision des frontières entre les attributions des élues et de l’administration territoriale.

Cette problématique se trouve justement au cœur de l’émission «On a visité pour vous», diffusée sur Matin TV. Après les deux premières parties qui ont décortiqué les obstacles administratifs, politiques et les conflits d’intérêts entravant la valorisation des actifs communaux, ainsi que les projets de valorisation en cours et les controverses qu’ils suscitent, cette troisième partie s’attache à expliquer les enjeux politiques sous-jacents. Elle examine plus spécifiquement la question des compétences des élus et leur marge de manœuvre par rapport à l’administration territoriale, s’agissant notamment du dossier de la gestion d’un patrimoine qui façonnera dans une large mesure l’avenir urbain de la métropole. Houssine Nasrallah, deuxième vice-président du conseil municipal et conseiller de la majorité, et Abdessamad Haiker, conseiller communal de l’opposition, croisent leurs visions.

Le wali, la mairie et les enjeux de la «nouvelle dynamique»

Mis à part leur rivalité politiques, les deux protagonistes semblent d’accord, quoiqu’à des degrés divers, sur l’importance du rôle et de l’implication des élus. À ce propos, M. Nasrallah réfute l’idée selon laquelle les élus avaient besoin d’un «coup de fouet» du wali pour avancer plus vite. Il tient à préciser qu’il existe un plan d’action de la commune, validé avant l’arrivée de M. Mhidia, et que les actions actuelles en font partie. «Il faut savoir qu’il y a un plan d’action qui a été validé bien avant l’arrivée de M. Mhidia. C’est la vision du conseil communal pour la ville de Casablanca pour les 6 ans de son mandat. Et tout ce qui se fait aujourd’hui à Casablanca, c’est une exécution de ce plan d’action», souligne M. Nasrallah. Mais quoi qu’il en soit, le responsable communal concède que le développement communal repose sur l’action synergique entre l’entité élue (la maire) et l’entité nommée (le wali), avec des rôles distincts, mais complémentaires.



Tout en reconnaissant que M. Mhidia, homme de terrain par excellence, a un style qui a permis une accélération des projets, il insiste sur le fait qu’il ne pourrait pas travailler sans la présidente du conseil communal et le conseil lui-même. «Si vous l’avez remarqué, avec l’arrivée de M. Mhidia, les résultats sont devenus visibles. Mais s’il n’y avait pas un plan d’action, le wali aurait pris le temps d’en mettre un en place. Et puis M. le wali ne donne pas d’ordre de service. Il ne paye pas. Il ne contrôle pas... C’est Mme la présidente qui signe les cahiers des charges, qui fait des appels d’offres, qui donne des ordres de service, qui atteste de la fin des travaux et qui paye un ordonnancement pour régler la facture... Mais l’intervention de M. le wali demeure capitale tout de même», précise-t-il.



M. Nasrallah souligne quand même qu’il y a un «avant Mhidia et un après Mhidia» en termes de rythme d’exécution, bien que la présidence et le conseil communal soient restés inchangés. «Nous avons deux entités qui roulaient à une certaine vitesse : la commune et la wilaya. Cette vitesse a augmenté significativement. Pour autant, est-ce qu’il y a eu un changement à la présidence de la commune ? Est-ce que le conseil a changé ? Est-ce que le bureau a changé ? Rien n’a changé au niveau de la première entité. Au niveau de la deuxième entité, il y a eu un changement de M. le wali», note-t-il.

Une «célérité en trompe l’œil»

Abdessamad Haiker fait pour sa part une lecture plus critique de ce changement. Il estime que la dynamique observée sous l’égide de M. Mhidia repose en grande partie sur des projets préexistants, datant de l’époque où son Parti de la justice te du développement (PJD), était aux commandes de la ville, qui ont simplement été relancés. Cela dit, il met en garde contre un possible non-respect des procédures légales, notamment en matière d’expropriation, signalant que la rapidité d’exécution de nombreux projets d’infrastructure sous l’égide du wali Mohamed Mhidia «pourrait avoir fait fi de la législation en matière d’expropriation». Il souligne que sous le précédent mandat, son parti était opposé à toute appropriation illégale de biens d’autrui sans avoir suivi les procédures légales pour établir la possession, que ce soit par l’acquisition amiable, l’échange ou la procédure d’expropriation lorsque toutes les conditions étaient réunies.



