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Au Maroc, augmentation significative des cas de cancers féminins attendue d’ici 2045

Le taux des cas et de mortalité du cancer dans la Région méditerranéenne orientale (RMO) devrait doubler d’ici 2040, selon l’Alliance EM-NCD de la Méditerranée orientale. Cette coalition d’organisations non gouvernementales de la RMO, dédiée à la lutte contre le fardeau des maladies non transmissibles, organisera, le 28 mai en Suisse à l’occasion de la 77e Assemblée mondiale de la santé une rencontre sur le thème «Unir les voix pour l’action sur les cancers féminins dans la RMO». Dre Ibtihal Fadhil, fondatrice et présidente de l’Alliance EM-NCD de la Méditerranée, analyse le paysage actuel du cancer féminin dans la RMO, notamment au Maroc, y compris les types prévalents, les défis liés au diagnostic et au traitement, et les disparités dans l’accès aux soins.

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Le Matin : Pourriez-vous nous donner un aperçu de la situation actuelle du cancer féminin dans la Région de la Méditerranée orientale, notamment au Maroc ?

Dre Ibtihal Fadhil :
Les cancers féminins dans la Région méditerranéenne orientale représentent un défi majeur pour la santé publique, avec 177.246 cas signalés en 2022, constituant 4,7% des cas mondiaux. Parmi les femmes de la région, les cancers du sein, du côlon, du col de l’utérus, de l’ovaire et du foie sont les plus courants. Au Maroc, le fardeau des cancers féminins est notable. Le cancer du sein, avec 12.756 cas signalés en 2022, et le cancer du col de l’utérus, avec 2.644 cas la même année, sont les cancers prédominants chez les femmes du pays. Le cancer du sein à lui seul représente environ 35,5% de tous les cancers féminins au Maroc. L’incidence du cancer du sein dans le pays a montré une augmentation constante au fil des ans, avec environ 8.000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année. En ce qui concerne le cancer du col de l’utérus, le taux d’incidence standardisé par âge au Maroc est de 8,9 pour 100.000 femmes, bien que les taux d’incidence varient selon les régions, les zones rurales présentant des taux plus élevés par rapport aux zones urbaines.

Quelle place occupe le cancer par rapport aux autres maladies non transmissibles chez la population féminine dans la RMO et au Maroc ?

Le cancer occupe une position significative parmi les maladies non transmissibles (MNT) touchant la population féminine dans la RMO et au Maroc. Bien que d’autres MNT tels que les maladies cardiovasculaires, le diabète et les maladies respiratoires chroniques présentent également des défis de santé, le cancer se distingue par son impact profond sur la morbidité, les taux de mortalité et le système de santé. On estime que 16% des décès dus à des maladies chroniques dans la région sont dus au cancer. Les décès attribués au cancer (sur l’ensemble des décès) s’élèvent à 10%.

Sur les 75% des décès imputables aux MNT au Maroc, 11% sont dus aux cancers. Par conséquent, le cancer continue d’imposer un fardeau significatif sur le système de santé et la santé des femmes au Maroc. Le cancer du sein, en particulier, se démarque comme une préoccupation majeure dans le pays, suivi des cancers du col de l’utérus et de l’ovaire. Avec l’incidence croissante de ces cancers et leurs implications pour la santé publique, la détection précoce et le traitement sont primordiaux pour améliorer les résultats de santé des femmes au Maroc.

Comment prévoyez-vous l’avenir des cas de cancers féminins en RMO et au Maroc dans les années à venir ?

Lorsqu’on considère la trajectoire future des cas de cancer chez les femmes dans la RMO et au Maroc, un jeu complexe de facteurs démographiques, de style de vie, d’accès aux soins de santé et de prévention entre en jeu :

• Les changements démographiques, tels que le vieillissement de la population, peuvent contribuer à une augmentation de l’incidence des cancers liés à l’âge, comme le cancer du sein.

• Les changements de mode de vie, tels que les variations de régime alimentaire, de niveaux d’activité physique et de prévalence du tabagisme, peuvent avoir un impact sur le risque de cancer, surtout dans les zones urbaines à forte pollution.

• L’accès aux soins de santé, y compris les améliorations des infrastructures et des services de dépistage, offre des promesses pour un dépistage précoce et des taux de survie améliorés.

• Les stratégies de prévention efficaces, telles que la vaccination contre le VPH et les programmes de dépistage du cancer du sein, offrent des moyens de réduire l’incidence et la mortalité par cancer.

• La présence d’un registre du cancer et d’un système de surveillance améliore la notification du cancer et facilite les interventions ciblées.

