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Cancers féminins : pourquoi un accès aux soins précoce peut faire la différence

Octobre Rose, cette campagne annuelle de sensibilisation au cancer du sein, a pris fin vendredi. Mais le combat contre cette maladie pernicieuse doit continuer. La voie de la guérison est certes longue et douloureuse, mais l’espoir aide beaucoup à surmonter cette épreuve difficile. Des témoignages de femmes ayant vécu cette expérience montrent à quel point le cancer peut chambouler des vies. Ils prouvent aussi qu’une prise en charge rapide fait la différence parfois entre la vie et la mort. Toutefois, il faut renconnaitre que face à ce fléau toutes les femmes ne sont pas égales. La difficulté d’avoir accès au soin ou à une couverture son sociale compromet les chances de beaucoup d’entre elles. L’éclairage du Dr Tarik El Messaoudi, chirurgien carcinologue, est fort significatif à ce titre.

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Chaque année, Octobre Rose est l’occasion de réfléchir sur les meilleurs moyens à mobiliser pour renforcer la prévention et le dépistage des cancers féminins. Au-delà des campagnes de sensibilisation et des initiatives institutionnelles, somme toute louables, force est de constater que les femmes ne sont pas égales face à cette maladie pernicieuse : certaines bénéficient d’un accès fluide aux soins, d’autres affrontent ce fardeau avec très peu de moyens. Dans ce contexte, comprendre les enjeux du dépistage précoce, de la proximité des structures de soins et de l’équité dans la prise en charge devient essentiel.

Une stratégie nationale articulée autour de la proximité et de l’équité

Le cancer du sein demeure, de loin, le plus fréquent chez les femmes marocaines. Selon le Registre des cancers du Grand Casablanca (2018-2021), il représente à lui seul 39,1% des cancers féminins diagnostiqués, suivi du cancer du col de l’utérus, qui en constitue 6,5%. Ces chiffres, qui traduisent l’ampleur de la menace, révèlent également des disparités frappantes : dans certaines zones rurales, les patientes doivent parcourir plus de 100 km pour atteindre un centre de dépistage. Face à cette réalité, le ministère de la Santé et de la protection sociale a organisé, durant le mois d’octobre, une campagne nationale de sensibilisation, de prévention et de détection précoce des cancers du sein et du col de l’utérus. S’inscrivant dans la continuité du Plan national de prévention et de contrôle du cancer (PNPCC 2020 2029), cette initiative vise à renforcer les acquis des années précédentes et à garantir un accès aux soins sur l’ensemble du territoire.

Pour traduire cette ambition en actions concrètes, un maillage dense de structures médicales a été mobilisé : 57 Centres de référence de santé reproductive, 12 Centres régionaux d’oncologie, ainsi que deux pôles d’excellence en oncologie gynéco-mammaire, au sein des CHU de Rabat et de Casablanca. Consciente des difficultés rencontrées par les populations vivant en zones isolées, la campagne a également déployé 27 unités mobiles de mammographie, sillonnant le pays pour offrir un dépistage gratuit et de qualité aux femmes résidant à plusieurs dizaines de kilomètres des centres urbains. Cette mobilisation dépassant le simple dépistage inclut la prévention primaire, avec la vaccination des jeunes filles de 11 ans contre le papillomavirus humain (HPV), principal facteur de risque du cancer du col de l’utérus.

Témoignages de patientes : des réalités contrastées

Malgré les efforts déployés, l’accès au soin demeure parfois problématique. Certes, les initiatives du ministère de la Santé permettent d’alléger la souffrance de beaucoup de femmes et de leur éviter des diagnostics tardifs, mais la lutte contre le cancer demande des moyens plus importants, la prise en charge étant lourde et multidimensionnelle. Les témoignages que nous avons recueillis illustrent parfaitement cette réalité amère. Ils rappellent que la maladie n’est pas qu’un diagnostic médical : elle est aussi une traversée humaine, faite de courage, de doutes, de solitude parfois, mais aussi d’amour, de solidarité et d’espérance. À travers leurs mots, Meriem, Leïla et Loubna nous livrent le récit d’un combat où la douleur côtoie la dignité, et où la fragilité devient, peu à peu, une force.

