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Canicule : les seniors en première ligne face à une menace silencieuse

Plus fréquentes, plus longues et plus intenses, les vagues de chaleur font émerger de nouveaux risques de santé publique. Et ce sont les personnes âgées qui en subissent les conséquences les plus graves. Déshydratation, coup de chaleur, troubles cardiaques… Dre Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et en gériatrie, décrypte les dangers silencieux de la chaleur extrême et appelle à une meilleure prévention.

Le Matin : Quels sont les principaux risques de santé que la canicule représente pour les personnes âgées ?

Dre Khadija Moussayer :
Les personnes âgées (PA) sont, en effet, particulièrement vulnérables aux effets de la forte chaleur, les exposant à de nombreux risques aux conséquences parfois graves : troubles cardiaques ou rénaux, déshydratation, crampes de chaleur, épuisement, coup de chaleur.

Cette vulnérabilité, qui augmente avec l’âge, est due à une diminution des capacités d’adaptation à de fortes températures. Il y a une baisse de la sensation de soif, une transpiration moins efficace, ainsi qu’une perception altérée de la température.

De plus, les réserves en eau se raréfient avec l’âge, du fait de la diminution de la masse musculaire. En effet, 73% de l’eau corporelle totale sont stockés dans les muscles. Ainsi, une baisse de la masse musculaire entraîne une diminution corrélative des réserves hydriques.

Par ailleurs, une perte d’autonomie ou des troubles cognitifs aggravent les risques, en limitant la capacité à adapter son comportement à la situation.



Quels sont les premiers signes d’alerte d’un coup de chaleur ou d’une déshydratation chez une personne âgée ?

La déshydratation survient lorsque les pertes en eau du corps sont supérieures aux apports par les boissons et les aliments. Elle se manifeste habituellement par une sensation de soif, une sécheresse de la bouche, des crampes musculaires, une fatigue et des maux de tête.

Chez la PA, les signes de déshydratation sont souvent sournois, la sensation de soif étant retardée et peu marquée. Il faut suspecter une déshydratation débutante devant une perte d’appétit, une fatigue ou une somnolence inhabituelle, ou encore un changement de comportement.

Le coup de chaleur représente l’une des affections les plus dangereuses pour les personnes âgées. C’est une urgence médicale : elle survient lorsque le corps perd sa capacité de thermorégulation et n’arrive plus à transpirer pour faire baisser la température corporelle, qui peut alors grimper jusqu’à 41 °C en quelques minutes. Il se manifeste par de violents maux de tête, une peau rouge et chaude, ainsi que des troubles du comportement pouvant aller de la somnolence à l’agressivité.

Avez-vous noté une évolution ces dernières années dans la fréquence ou la gravité des cas liés à la chaleur chez vos patients âgés ?

En raison du changement climatique, le nombre de personnes exposées à la chaleur extrême ne cesse d’augmenter dans toutes les régions du monde.

Les modifications physiologiques liées à l’âge et la prévalence croissante des maladies chroniques rendent les personnes âgées plus sensibles aux effets néfastes de la chaleur. En effet, la mortalité liée à la chaleur chez les personnes de plus de 65 ans a augmenté d’environ 85% entre 2000-2004 et 2017-2021.

Avec le réchauffement climatique, doit-on repenser les politiques de santé publique pour intégrer systématiquement la prévention des risques liés à la chaleur, en particulier chez les seniors ?

En effet, il faut absolument repenser les politiques de santé publique pour prévenir ces risques. D’autant plus que les effets négatifs de la chaleur sur la santé sont prévisibles et largement évitables grâce à des interventions spécifiques : mise en place de plans d’action, sensibilisation de la population, et surveillance des personnes vulnérables. Une politique urbanistique est, également, essentielle. Les villes doivent être conçues pour réduire au mieux l’accumulation et la production de chaleur, en promouvant les espaces verts et en évitant les matériaux de construction inadaptés (des toits métalliques, par exemple) qui amplifient l’exposition humaine à la chaleur excessive.

Quels conseils de base donneriez-vous aux familles pour protéger leurs proches âgés pendant les périodes de forte chaleur ?

Il est nécessaire de boire suffisamment tout au long de la journée (environ 1,5 litre d’eau) et de se rafraîchir le corps par des douches tièdes (mais pas froides), ou en s’humidifiant régulièrement le corps avec un linge ou un gant humide sur le visage, les bras, le cou, ou encore en se vaporisant de l’eau.

Il faut passer plusieurs heures par jour dans des endroits frais ou climatisés, éviter de sortir aux heures les plus chaudes et limiter tout effort physique (marche, jardinage, bricolage) lors d’épisodes de forte chaleur.

Il est recommandé de maintenir une alimentation équilibrée, en privilégiant les plats froids, les fruits et légumes crus, en quantité suffisante pour apporter les sels minéraux nécessaires à l’organisme. Il faut opter pour des vêtements amples. Plus un vêtement est serré, plus il empêche la peau de respirer et donne chaud. On privilégie des coupes légères et fluides pour laisser circuler l’air.

Le réflexe de boire de l’eau suffit-il ? Quelles sont les erreurs fréquentes à éviter dans la prévention ?

Boire de l’eau est nécessaire, mais cela ne suffit pas. Parmi les erreurs à éviter : ouvrir les volets et rideaux pendant la journée, alors qu’il faut les maintenir fermés, notamment ceux des façades exposées au soleil, et ne les ouvrir que tôt le matin, tard le soir ou pendant la nuit.Autre erreur : se fier à son propre ressenti. Il faut se rappeler qu’il existe un décalage entre la perception d’un adulte en bonne santé et celle d’une personne âgée. Quand un adulte commence à ressentir un inconfort, la personne âgée peut déjà être en situation de danger, sans même en avoir conscience.

Y a-t-il des recommandations spécifiques pour les personnes âgées atteintes de maladies chroniques (diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires) ?

Ces personnes sont plus vulnérables aux complications liées à la forte chaleur. Celle-ci contraint le cœur à travailler davantage à cause de la dilatation des vaisseaux sanguins destinée à évacuer la chaleur, même si, avec l’âge, cette dilatation devient moins efficace. Le risque d’arythmies et d’accidents vasculaires cérébraux augmente, notamment chez les personnes souffrant de maladies cardiaques.

De plus, de nombreux médicaments utilisés dans le traitement des maladies chroniques peuvent aggraver les effets de la chaleur ou perturber la thermorégulation. C’est le cas des anti-inflammatoires non stéroïdiens (affectant les reins), des neuroleptiques (perturbant la thermorégulation), ou encore des diurétiques (augmentant les pertes en eau). Certains antihistaminiques, antidépresseurs ou médicaments pour la vessie hyperactive peuvent aussi altérer la réponse de l’organisme à la chaleur. Quant au diabète, il peut, en cas d’atteinte du système nerveux autonome, réduire les capacités de transpiration, augmentant ainsi la vulnérabilité des PA en période de canicule.
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