Menu
Search
Vendredi 05 Décembre 2025
S'abonner
close
Vendredi 05 Décembre 2025
Menu
Search

Troubles d’apprentissage : Comment les neurosciences ouvrent de nouvelles pistes pour accompagner les enfants

Longtemps méconnus ou mal interprétés, les troubles d'apprentissage font désormais l'objet d'approches fondées sur les neurosciences. Entre dépistage précoce, interventions structurées et outils numériques adaptatifs, la recherche dessine des pistes prometteuses pour transformer le quotidien des enfants et de leurs familles. Lamyaa Elhanni, neuroscientifique et doctorante chercheuse en biologie, nous explique comment ces avancées permettent d'identifier plus tôt les difficultés et de mieux accompagner chaque enfant.

No Image
Chaque rentrée scolaire, la même réalité refait surface : certains élèves, malgré une intelligence normale et des efforts constants, peinent à suivre le rythme de leurs camarades. Lecture hésitante, calculs laborieux, difficultés de concentration... Autant de signes qui ne relèvent pas d'un simple retard scolaire, mais bien, dans de nombreux cas, de véritables troubles spécifiques d'apprentissage. «Les troubles spécifiques des apprentissages sont classés parmi les troubles neurodéveloppementaux, c'est-à-dire qu'ils apparaissent dès l'enfance et persistent tout au long de la vie», explique Lamyaa Elhanni, neuroscientifique et doctorante chercheuse en biologie. «Ils se manifestent par des difficultés durables, souvent inattendues, dans l'acquisition de compétences scolaires fondamentales, alors même que l'enfant dispose d'une intelligence normale, d'une scolarisation adéquate et d'opportunités d'apprentissage comparables à celles de ses camarades».
Ces troubles ne s'expliquent pas par un manque d'effort ni par un environnement scolaire défaillant. «Les recherches scientifiques confirment qu'il existe une composante héréditaire : un enfant ayant un parent ou un frère ou une sœur présentant un trouble d'apprentissage est davantage exposé à en développer un», précise la neuroscientifique.



Mais la génétique n'est pas seule en cause. «On observe aussi des altérations précoces dans certains réseaux cérébraux, en particulier ceux impliqués dans le langage, la reconnaissance des nombres ou les mécanismes de l'attention. À cela s'ajoutent parfois des facteurs prénataux, comme la prématurité ou l'exposition à des substances toxiques, ainsi que des éléments liés à l'environnement éducatif et socio-économique, qui peuvent influencer l'expression et la sévérité du trouble», ajoute-t-elle.

Retard ou trouble : comment faire la différence ?

La frontière entre difficultés scolaires passagères et troubles spécifiques est parfois difficile à établir. «Il est essentiel de distinguer une simple difficulté scolaire d'un trouble spécifique. Dans le cas d'un retard, on constate généralement une amélioration dès qu'un soutien adapté ou un suivi pédagogique est mis en place. À l'inverse, les troubles persistent malgré les efforts ciblés, le renforcement scolaire ou un encadrement rapproché. C'est justement cette résistance aux interventions classiques qui doit alerter et inciter à consulter», souligne Lamyaa Elhanni.

Les premiers signes peuvent apparaître très tôt : absence de progression dans l'apprentissage des sons dès le CP, incapacité à maîtriser les bases du calcul en fin de primaire, ou encore une inattention persistante qui perturbe aussi bien la vie familiale que la scolarité.

Des prises en charge structurées existent

Les neurosciences cognitives ont permis de définir des approches très précises et scientifiquement validées, notamment pour la dyslexie. «Le protocole efficace repose d'abord sur un dépistage précoce, dès la maternelle ou le début du CP, à travers l'évaluation de la conscience phonologique, du nommage rapide ou encore de la connaissance des lettres», détaille la chercheuse.

Vient ensuite l'évaluation diagnostique complète, qui inclut la mesure des capacités de décodage, de compréhension, de mémoire de travail et d'attention, ainsi que, si nécessaire, un test de QI pour écarter une déficience intellectuelle globale.

«L'intervention doit ensuite être intensive et structurée. Les programmes de lecture efficaces reposent sur un enseignement explicite des correspondances entre phonèmes et graphèmes, sur le renforcement de la conscience phonologique, mais aussi sur la fluence et le vocabulaire. Ces séances, d'une durée de 20 à 45 minutes, sont menées trois à cinq fois par semaine, sur plusieurs mois, avec un suivi régulier des progrès», précise Lamyaa Elhanni.

L'efficacité de ces programmes a été largement confirmée par les recherches internationales. «Les méta-analyses montrent que l'enseignement explicite de la phonologie et des correspondances lettres-sons est l'une des interventions les plus robustes pour la dyslexie», insiste-t-elle.

À ces rééducations s'ajoutent des adaptations pédagogiques concrètes : temps supplémentaire lors des évaluations, supports audio pour contourner les difficultés de lecture, ou encore recours à des outils numériques d'aide. Enfin, un suivi régulier toutes les quatre à huit semaines permet d'ajuster la prise en charge, notamment si des comorbidités comme le Déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) viennent compliquer le tableau.

Le trouble de l'attention avec ou sans hyperactivité demande, quant à lui, une stratégie combinée. «Les recherches montrent que l'approche la plus efficace est multimodale : elle associe des interventions comportementales – comme la formation des parents et des enseignants – à des adaptations scolaires, et, dans les formes modérées à sévères, à un traitement médicamenteux», explique la neuroscientifique. Là encore, la régularité et l'individualisation sont les clés du succès.

Les promesses des neurosciences

Si les méthodes actuelles ont déjà prouvé leur efficacité, les neurosciences ouvrent aussi des perspectives inédites. «Les recherches en imagerie cérébrale cherchent à identifier des signatures neuronales de la dyslexie, de la dyscalculie ou du TDAH. L'objectif serait, à terme, de détecter plus précocement et de mieux stratifier les profils», indique Lamyaa Elhanni.

La génétique est, également, une piste majeure, avec l'identification de gènes de susceptibilité impliqués dans le langage ou le calcul. Parallèlement, l'intelligence artificielle est testée pour analyser des données complexes et prédire le risque ou la réponse à certains traitements.

Enfin, de nouvelles interventions numériques, comme des plateformes adaptatives qui ajustent le niveau de difficulté en temps réel, commencent à montrer leur efficacité en complément des prises en charge traditionnelles.
Mais la chercheuse met en garde : «Ces avancées sont prometteuses, mais elles restent encore au stade de la recherche. La priorité aujourd'hui est de rendre accessibles à tous les enfants les méthodes pédagogiques dont l'efficacité est solidement démontrée».

Ces troubles, loin d'être marginaux, concernent au moins un élève par classe. Leur repérage précoce et une prise en charge adaptée sont déterminants pour éviter l'échec scolaire, le décrochage, mais aussi les répercussions psychologiques et sociales. Comme le résume la neuroscientifique : «Offrir à ces enfants une compréhension claire de leurs difficultés et les outils nécessaires pour y faire face, c'est leur redonner confiance et une chance réelle de réussir leur parcours scolaire et leur vie future».
Lisez nos e-Papers