En tenant compte de ces facteurs, on prévoit que l’incidence du cancer chez les femmes dans la RMO augmentera de 43,4% d’ici 2045 par rapport à 2022. Cela se traduit par une augmentation estimée d’environ 7.790 nouveaux cas de cancer chez les femmes. En accord avec les tendances observées dans la RMO, les projections pour le Maroc indiquent des augmentations significatives des taux d’incidence et de mortalité par cancer d’ici 2045 par rapport à 2022. Le cancer du sein devrait connaître une augmentation substantielle à la fois de l’incidence et de la mortalité, avec une augmentation estimée de 38,6 et de 59,5% respectivement. De même, les projections pour le cancer du col de l’utérus révèlent une augmentation notable, avec une augmentation attendue de l’incidence et de la mortalité de 51,2 et de 63,2% respectivement.

Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontées les femmes de la région en ce qui concerne le dépistage, le diagnostic et le traitement du cancer ?

Malgré les progrès réalisés dans l’élaboration de plans nationaux de lutte contre le cancer, les femmes de la région sont toujours confrontées à des défis importants en ce qui concerne l’accessibilité et la disponibilité des services de prévention, de diagnostic et de traitement du cancer. Ces difficultés sont aggravées par le manque de ressources, l’insuffisance des infrastructures de soins de santé et les disparités dans l’accès aux services de soins de santé. Le dépistage régulier du cancer du sein par mammographie reste très faible, la majorité est opportuniste ou concerne des cas à haut risque pour le diagnostic dans la plupart des pays, et seuls neuf pays sur 22 ont déclaré avoir des programmes de dépistage du cancer du col de l’utérus. Chaque type de cancer présente des obstacles spécifiques en matière de diagnostic et de traitement. Par exemple, le cancer du sein reste souvent non détecté jusqu’à un stade avancé en raison d’un accès limité aux programmes de dépistage et d’un faible niveau de sensibilisation. De même, le cancer du col de l’utérus est entravé par une connaissance limitée de l’importance du dépistage et une hésitation quant à la vaccination contre le VPH, ce qui se traduit par une plus faible utilisation du vaccin.

Quels sont les facteurs socio-économiques et culturels qui influent sur la prévalence et la prise en charge du cancer chez les femmes dans cette région ? Est-ce que vous remarquez des disparités dans l’accès aux soins ?

Les facteurs socio-économiques et culturels exercent une influence significative sur la prévalence et la prise en charge du cancer chez les femmes dans la RMO. En raison de certaines croyances culturelles et normes sociétales, les femmes retardent souvent la recherche de soins médicaux, y compris le dépistage ou le traitement. La peur, la gêne, la négligence de la part du conjoint ou de la famille, ainsi que la stigmatisation entourant certains cancers, comme le cancer du sein et du col de l’utérus, sont les obstacles les plus courants pour les femmes de la RMO à rechercher les soins contre le cancer dont elles ont besoin. Les idées fausses et le manque de connaissances contribuent également à retarder le diagnostic précoce et le traitement du cancer.

Des inégalités significatives dans l’accès aux soins contre le cancer sont documentées dans de nombreux pays de la RMO, notamment dans les pays à faibles ressources comme le Yémen, le Soudan et la Somalie. Les individus dans ces zones sont souvent confrontés à des obstacles pour financer leur traitement contre le cancer, recourant à leurs propres fonds pour financer leurs soins en l’absence totale de couverture santé privée et publique. Des disparités sont également signalées parmi ceux touchés par les conflits et les guerres, où les réfugiés et les personnes déplacées rencontrent d’importants obstacles pour obtenir un traitement contre le cancer dans les pays d’accueil.

En quoi les défis rencontrés au Maroc diffèrent-ils des autres pays de la région de la Méditerranée orientale ?

Si le Maroc partage avec d’autres pays de la région de la Méditerranée orientale des défis communs en matière de soins aux femmes atteintes d’un cancer, tels que l’accès limité aux services de dépistage et de traitement, les disparités socio-économiques et les barrières culturelles, il existe également des facteurs uniques qui le distinguent des autres pays. Ces facteurs comprennent des variations démographiques, telles que la taille de la population et la proportion de la population vieillissante, ainsi que des différences géographiques, notamment des disparités entre les zones urbaines et les zones rurales. En outre, les différences dans la structure du système de santé, le rôle et l’engagement de la résilience des OSC, et l’implication des secteurs non gouvernementaux contribuent aux défis distincts auxquels le Maroc est confronté par rapport aux autres pays de la RMO.

Il est essentiel de comprendre ces nuances pour adapter les interventions afin d’améliorer les soins et les résultats en matière de cancer au Maroc et dans l’ensemble de la RMO.

Comment l’Alliance EM-NCD de la Méditerranée orientale travaille-t-elle pour sensibiliser et fournir un soutien aux femmes touchées par le cancer dans la région ?

