Au Centre hospitalier Azzamouri de Kénitra, l’affaire a fait grand bruit. Un mini-réseau basé sur la corruption, la malversation et la concussion vient d’être mis au jour. Le groupe de malfaiteurs qui exploitait la vulnérabilité des patients en quête de soins, impliquant un agent de sécurité, une sage-femme, un médecin et deux autres complices, vient d’être mis hors d’état de nuire. Parmi les victimes de cette bande criminelle, des femmes enceintes, contraintes de verser de l’argent pour pouvoir «accoucher dans des conditions décentes et bénéficier de soins essentiels». Cette affaire n'est pas un cas isolé. Des scandales similaires éclatent régulièrement, alertant sur les dysfonctionnements graves qui caractérisent la gestion de nombre d’établissements hospitaliers publics. D’ailleurs, une enquête publiée par «Le Matin» le 5 mars dernier, intitulée «Hôpitaux publics : comment les agents de sécurité dictent leur loi», révélait au grand jour la collusion entre certains agents de sécurité, des médecins et des infirmiers dans le but de monnayer des services censés pourtant être offerts gratuitement. L’affaire de corruption que vient de connaître le Centre hospitalier Azzamouri confirme donc ce que l’enquête du «Matin» avait souligné : le système de santé public souffre de maux multiples, au premier rang desquels la gouvernance.
Le déclencheur : une patiente qui ose dénoncer !
Que s’est-il passé au Centre hospitalier Azzamouri ? de sources fiables, l’on apprend que l’histoire a commencé lorsqu'une femme enceinte a été approchée par des individus lui demandant de verser un «pot-de-vin» si elle souhaitait voir son cas bénéficier de l’attention nécessaire. Excédée, elle décide de dénoncer ce chantage à travers le numéro vert du ministère public. Aussitôt après, le parquet général a ouvert discrètement une enquête en étroite coordination avec le nouveau directeur de l’hôpital, Yassine Hafiani.
Une policière qui s’est fait alors passer pour un membre de la famille de la femme enceinte a décidé de remettre la somme de 2.000 dirhams à la sage-femme pour accélérer le processus de prise en charge médicale. Et c’est ainsi que la sage-femme a été prise en flagrant délit de corruption ainsi que l'agent de sécurité qui servait d’intermédiaire. Mais cette arrestation n’était que le début du coup de filet. À mesure que l'enquête avançait, les complices apparaissaient. La sage-femme a avoué que l’argent reçu devait être remis à un médecin, une femme. Après autorisation du Parquet, l’analyse des conversations téléphoniques entre les membres du réseau a permis aux enquêteurs de reconstituer les différents maillons de cette chaîne véreuse. Ce qui semblait être, au départ, un simple arrangement peu délicat, s’est avéré être un réseau structuré, avec des rôles bien répartis. Après l’agent de sécurité, la sage-femme et le médecin, deux autres complices ont été interpellés.
Des mesures radicales : le changement nécessaire
Ce scandale qui vient de secouer Centre hospitalier Azzamouri intervient alors que des réformes majeures sont en cours au sein de cet établissement, après la nomination du Pr Yassine Hafiani. Ce jeune médecin semble en effet résolu à rompre avec les pratiques malhonnêtes et instaurer un mode de gestion moderne et transparent. Dès sa prise de fonction, M. Hafiani a mis en œuvre des mesures drastiques pour rétablir l'ordre et mettre fin à l’opacité et aux dysfonctionnements qui faisaient le lit à des pratiques malsaines. Selon nos sources, l’engagement de ce nouveau directeur était qu’il s’enquérait directement auprès des patients de leur condition de prise en charge et pour savoir s’ils avaient fait face à des demandes de pots-de-vin.
D’ailleurs, l'une de ses premières initiatives a été de revoir la rémunération des agents de sécurité, qui était de 2.000 dirhams par mois. En les alignant sur le salaire minimum garanti (SMIG) et imposant leur inscription à la CNSS, Pr Hafiani tient non seulement améliorer leurs conditions de travail, mais aussi réduire leur vulnérabilité à la corruption. Dans le même ordre d’idées, il a renforcé les contrôles internes et instauré un système de rotations parmi les agents de sécurité afin d’éviter de créer un terrain favorable au népotisme et au favoritisme. D’après nos sources, la rotation des sages-femmes devrait être mise en place dans un futur proche. Mais ces initiatives, aussi louables qu’elles soient, ne doivent pas occulter les autres défis auxquels cet hôpital fait face, des défis qui ont trait notamment à la disponibilité des ressources humaines et financières.
Une réforme qui commence à porter ses fruits
Avec une capacité d’accueil de 450 lits, le Centre hospitalier Azzammouri, qui vient d’ouvrir ses portes, a renforcé l’offre sanitaire dans la ville de Kénitra. L’hôpital El Idrissi, datant de 1930, était dans un état de dégradation avancée. Mais la cohabitation de ces deux structures a créé un certaine incompréhension. La question était de savoir s'il s'agissait d'un transfert d'activités ou si les deux hôpitaux allaient coexister. Cette incertitude a engendré un manque de clarté dans les responsabilités chez les différents acteurs, créant ainsi un cafouillage qui a conduit à des blocages fréquents et a exacerbé les problèmes existants. Cette situation a été aggravée par le retard de la sortie des textes d’application pour les Groupements sanitaires territoriaux (GST), ce qui a conduit à une gestion approximative. Ce n’est qu’en mars dernier que le ministre de la Santé et de la protection sociale, Amine Tahraoui, a décidé d’agir en procédant à une réorganisation en profondeur des structures sanitaires de la région. Lors de sa visite au Centre Azzammouri, le 26 mars 2025, il a annoncé la nomination du Pr Hafiani à la tête de l’établissement. Un plan d’action ambitieux a été ainsi mis en place, avec une approche inclusive impliquant les partenaires sociaux. Ce plan a pour objectif de moderniser l’hôpital El Idrissi et de transférer toutes ses activités vers le Centre Azzammouri, tout en intégrant des réformes sur la bonne gouvernance, l’amélioration de l’offre de soins, la revalorisation des professionnels de santé et la digitalisation, conformément à la loi-cadre 06-22.