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Dépendance des jeunes aux médicaments : lorsque le remède est pire que le mal

Détourner l’usage de certains médicaments pour se droguer est devenu une pratique courante chez les adolescents. Ce phénomène alarmant, qui compromet la santé physique et mentale des jeunes, perturbe également l’accès aux médicaments des malades qui en ont réellement besoin. Une situation complexe qui nécessite des mesures urgentes afin de protéger à la fois la santé des jeunes et celle des patients à la recherche d’un traitement médical approprié.

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Lorsqu’on aborde le sujet de l’addiction chez les jeunes, on pense généralement à des drogues comme le cannabis, la cocaïne ou encore «l’boufa»... on n’imagine pas qu’ils peuvent aussi développer des dépendances à des médicaments. Pourtant ce phénomène fait des ravages dans beaucoup de pays du monde. De nombreux jeunes, en quête d’une échappatoire à leurs problèmes ou d’une sensation euphorique et de bien-être artificielle, succombent à la tentation de consommer des médicaments à des fins récréatives. Souvent influencés par leurs pairs ou par des images ou des discours véhiculés sur les réseaux sociaux, ils consomment ces substances d’une façon excessive et ne peuvent plus s’en passer.

Au Maroc aussi, la dépendance des jeunes aux médicaments est une réalité à prendre en compte. La facilité d’accès aux médicaments, en comparaison avec les autres drogues, combinée à une forte pression sociale et à une recherche constante de sensations fortes, accentue la propension à l’abus de médicaments parmi la jeunesse marocaine. À défaut de trouver un chiffre fiable sur le nombre précis d’adolescents touchés par ce phénomène, les professionnels de la santé assurent que plusieurs milliers de jeunes au Maroc sont concernés. «L’usage détourné et abusif des médicaments est un phénomène dangereux qui touche de nombreux jeunes au Maroc», déclare au journal «Le Matin» Dr Ayman Aït Haj Kaddour, médecin conférencier. «Les types de médicaments les plus susceptibles de conduire à des comportements addictifs chez les adolescents comprennent les opioïdes tels que la codéine, qui est largement utilisée au Maroc, et la morphine, plus difficile à avoir et moins utilisée. On constate également que les jeunes lycéens sont de plus en plus nombreux à utiliser des stimulants comme les amphétamines et les dépresseurs du système nerveux central comme les benzodiazépines et les barbituriques», souligne-t-il.

Selon les témoignages, l’effet des médicaments est souvent immédiat, procurant aux consommateurs un sentiment d’apaisement et parfois d’euphorie. Mais cela a souvent des répercussions graves sur leur santé mentale et physique.



«Sur le plan mental, cela peut entraîner des troubles anxieux, des troubles de l’humeur tels que la dépression, des troubles de la personnalité, et des problèmes de comportement. Et sur le plan physique, cela peut causer des dommages aux organes vitaux, des problèmes de croissance et de développement, des troubles du sommeil, des troubles alimentaires, et une plus grande vulnérabilité aux infections et aux maladies», explique Dr Aït Haj Kaddour.

Le phénomène de la dépendance aux médicaments ne touche pas seulement les jeunes qui en abusent, mais déstabilisent également les vrais malades, en particulier les personnes vivant avec une maladie psychiatrique. Ces derniers ont souvent du mal à avoir accès à leurs médicaments. «Avec l’amélioration de la prise en charge des maladies psychiatriques qui se fait essentiellement en ambulatoire, le pharmacien d’officine est de plus en plus amené à dispenser des psychotropes. Malheureusement, certaines spécialités pharmaceutiques peuvent faire l’objet d’un usage déviant, particulièrement les hypnotiques et les anxiolytiques. Ce mésusage que connaissent certains psychotropes et les ennuis judiciaires auxquels ont été confrontés des pharmaciens sont à l’origine d’une vraie psychose au Maroc», affirme Abderrahim Derraji, pharmacien et fondateur du site Pharmacie.ma.