«Aujourd’hui, la profusion des projets reflète une image de dynamisme, mais celle-ci risque de faire crouler la commune sous des infractions relatives à l’état de fait. Sous le précédent conseil, aucun recours à l’état de fait n’a été enregistré. Or sous le conseil actuel, ces recours se multiplient», relève-t-il. À cet égard, M. Haiker mentionne une décision conjointe des ministères de l’Intérieur et de l’Économie et des finances stipulant que toute décision d’expropriation prise par le président de la commune doit être validée par le wali et accompagnée de plusieurs documents, dont une attestation signée par le maire et le trésorier municipal confirmant la disponibilité des fonds nécessaires. «Pour nous, cela signifie que les décisions ne sont pas, à la base, soumises à l’approbation du wali», affirme-t-il. Et d’ajouter : «Même avec des documents validés, une décision d’expropriation ne peut pas être mise en œuvre immédiatement. Il existe une procédure en plusieurs étapes qui s’étend sur plusieurs mois et qui aboutit à ce qu’on appelle la possession immobilière, permettant d’exercer des droits matériels sur le bien. Or cela n’a été effectué pour aucun des biens concernés par une décision d’expropriation !» M. Haiker tient à souligner dans le même ordre d’idées que les infractions liées à l’état de fait ne sont pas soumises à un délai de prescription, ce qui signifie que les personnes s’estimant lésées auront toujours le droit d’intenter un procès contre la commune et de le gagner, même si les faits remontent à longtemps.

De son côté, Houssine Nasrallah affirme que toutes les décisions, de cessions ou autres, sont sur le point d’être bouclées et qu’elles sont ainsi soumises au visa du wali, qui est garant de leur régularité. Il souligne que l’État est toujours présent à toutes les étapes concernant le patrimoine immobilier de la commune, et que le visa du wali en est la dernière étape.

En tout cas, M. Haiker affirme désapprouver cette tendance à privilégier les cessions des biens immobiliers en prétextant de la nécessaire mise à niveau urbaine pour l’organisation des grands événements sportifs prévus. «La logique de la cession, de la sélectivité, de la vente en détail et la transformation de la commune en agence immobilière... est une logique qui prévaut chez l’actuel Conseil depuis son arrivée !» martèle-t-il, précisant qu’il n’est pas opposé à la vente de biens, à condition que cela ne compromette pas la pérennité des ressources financières de la ville.

Compétence technique et légitimité électorale, un équilibre nécessaire

Mais M. Nasrallah relève que le nouveau texte de loi relatif à la gestion du patrimoine des collectivités territoriales garantit la transparence grâce à la mise en concurrence obligatoire, la détermination du prix par une commission et la présence de l’État à toutes les étapes. Il estime que ce nouveau cadre légal rend beaucoup plus difficile toute manœuvre opaque de la part des élus. Ces derniers, au-delà de la dimension éthique de leur intervention, demeurent parfois dépassés par l’ampleur et la complexité des chantiers. Selon M. Nasrallah, l’arrivée d’un wali «homme de terrain» et compétent comme M. Mhidia met encore plus en lumière ce «déphasage», car elle interroge sur le niveau d’implication et la capacité des élus à collaborer efficacement avec une administration territoriale hautement qualifiée.

En effet, le recrutement des agents de l’administration territoriale est soumis à des processus rigoureux et sélectifs. Les ressources humaines qui la composent sont «triées sur le volet», avec une sélection minutieuse basée sur des critères précis et objectifs tels que les qualifications académiques, les compétences techniques, l’expérience professionnelle et les aptitudes comportementales. En revanche, le processus de sélection des élus locaux est souvent influencé par des considérations autres, explique-t-il. Si les compétences et l’expérience sont prises en compte, d’autres facteurs comme la popularité, la capacité à mobiliser des soutiens et les stratégies des partis politiques sont souvent privilégiés.

Les partis politiques, en particulier, cherchent à maximiser leur représentation et à renforcer leur influence, ce qui peut parfois conduire à accréditer des élus qui ne brillent pas forcément par leur compétences techniques et managériales. D’où la nécessité de trouver l’équilibre entre l’expertise technique, indispensable à une administration performante, et la représentativité démocratique qui confère de la légitimité aux décisions prises.
Lisez nos e-Papers