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Burnout du personnel d’oncologie au Maroc : une crise silencieuse au cœur des hôpitaux

Publié le 31 juillet 2025 dans la revue Oncoscience, un article scientifique inédit met en lumière l’ampleur du burnout chez les infirmiers, techniciens et personnels administratifs en oncologie au Maroc. Conduite par trois chercheurs de l’Université Mohammed V de Rabat, l’étude dévoile des taux préoccupants d’épuisement professionnel et appelle à une prise de conscience nationale sur la santé mentale des soignants en première ligne face au cancer.

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Dans le volume 12 de la revue Oncoscience, un article intitulé « Burnout parmi les infirmières et techniciens en oncologie au Maroc : prévalence, facteurs de risque et modélisation par équation structurelle » a été publié le 31 juillet 2025. Signée par Imane Errami, Saber Boutayeb et Hassan Errihani, chercheurs à la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université Mohammed V de Rabat, cette recherche représente une avancée majeure dans la compréhension des risques psychosociaux liés au travail en oncologie. Pour la première fois, une étude marocaine analyse de manière systématique la prévalence du burnout chez les professionnels de santé spécialisés dans la lutte contre le cancer, un domaine où la charge émotionnelle et le stress sont particulièrement intenses.

Des chiffres alarmants

Les résultats sont sans appel. L’étude révèle que « 63,7 % du personnel présente un burnout sévère », un chiffre qui dépasse de loin les seuils d’alerte observés dans d’autres spécialités médicales. Sur les 91 soignants interrogés, composés majoritairement d’infirmiers et de techniciens, « 70,3 % présentent un niveau élevé de fatigue émotionnelle » et « 54,9 % souffrent de dépersonnalisation ». Ces deux dimensions constituent les marqueurs les plus visibles de l’épuisement professionnel : d’un côté, l’usure psychologique due à l’exposition constante à la maladie et à la souffrance ; de l’autre, la perte de distance empathique, qui conduit les soignants à se détacher de leurs patients pour se protéger. Pour illustrer ce constat, une infirmière en poste à Rabat confie : « On s’attache aux malades, on vit leur combat, et parfois leur perte. Au bout de quelques années, cela laisse des traces profondes. On se surprend à mettre une distance pour continuer à tenir. »

Femmes et jeunes en première ligne

Au-delà des données globales, l’étude identifie des profils particulièrement vulnérables. « Les infirmiers, les jeunes et le personnel féminin sont les plus exposés », relèvent les chercheurs. Les raisons sont multiples : d’une part, les infirmiers sont en contact direct avec les patients, souvent dans des situations de détresse avancée ; d’autre part, les jeunes professionnels, moins expérimentés, disposent de moins de ressources psychologiques pour faire face à cette charge émotionnelle. Quant aux femmes, qui constituent une large part du personnel soignant, elles cumulent fréquemment des responsabilités professionnelles et familiales, aggravant encore leur fatigue et leur sentiment d’épuisement. Le témoignage d’un jeune technicien en radiothérapie vient appuyer ce constat : « Je suis entré dans ce métier avec passion, mais au bout de deux ans, je dors mal, je rentre vidé. Mes proches me disent que je ne suis plus le même. »

Conditions de travail : le maillon faible

Les chercheurs mettent également en avant le poids des conditions de travail dans la genèse du burnout. « 55 % des soignants se déclarent insatisfaits de leur rémunération, et seulement 11 % se disent satisfaits du climat de travail », note l’étude. Derrière ces chiffres se cachent des réalités quotidiennes : surcharge de travail, manque de moyens matériels, pression administrative et absence de reconnaissance institutionnelle. Un cadre infirmier rencontré à Casablanca confirme ce malaise : « Nous sommes peu nombreux, avec des équipes souvent réduites. Les journées sont longues, les salaires restent bas, et la reconnaissance est rare. Beaucoup de collègues pensent à partir, pas seulement du service, mais du métier. »

Un problème mondial

Le phénomène ne se limite pas au Maroc. De nombreuses études internationales confirment une prévalence élevée du burnout en oncologie. Aux États-Unis, une enquête de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) a révélé que près de 50 % des oncologues rapportent des symptômes de burnout. En France, une étude menée en 2023 auprès du personnel infirmier en oncologie montrait que près d’un soignant sur deux se sentait en situation d’épuisement professionnel, un taux comparable à celui relevé en Espagne ou en Italie. En Afrique subsaharienne, où les ressources humaines en oncologie sont encore plus limitées, les taux dépassent parfois les 65 %, soulignant une tendance mondiale : l’oncologie est l’une des spécialités les plus exposées au risque d’épuisement, quel que soit le niveau de développement du pays.

Ces comparaisons renforcent l’urgence de traiter la question non pas comme une simple difficulté organisationnelle, mais comme un enjeu de santé publique universel, qui conditionne à la fois le bien-être des soignants et la qualité des soins aux patients atteints de cancer.

Recommandations claires

L’étude ne se contente pas de dresser un constat alarmant, elle propose également des pistes de solutions concrètes. Les auteurs appellent à « l’amélioration des conditions de travail, la revalorisation salariale, la réduction de la charge, l’accès à la formation continue et la mise en place de programmes de soutien psychologique ». Ces recommandations traduisent la nécessité d’une approche globale, qui combine à la fois des mesures structurelles – revalorisation et meilleure organisation des services – et un accompagnement humain, notamment par la création de cellules de soutien psychologique adaptées aux spécificités du travail en oncologie.

En publiant ces résultats, les chercheurs marocains lancent une alerte majeure. Les témoignages recueillis dans plusieurs hôpitaux confirment que derrière chaque chiffre se cache une détresse humaine bien réelle. Si rien n’est entrepris, le burnout risque d’affaiblir durablement les soignants... et avec eux, toute la chaîne de prise en charge du cancer au Maroc.
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