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Dʳᵉ Samira Amellal, une scientifique marocaine dans le cercle des 100 leaders africaines

Parmi les 100 femmes leaders africaines retenues pour l’édition 2025 du Africa Women Leaders Summit & Awards figure la Dʳᵉ Samira Amellal, une scientifique marocaine devenue l’une des voix les plus influentes de l’innovation agricole sur le continent. À la tête de CropLife Afrique Moyen-Orient, elle pilote des projets stratégiques mêlant science, durabilité et souveraineté alimentaire, tout en portant un engagement fort pour l’égalité des chances et l’éducation des jeunes filles. Un parcours qui illustre la place grandissante du leadership féminin africain dans la transformation des systèmes agricoles. Dans cet entretien accordé au journal «Le Matin», elle revient sur la portée de cette distinction, les défis du secteur agricole, les enjeux de la souveraineté alimentaire et le rôle déterminant que peuvent jouer les femmes et les jeunes générations dans la construction d’un modèle agricole résilient et innovant pour l’Afrique.

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Le Matin : Vous venez d’être nommée parmi les 100 femmes leaders africaines par le Africa Women Leaders Summit & Awards 2025. Que représente pour vous cette distinction ?

Dʳᵉ Samira Amellal : Je suis profondément honorée par cette reconnaissance. Elle représente bien plus qu’un simple prix : elle symbolise la validation de mon parcours, de ma passion pour l’agriculture, la science et le développement durable. C’est aussi la preuve qu’en tant que femme marocaine engagée dans un secteur souvent perçu comme masculin, je peux contribuer à changer le regard porté sur notre rôle.

Ce type de distinction me donne encore plus de motivation pour continuer à défendre l’importance de l’éducation, inspirer d’autres femmes à croire en elles-mêmes et promouvoir l’innovation face aux grands défis climatiques et sociaux que notre continent doit affronter. C’est une fierté personnelle, mais surtout un message d’espoir pour toutes celles qui rêvent d’un avenir plus égalitaire.



Selon vous, qu’est-ce qui distingue aujourd’hui le leadership féminin africain, notamment dans les domaines scientifiques et agricoles ?

Selon moi, ce qui caractérise aujourd’hui le leadership féminin africain dans les domaines scientifiques et agricoles, c’est notre capacité exceptionnelle à allier expertise, résilience et vision pour un développement durable. En tant que femmes africaines, nous jouons un rôle essentiel dans le renforcement de la sécurité alimentaire de notre continent – qui regorge d’un potentiel agricole exceptionnel –, aussi bien sur le plan scientifique qu’au niveau des femmes agricultrices. Nous œuvrons à exploiter ce potentiel de manière responsable, innovante et respectueuse de l’environnement, tout en portant les enjeux sociaux et économiques de l’Afrique.

Vous évoluez dans un secteur historiquement dominé par les hommes. Quelles ont été les principales difficultés que vous avez rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?

En tant que femme dans cette industrie, j’ai naturellement rencontré des défis tels que le syndrome de l’imposteur et la difficulté à équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, surtout en tant que mère de deux enfants. Cependant, grâce à ma détermination et au soutien d’un entourage bienveillant, tant sur le plan personnel que professionnel, j’ai pu surmonter ces obstacles et continuer à progresser.

Je crois que la clé réside dans la persévérance, la confiance en ses capacités et l’importance cruciale de l’éducation. Dès le début, j’ai travaillé dur, j’ai continué à me former et j’ai montré que les femmes ont leur place dans tous les domaines, y compris ceux historiquement dominés par les hommes. L’éducation, selon moi, est le levier essentiel pour changer les mentalités, renforcer la confiance en soi et ouvrir de nouvelles opportunités.

Le «Cadre de gestion durable des pesticides» lancé au Maroc en 2022 constitue un projet phare. Quels résultats concrets avez-vous observés jusqu’à présent ? Et quelles sont les prochaines étapes ?

Le «Cadre de gestion durable des pesticides» lancé au Maroc en 2022 (ainsi qu’au Kenya en 2021 et en Égypte en 2024) représente effectivement un projet stratégique pour augmenter la productivité agricole tout en protégeant la santé humaine et l’environnement dans la région. À ce stade, plusieurs avancées significatives ont été enregistrées. La sensibilisation des acteurs du secteur agricole aux bonnes pratiques de gestion des pesticides s’est nettement renforcée, tandis que des formations ciblant aussi bien les opérateurs que les agriculteurs ont été organisées pour améliorer leurs compétences.