L’Alliance EM-NCD de la Méditerranée orientale (EM-NCDA), en collaboration avec divers intervenants, joue un rôle essentiel dans la lutte contre le cancer chez les femmes dans la région. L’EM-NCDA milite en faveur de politiques et de législations visant à réduire l’exposition aux facteurs de risque de cancer tels qu’une alimentation déséquilibrée et le tabagisme, tout en promouvant des initiatives visant à améliorer les pratiques d’allaitement maternel. De plus, l’alliance se concentre sur la sensibilisation à l’importance du dépistage du cancer et du diagnostic précoce. En outre, l’EM-NCDA organise des ateliers de renforcement des capacités pour former les professionnels médicaux de la RMO à divers aspects des soins aux femmes atteintes d’un cancer et renforce l’engagement des patients par le biais de la formation. En forgeant des partenariats avec des organisations locales et régionales, l’alliance mobilise des ressources pour améliorer l’accès des femmes de la région aux soins contre le cancer.



Pouvez-vous partager des initiatives et des programmes spécifiques que l’Alliance EM-NCD met en œuvre au Maroc pour lutter contre le cancer féminin ?

L’Alliance EM-NCD de la Méditerranée Orientale collabore avec des partenaires locaux et régionaux pour aider le Maroc à relever les défis du cancer du col de l’utérus et du cancer du sein grâce à des initiatives et des programmes spécifiques :

• Plaidoyer : par le biais de la Coalition MENA pour l’élimination du VPH, l’EM-NCDA peut soutenir les programmes nationaux de vaccination contre le VPH, les programmes de dépistage du cancer du col de l’utérus ainsi que la mise en œuvre des protocoles de l’OMS pour le dépistage du cancer du sein au Maroc.

• Renforcement des capacités : l’EM-NCDA facilite des programmes visant à former les professionnels de santé au Maroc dans la prévention, le dépistage précoce, le traitement et les soins de survie du cancer.

• Programmes de sensibilisation : l’EM-NCDA œuvre à éduquer les femmes et à les sensibiliser à l’importance du dépistage précoce, du dépistage et de la prévention du cancer.

• Autonomisation des patients : collaboration avec des ONG locales pour partager les témoignages de survivants du cancer du pays, dans le but d’autonomiser et d’inspirer les patients et de sensibiliser aux réseaux de soutien disponibles.

Vous organisez au mois de mai la 77e Assemblée mondiale de la santé (AMS), intitulée «Unir les voix pour l’action sur les cancers féminins dans la RMO». Quelles sont vos attentes de cet événement ?

Notre événement servira de plateforme centrale pour les parties prenantes qui se consacrent à la prévention et à la gestion des cancers féminins dans la RMO, dans le but d’améliorer les soins du cancer pour les femmes de la région et d’atténuer les inégalités qui y sont liées. Tout au long de l’événement, nous mettrons l’accent sur les recommandations formulées dans les publications récentes sur les cancers féminins, notamment celles de l’OMS, qui seront présentées et examinées en détail. En outre, les discussions porteront sur la mise en œuvre effective de ces recommandations dans les différents pays de la RMO. Nous espérons que cet événement favorisera l’engagement régional et la coopération entre toutes les parties prenantes.

Quels sont vos objectifs à long terme pour l’Alliance EM-NCD en ce qui concerne la lutte contre le cancer chez les femmes dans la région de la Méditerranée orientale ?

Nos objectifs à long terme pour l’Alliance EM-NCD de la Méditerranée Orientale en ce qui concerne la lutte contre le cancer chez les femmes dans la région sont variés :

• Plaidoyer pour les changements de politiques : l’EM-NCDA poursuivra ses efforts de plaidoyer pour pousser à la mise en œuvre de politiques nationales qui allouent des fonds pour la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et les soins palliatifs du cancer, avec un accent spécifique sur la priorisation des soins du cancer chez les femmes. En influençant les décisions politiques, nous visons à garantir que les femmes aient accès à des services de soins du cancer complets et de haute qualité dans toute la région.

• Renforcement des capacités des professionnels de la santé : l’EM-NCDA continuera de soutenir des programmes visant à former les professionnels de santé sur la prévention, le dépistage précoce, le traitement et les soins de survie du cancer chez les femmes dans la RMO. En améliorant les connaissances et les compétences des professionnels de santé, nous visons à améliorer la qualité des soins dispensés aux femmes atteintes de cancer.

• Programmes de sensibilisation : l’EM-NCDA maintiendra ses efforts pour sensibiliser les femmes et les communautés de la région à l’importance du dépistage précoce et de la prévention du cancer. Grâce à des campagnes de sensibilisation ciblées et à des initiatives éducatives, nous visons à habiliter les femmes à prendre des mesures proactives pour gérer leur santé et accéder à des services de soins du cancer appropriés.

• Collaboration et partenariats : notamment avec les gouvernements, les organisations de la société civile, les prestataires de soins de santé et les institutions académiques. En exploitant l’expertise et les ressources collectives, nous pouvons faire progresser le programme des soins de cancers chez les femmes dans la RMO et renforcer les systèmes de santé pour améliorer l’accès aux services et relever les défis uniques auxquels sont confrontées les femmes atteintes de cancer dans la région.
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