Meriem : une bataille silencieuse pour la vie et la dignité

«Chaque octobre, je revis le combat que ma mère a dû mener contre un cancer à un stade avancé», se rappelle Meriem, une jeune salariée. «Elle affrontait, jour après jour, la chimiothérapie et la radiothérapie, avec leurs effets dévastateurs : nausées persistantes, fatigue accablante, perte de cheveux, douleurs parfois insoutenables. Chaque séance semblait éroder un peu plus son énergie et son moral. Mais ce n’était pas seulement le corps qui souffrait : le cancer portait atteinte à sa féminité. Refusant de montrer sa vulnérabilité, elle choisissait de s’éloigner, de s’enfermer dans sa chambre et de préserver sa petite famille du regard des autres, rompant presque tout contact avec l’entourage, dans un silence lourd de solitude et de pudeur. Ce combat intérieur, déjà éprouvant, s’est doublé d’une épreuve matérielle : l’absence de couverture sociale. Ma maman n’en bénéficiant d’aucune, j’ai dû contracter un prêt, pour faire face aux coûts considérables des traitements, malgré une situation financière qui, a priori, ne laissait présager aucune fragilité», avoue-t-elle.

Et de conclure : «Aujourd’hui, après son décès, je me retrouve à prendre soin de ma petite sœur, tout en continuant à honorer les échéances de ce prêt, souvenir tangible du combat que nous avons mené elle et moi pour tenter de la sauver. Cette épreuve m’a appris que le cancer ne se limitait pas à la maladie : il bouleverse le quotidien, ébranle les relations, transforme les émotions et laisse des traces indélébiles dans la vie de ceux qui restent.»

Leïla : «Une simple gêne a suffi à tout changer»

«Telle une alerte silencieuse, une petite boule que je sentais sans vraiment y prêter attention, a chamboulé ma vie», a annoncé Leïla, 28 ans, jeune maman et femme au foyer. «Puis sont venus la mammographie, la biopsie... et le verdict est tombé : cancer du sein infiltrant. La peur m’a envahie, mais le soutien indéfectible de mon mari et l’accompagnement éclairé du mon médecin traitant m’ont permis d’affronter chaque étape du traitement avec courage. Aujourd’hui, je suis en rémission. Je veux dire à toutes les femmes : écoutez votre corps, ne négligez jamais le dépistage. Et aux familles : soyez aux côtés de vos proches, votre présence fait une différence immense. Ce cancer n’a pas détruit ma vie ; au contraire, il m’a rendue plus consciente de sa valeur, plus forte et profondément reconnaissante pour chaque instant.»

Loubna : «Le cancer m’a appris que la force naît dans la douleur»

À 63 ans, Loubna, retraitée, raconte l’épreuve qu’elle a traversée : «Tout a commencé par un léger inconfort dans mon sein gauche. Rien de vraiment douloureux, juste une gêne persistante qui m’a poussée à consulter. Je ne me doutais pas que ce geste, empreint de prudence, mais sans inquiétude, allait sceller une rupture dans ma vie. Les examens (mammographie puis biopsie) ont révélé un cancer du sein. Un mot qui résonne comme un coup de tonnerre, même quand on essaie de rester forte.

Le médecin m’a alors expliqué chaque étape du traitement : la chirurgie, la radiothérapie, puis les contrôles réguliers. J’ai eu la chance d’être entourée d’une équipe bienveillante qui m’a guidée avec clarté et patience, sans jamais me laisser seule face à mes angoisses. Je me souviens de la première séance de radiothérapie : la peur de l’inconnu, la froideur de la salle, ce bruit sourd des machines. Mais aussi, la main de mon fils posée sur la mienne avant d’entrer.

Ce que je n’oublierai jamais, ce sont les trajets interminables pour rejoindre l’hôpital. Le centre de soins se trouvait à plusieurs dizaines de kilomètres de chez moi. À chaque séance, il fallait louer une voiture, solliciter un proche pour me conduire, affronter la fatigue du traitement et celle de la route. Le voyage devenait parfois aussi épuisant que la maladie elle-même. Entre les nausées de la chimiothérapie et la brûlure des séances de radiothérapie, je me sentais souvent au bord de l’abandon. Toutefois, il fallait tenir, pour moi, pour les miens.

Mais avec le recul, je réalise combien la couverture médicale a atténué la dureté de ce combat. Sans cette prise en charge, je n’aurais jamais pu accéder aux soins, aux traitements et aux suivis nécessaires. La maladie est déjà une épreuve immense ; y ajouter le poids financier des soins l’aurait rendue intolérable. Aujourd’hui, je vais mieux. Les contrôles sont réguliers, les cicatrices – visibles ou non – font partie de moi. Je me sens plus forte, plus reconnaissante, plus consciente de la fragilité de la vie. Si je peux transmettre un message, ce serait celui-ci : n’attendez pas. Écoutez votre corps, faites vos examens, parlez-en autour de vous. Le dépistage peut sauver une vie et, parfois, c’est la vôtre.»

