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Abdennasser Naji décortique la position médiocre du Maroc dans le classement TIMSS 2023

Les résultats du «TIMSS 2023» montrent un recul inquiétant du niveau des élèves marocains, notamment au collège, où le score en sciences a chuté de 67 points, avec seulement 18% des élèves maîtrisant les compétences minimales. Abdennasser Naji, expert en éducation, analyse ces résultats en soulignant les faiblesses du système éducatif marocain, liées à des réformes lentes, un enseignement des sciences inadapté et des lacunes dans la formation des enseignants.

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Le Matin : Comment analysez-vous les résultats des élèves marocains en mathématiques et en sciences, tels qu’ils apparaissent dans le Rapport «TIMSS» ?

Abdennasser Naji :
Les résultats officiels de «TIMSS 2023» qui ont été publiés le 4 décembre ont confirmé d’abord une constante. Le Maroc maintient son statut du dernier du classement général, puisqu’il continue d’occuper soit carrément la dernière place, comme c’est le cas cette année en deuxième année du collège dans les deux disciplines évaluées qui sont les sciences et les mathématiques, soit l’avant-avant-dernière place lorsqu’il fait mieux, comme c’est le cas cette année en quatrième année du primaire dans les deux matières déjà citées. La nouveauté cette année, qui a constitué un choc pour tous les Marocains vu le contexte de réforme de l’éducation que nous vivons, c’est que le Maroc a chuté de 67 points dans le test des sciences passé par les élèves de la deuxième année du collège, ce qui représente ni plus ni moins le pire résultat obtenu par des élèves marocains depuis plus de vingt ans.

Encore plus inquiétant, la proportion d’élèves collégiens qui maîtrisent le niveau minimal des compétences en sciences, qui est passée de 48% en 2019 à 18% seulement en 2023, ce qui veut dire en d’autres termes que le strict minimum des apprentissages sensé en principe être un acquis indéniable pour tous les élèves n’est pas maîtrisé par 82% de nos élèves. Un chiffre record parmi tous les pays participants au «TIMSS» (Tendances dans l’étude des mathématiques et des sciences), et le pire jamais enregistré dans les précédentes participations marocaines qui remontent jusqu’à 25 ans. Même le pourcentage des élèves marocains du collège qui détiennent le niveau moyen des compétences en sciences a dégringolé de 17 à 4%, sans parler du pourcentage presque nul des élèves excellents selon l’échelle «TIMSS» des compétences, mais ceci reste une caractéristique presque stable de toutes les participations du Maroc dans les évaluations internationales des apprentissages. En revanche, il y a eu quelques progrès dans les résultats obtenus par les élèves marocains au primaire par rapport à «TIMSS 2019», allant de 10 points en mathématiques à 16 points en sciences, avec des progrès également enregistrés dans le pourcentage des élèves marocains qui maîtrisent les compétences minimales, atteignant 46% en mathématiques et 47% en sciences. Cette légère progression n’a pas empêché le Maroc de terminer parmi les derniers de la classe, dépassant deux pays seulement, le Koweït et l’Afrique du Sud.



Quelles sont, selon vous, les principales raisons de ces faibles performances, notamment en mathématiques et en sciences ?