Parallèlement, des outils innovants, notamment l’usage de drones, ont été développés afin de promouvoir une gestion plus responsable. L’économie circulaire a, également, été encouragée à travers la mise en place de circuits fermés dédiés à la collecte des déchets. Dans le même élan, des programmes spécifiquement consacrés à la lutte contre la contrefaçon de pesticides ont vu le jour, contribuant à assainir le marché. Enfin, ces initiatives se sont accompagnées d’un renforcement appréciable de la collaboration entre les gouvernements, les partenaires locaux et les acteurs privés. Les prochaines étapes visent à intensifier la mise en œuvre de ces initiatives pour assurer leur pérennité, notamment à travers le développement de partenariats public-privé.

Vous participez activement aux discussions sur la souveraineté alimentaire. Selon vous, quelles sont les priorités pour rendre les systèmes alimentaires nationaux et africains plus résilients face au changement climatique ?

Pour renforcer la résilience de nos systèmes alimentaires face au changement climatique, plusieurs priorités doivent être abordées. Il est essentiel d’investir dans l’adoption de technologies agricoles innovantes, telles que la sélection de variétés résistantes aux conditions climatiques extrêmes. La diversification des cultures et des pratiques agricoles permet également d’atténuer les risques liés aux événements climatiques imprévisibles.

Par ailleurs, il faut renforcer la capacité des agriculteurs à s’adapter grâce à des formations continues et un accès facilité à l’information et aux ressources. Enfin, une approche locale adaptée aux réalités spécifiques de chaque territoire ainsi que la coopération public-privé sont indispensables pour développer des solutions réellement efficaces, assurer une adoption durable et renforcer la résilience globale de nos systèmes alimentaires face aux défis climatiques.

Comment évaluez-vous la place du Maroc dans ce mouvement panafricain pour une agriculture durable et compétitive ?

Je considère que le Maroc joue un rôle de plus en plus important dans le mouvement panafricain en faveur d’une agriculture durable et compétitive. Grâce à ses initiatives innovantes, ses investissements et ses politiques – notamment le «Green Generation Plan» – favorables à l’agriculture, à la sécurité alimentaire et au développement durable, le Maroc montre l’exemple en adoptant des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement tout en renforçant sa capacité de production.

Sa position stratégique, en tant que hub régional, facilite également la coopération avec d’autres pays africains. En outre, le Maroc contribue à la transmission de son expertise, notamment en matière d’irrigation, de développement rural et de gestion durable des ressources naturelles, ce qui en fait un acteur clé pour promouvoir une agriculture résiliente, innovante et compétitive sur le continent.

Vous êtes mère de deux enfants et dirigeante internationale. Comment conciliez-vous cette double vie entre engagement professionnel et vie personnelle ?

Je crois que la clé pour concilier ma vie de mère de deux enfants et mon engagement professionnel est avant tout une organisation rigoureuse, accompagnée d’un soutien solide, tant sur le plan familial que professionnel. Je m’efforce de planifier judicieusement mon temps afin d’accorder une attention de qualité à la fois à ma famille et à mes responsabilités.

Il est également essentiel de savoir déléguer et de faire confiance à mon équipe plutôt que de vouloir tout faire moi-même. J’ai appris à accepter que l’équilibre parfait n’existe pas toujours, mais que la flexibilité, la patience et la passion pour ce que je fais m’aident à avancer chaque jour.

Vous insistez souvent sur le rôle de l’éducation dans l’autonomisation des femmes. Que faudrait-il faire concrètement pour encourager plus de jeunes filles à s’orienter vers les carrières scientifiques ?

C’est une mission qui me tient profondément à cœur, car je suis convaincue que l’éducation est la clé pour transformer nos sociétés et promouvoir une égalité réelle. Investir dans des programmes de formation spécialement destinés aux femmes dans l’agriculture constitue une étape essentielle pour accélérer l’action en faveur de l’égalité des genres.

D’un point de vue personnel, je sais que l’éducation ouvre des portes. Elle m’a donné la confiance nécessaire pour poursuivre mes ambitions et faire entendre ma voix dans un monde encore majoritairement masculin. Tout au long de ma carrière, j’ai voulu être un exemple pour les jeunes femmes, en leur montrant que l’accès aux sciences et aux postes de responsabilité est non seulement possible, mais vital pour faire évoluer nos communautés.

Pour encourager davantage de jeunes filles à s’orienter vers les carrières scientifiques, je pense qu’il faut d’abord mettre en place des programmes de mentorat avec des femmes scientifiques pour les inspirer et les rassurer, dès le primaire, afin d’éveiller leur curiosité. L’intégration de modules de sensibilisation à l’égalité dans les écoles, ainsi que des bourses spécifiques constituent, également, des leviers importants pour leur avenir.
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