Entretien avec le chirurgien carcinologue

Dr Tarik El Messaoudi : Le dépistage précoce, une condition essentielle pour sauver des vies

Cancers féminins : pourquoi un accès aux soins précoce peut faire la différence

Le Matin : Lorsqu’on parle de cancers féminins, «cancer du sein» et «cancer du col de l’utérus», parle-t-on d’une ou de plusieurs formes très différentes ?
Dr Tarik El Messaoudi : En effet, Il existe plusieurs types de cancer féminins, chacune ayant ses caractéristiques propres et réagissant différemment aux traitements. Cela explique les différents types de traitement.
Qu’est-ce qui déclenche ces pathologies ? Est-ce une mutation génétique, une question d’hormones, ou est-ce le prix de nos modes de vie modernes ?

Plusieurs facteurs concourent à l’apparition des cancers féminins. S’agissant du cancer du sein, les principaux déterminants incluent l’âge, les antécédents familiaux, certaines prédispositions génétiques, ainsi que l’exposition hormonale – qu’elle soit liée à la contraception, aux traitements inducteurs de l’ovulation ou au traitement hormonal substitutif de la ménopause. À ces éléments s’ajoutent des facteurs comportementaux et environnementaux, tels que le stress chronique, la consommation d’alcool ou encore le tabagisme, qui peuvent influencer le risque de survenue de la maladie. Quant au cancer du col de l’utérus, il trouve son origine principale dans l’infection persistante par le virus du papillome humain (HPV), un virus sexuellement transmissible qui infecte les cellules épithéliales du col utérin et, sur le long terme, peut induire des lésions précancéreuses. Plusieurs conditions favorisent cette infection et sa progression : la précocité des rapports sexuels, la multiplicité des partenaires, le tabagisme actif, ainsi qu’une prise prolongée de contraceptifs oraux, notamment au-delà de cinq années continues.


Lorsqu’une anomalie est suspectée, quel parcours médical accompagne une femme, de la première consultation au diagnostic définitif ?

Lorsqu’une anomalie est suspectée, la patiente entre dans un parcours médical structuré, méthodique et exigeant, alliant rigueur scientifique et personnalisation des soins. Ce processus s’ouvre par une série d’examens cliniques et radiologiques ciblés : la mammographie et/ou l’échographie pour les tumeurs mammaires, et l’IRM pelvienne pour la détection des lésions du col de l’utérus. Ces examens de haute précision permettent de repérer des anomalies souvent imperceptibles à l’œil nu.

En cas de détection d’une masse suspecte, une micro-biopsie est réalisée, puis analysée par un anatomopathologiste. Cette étape cruciale permet de confirmer ou d’exclure la nature cancéreuse de la lésion, et d’en déterminer avec exactitude le type histologique. Suit alors l’étape du bilan d’extension, visant à évaluer la diffusion éventuelle de la maladie vers d’autres organes (un processus connu sous le nom de métastase). Ce bilan, à la fois clinique et radiologique, offre une vision globale du degré d’évolution du cancer, et permet d’en préciser le stade selon les standards internationaux, notamment à travers la classification TNM, qui mesure la taille de la tumeur (T), l’atteinte des ganglions lymphatiques (N) et la présence de métastases à distance (M). Les décisions thérapeutiques découlent ensuite d’une analyse approfondie et contextualisée, tenant compte à la fois du stade évolutif et du profil biologique de la tumeur, afin d’assurer la pertinence et la précision de la prise en charge.


Une fois le diagnostic posé, comment s’organisent les différentes phases de la prise en charge médicale ?

La prise en charge débute toujours par un diagnostic établi par le médecin spécialiste, première étape d’un protocole de soins reposant sur la concertation et la pluridisciplinarité. Une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) se tient ensuite, réunissant les différents acteurs du parcours thérapeutique : le chirurgien oncologue, l’oncologue médical (chargé des chimiothérapies), l’onco-radiothérapeute, l’anatomopathologiste et le radiologue. Selon les besoins spécifiques de la patiente, un psychologue ou psychiatre peut également être convié, afin d’assurer un accompagnement global, tant médical qu’humain.