Il faut se rappeler d’abord que nous vivons dans un contexte de réforme dont la raison d’être principale réside dans la médiocrité des acquis de nos élèves à tous les niveaux scolaires. Les causes de cette situation alarmante sont connues et les réponses pour s’en sortir sont bien définies dans les référentiels de la réforme, mais le paradoxe incompréhensible c’est que les politiques publiques mises en place tardent à donner leurs fruits par manque soit de pertinence soit d’efficacité. La pertinence nous interpelle sur le sort de la vision stratégique 2030 et de la loi-cadre 51.17 dont l’application reste en suspens depuis 2021, et l’efficacité nous questionne sur le taux de réalisation des objectifs annoncés par l’Exécutif. Parmi les trois objectifs de la Feuille de route 2022-2023 se trouve celui qui promet de doubler le taux des élèves qui maîtrisent les fondamentaux. Or ce taux, qui était de 48% au début de l’investiture de l’actuel gouvernement, est tombé aujourd’hui à 18%, au lieu d’être à 80%, étant donné que l’objectif est de le hisser à 96% en 2026. Objectif impossible à atteindre si l’on sait que nous avons gagné seulement 20 points de pourcentage pendant 20 ans de participation au «TIMSS», un crédit que nous avons dilapidé en l’espace de 4 ans. Pour remonter la pente et espérer au moins revenir au niveau où nous étions en 2019, il nous faudra cravacher dur pendant les deux prochaines décennies. Il serait cependant illusoire de prétendre réussir dans cette perspective si nous n’arrivions pas à résorber les causes qui ont engendré ces résultats inacceptables enregistrés par nos collégiens, surtout en sciences. Plusieurs causes peuvent être citées, mais je me limiterai à celles que je peux qualifier de stratégiques et qui ont impacté directement le niveau de nos collégiens. La première a trait à la lenteur manifeste dans la gestion de la réforme au niveau de l’éducation nationale. On a pris une année pour annoncer la Feuille de route, une autre année pour expérimenter «TARL» (Enseigner au bon niveau) dans quelques établissements scolaires, et une autre année pour lancer l’expérience des écoles pionnières dans pas plus de 626 établissements. Le test «TIMSS» se déroulant en mai 2023 s’est adressé à des élèves qui n’ont bénéficié d’aucune action de réforme inscrite dans la Feuille de route. La deuxième concerne la focalisation de la Feuille de route sur le primaire, ce qui a contribué à marginaliser le collège de tous points de vue, et surtout du point de vue curriculaire, car le curriculum du cycle collégial n’a pas connu de révision au cours de l’actuelle réforme pour l’aligner sur les exigences du curriculum de «TIMSS», comme c’était le cas pour le primaire, ce qui a sauvé relativement ce cycle du naufrage qu’a subi le cycle collégial. La troisième est en lien avec la question linguistique qui a été gérée avec une légèreté déconcertante. L’adoption de l’enseignement des sciences en français au collège reste l’un des facteurs qui ont conduit à cette détérioration importante du niveau des élèves marocains. À ce titre les données de «TIMSS» sont édifiantes puisqu’elles révèlent que 18% seulement de nos élèves parlent cette langue couramment, ce qui impacte inéluctablement le degré de leur compréhension des matières enseignées dans cette langue. Il serait temps de revenir au moins à la légalité dans cette question en adoptant le concept de l’alternance linguistique comme il est défini dans le référentiel de la réforme.

Le système éducatif marocain prépare-t-il suffisamment les élèves aux exigences des évaluations internationales comme le «TIMSS» ? Pensez-vous qu’il y a des lacunes spécifiques dans les programmes scolaires marocains qui expliqueraient ces résultats ?

Bien qu’il y ait des pays qui préparent leurs élèves spécifiquement à ce type de tests, la solution doit être plus globale et réside dans la réforme systémique du système éducatif. La révision radicale du curriculum reste un chantier prioritaire, et la question de l’activation de la commission permanente du curriculum reste posée avec acuité 5 ans après la promulgation de la loi-cadre 51.17. Mais également d’autres questions que j’évoque rapidement, comme l’incapacité du système éducatif à remédier au grand déficit d’apprentissage subi par les apprenants pendant la pandémie de la Covid-19 et pendant la grève des enseignants l’année dernière, l’adoption de la politique de passage sans mérite d’un niveau scolaire au suivant, et la faible formation des enseignants dans les matières scientifiques, qui s’est aggravée avec la politique d’emploi des contractuels, qui a misé sur la quantité sans prêter beaucoup d’attention à la qualité, notamment avec le faible nombre de titulaires de la licence en éducation et la faiblesse de la formation universitaire dans ces disciplines, sans oublier l’insuffisance des laboratoires scientifiques ou leur faible équipement lorsqu’ils existent.

Quelles réformes prioritaires devraient être mises en place pour améliorer les compétences des élèves marocains en mathématiques et en sciences ?

Les résultats de «TIMSS 2023» ont montré une légère progression au primaire, mais qui reste moins importante que celle réalisée en 2019 et nettement moins que celle de 2015. En plus, nous avançons à un rythme moins significatif que celui de nos concurrents, ce qui fait que nous stagnons à la même place. Les réformes prioritaires pour relever le niveau de nos élèves dans toutes les matières, et pas uniquement les mathématiques et les sciences, ne peuvent pas déroger à celles stipulées dans la loi-cadre. Surtout, un cadre référentiel de la qualité, un cadre référentiel national du curriculum, une formation solide des enseignants les dotant d’une indépendance pédagogique, une gouvernance efficace et un leadership conscient à tous les niveaux du système éducatif.
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