À l’issue de cette délibération collégiale, un plan thérapeutique sur mesure est établi. Il prend en considération le type histologique du cancer, son stade d’évolution, ainsi que le profil général de la patiente. Cette approche concertée incarne l’esprit d’une médecine intégrée et coordonnée, où chaque décision repose sur la complémentarité des expertises au service du même objectif : offrir à la patiente le traitement le plus juste, le plus efficace et le plus humain possible.


On entend souvent dire que «détecté à temps, ces cancers se soignent bien». Dans votre pratique, que change concrètement la précocité du diagnostic ?

Lorsqu’un cancer est détecté tôt, et c’est là qu’apparaît l’importance du dépistage précoce, les chances de guérison sans récidive sont très élevées, jusqu’à 95-100%. Plus le diagnostic est tardif, plus le traitement devient lourd, complexe et difficile pour la patiente.


Vous recevez des femmes très jeunes, d’autres bien plus âgées. Ce décalage d’âge raconte-t-il aussi quelque chose de notre société et de ses fractures ?

Le cancer du sein et du col de l’utérus peuvent toucher toutes les femmes, à tout âge. Ce qui montre qu’il est nécessaire, certes, d’assurer la prévention et le suivi pour toutes, sans distinction, et de sensibiliser la société à l’importance de la vigilance et du dépistage précoce.


Les traitements ont considérablement progressé, mais ces avancées bénéficient-elles réellement à toutes les patientes, quel que soit leur lieu de résidence ou leur situation sociale ?

Si les progrès médicaux et technologiques réalisés dans le domaine de l’oncologie sont indéniables, des disparités notables persistent encore dans l’accès aux soins. Certaines patientes, en fonction de leur lieu de résidence ou de leur situation socio-économique, rencontrent davantage d’obstacles pour bénéficier des traitements spécialisés. Dès lors, garantir l’équité territoriale et sociale dans la prise en charge du cancer demeure un enjeu fondamental. L’accès universel à des soins de qualité, quel que soit le contexte géographique ou financier, s’impose aujourd’hui comme un impératif moral et médical au cœur des politiques de santé publique.


Chaque jour, vous observez des femmes affronter la douleur, la peur et parfois la précarité. Qu’est-ce qui vous frappe le plus dans leur manière de faire face à la maladie ?

Ce qui frappe le plus, c’est leur courage et leur résilience. Malgré la douleur, la peur et les obstacles sociaux, elles trouvent en elles une force qui leur permet d’affronter la maladie avec une dignité et une détermination remarquables. Car ce combat dépasse le cadre strictement médical : il touche profondément à la dimension psychologique, puisque ces cancers ébranlent souvent la perception qu’ont les patientes de leur féminité. Le rôle des conjoints et de l’entourage apparaît alors comme un appui précieux, offrant un réconfort indispensable face à l’angoisse et aux épreuves du quotidien. Dans ce contexte, je m’attache à sensibiliser les conjoints à l’importance de maintenir une vie conjugale harmonieuse, tant sur le plan émotionnel que sexuel, et à prendre conscience des effets psychologiques que peut provoquer la perte d’un sein ou de l’utérus, afin que la patiente conserve pleinement le sentiment de sa féminité. Ce lien de solidarité humaine illumine le parcours de soin et rappelle que la guérison implique autant l’accompagnement émotionnel que la prise en charge médicale.


Au contact de toutes ces femmes, de leurs souffrances et de leur courage, qu’est-ce qui vous touche encore le plus profondément ?

Les histoires individuelles. Voir des femmes surmonter la peur et continuer à vivre pleinement pour elles et leurs proches me marque profondément chaque jour. Mais ce qui me touche et me désole également, c’est de constater que beaucoup traversent des souffrances évitables, car une grande partie de la douleur pourrait être contournée grâce au dépistage précoce. Je le rappelle encore : les traitements initiés tôt offrent un taux de succès de 95 à 100 %, contre un pourcentage beaucoup plus faible pour les cas détectés tardivement. Malheureusement, certaines femmes passent encore à côté, et cela me bouleverse.


Si vous deviez adresser un message aux femmes qui hésitent encore à se faire dépister, que leur diriez-vous ?

Le dépistage sauve des vies. N’attendez pas d’avoir des symptômes. Faites vos examens régulièrement, écoutez votre corps et consultez dès que quelque chose vous semble anormal. Plus le diagnostic est précoce, plus les chances de guérison sont grandes. C’est un geste simple, mais essentiel pour votre santé et votre vie.
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