Contacté par nos soins, le pharmacien, souligne que l’on constate que des produits à base de prégabaline, de gabapentine, de tramadol et de benzodiazépines sont très recherchés par les trafiquants, qui usent de tous les subterfuges pour tromper la vigilance des pharmaciens. Il signale aussi que si des mesures ne sont pas prises pour que les pharmaciens puissent dispenser ces spécialités sans risques, ils peuvent ne plus les détenir en stock, en particulier les psychotropes détournés de leur utilisation. «À chaque dispensation de ces traitements essentiels, le pharmacien doit procéder à une analyse minutieuse de la prescription pour s’assurer de son authenticité», confie Dr Derraji. Et d’ajouter qu’«une prescription en apparence conforme peut comporter des dosages ou des associations de médicaments inhabituels ou incohérents. Ces aberrations expliquent généralement les refus de dispensation des psychotropes par les pharmaciens. Ces derniers n’ont d’autre choix que d’invoquer la non-disponibilité des produits demandés. Certains pharmaciens vont même plus loin et évitent de dispenser des psychotropes à tous les patients qu’ils ne connaissent pas. Cela prive dans certains cas des malades disposant d’ordonnances en bonne et due forme de leurs traitements».

Notre interlocuteur précise également que le renouvellement des ordonnances constitue aussi une vraie contrainte pour le pharmacien et les patients qui n’arrivent pas à obtenir un rendez-vous avec leur médecin. Généralement, les pharmaciens évitent d’avancer des médicaments psychotropes, qu’ils soient détournés ou non de leur utilisation. «Le nomadisme des malades, l’absence du dossier numérique patient et de l’ordonnance infalsifiable ne permettent pas aux pharmaciens de s’assurer qu’il s’agit d’une vraie ordonnance. Souvent, les efforts fournis pour équilibrer le patient partent en fumée, y compris quand les psychotropes prescrits ne font pas l’objet de mésusage», déplore Dr Derraji. Et d’insister que «le pharmacien qui connaît ses patients et leur état de santé se trouve souvent entre le marteau et l’enclume. S’il avance le produit, il risque d’avoir des ennuis avec la justice, et s’il ne le fait pas, il aura, en quelque sorte, failli à sa mission qui l’oblige à porter assistance à une personne en danger. Normalement, son long cursus universitaire devrait lui permettre d’évaluer au cas par cas et d’avancer, à titre exceptionnel certains médicaments ne présentant pas de risque de mésusage. Mais contrairement aux autres pays, les lois en vigueur au Royaume ne le permettent pas !»



Pour éviter que les patients ne soient privés de traitements vitaux, le pharmacien appelle l’administration à mettre en place l’ordonnance infalsifiable. «Dans les pays voisins, les pharmaciens ne délivrent les produits susceptibles de faire l’objet de mésusage qu’avec ce type d’ordonnances. De plus, grâce à la consultation du dossier numérique du patient, le pharmacien peut s’assurer qu’il s’agit bien d’un vrai patient qui utilise ses traitements conformément à la prescription de son médecin traitant. L’administration devrait également et publier en ligne la liste des médicaments faisant l’objet de mésusage. Cette liste devrait être régulièrement actualisée», indique Dr Derraji, insistant sur la nécessité de mettre à jour le Dahir de 1922 qui régit la dispensation des médicaments au Maroc. Le pharmacien appelle, par ailleurs, à multiplier les campagnes d’information pour sensibiliser les jeunes contre les méfaits de toutes les substances addictives : tabac, alcool, psychotropes, amphétamines...

Ayman Aït Haj Kaddour : «Pour prévenir les comportements addictifs chez les ados, il faut absolument renforcer les liens familiaux et sociaux et promouvoir les activités alternatives saines»

Dépendance des jeunes aux médicaments : lorsque le remède est pire que le mal
Ayman Aït Haj Kaddour.



Le Matin : Existe-t-il des facteurs de risque qui rendent certains adolescents plus vulnérables à la dépendance aux médicaments ?

Dr Ayman Aït Haj Kaddour :
Oui, en effet. Les facteurs de risque qui rendent certains adolescents plus vulnérables à la dépendance aux médicaments incluent des antécédents familiaux de dépendance, des troubles mentaux sous-jacents tels que l’anxiété ou la dépression, des expériences traumatiques ou stressantes, un manque de soutien familial ou social, des troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH), et un accès facile aux médicaments.

Quelles sont les stratégies de prévention qu’on peut adopter pour sensibiliser les adolescents aux dangers de l’abus de médicaments et prévenir les comportements addictifs ?

Les stratégies de prévention les plus efficaces pour sensibiliser les adolescents aux dangers de l’abus de médicaments et prévenir les comportements addictifs comprennent l’éducation précoce sur les risques associés à l’usage de drogues, le renforcement des compétences en matière de prise de décision et de résolution de problèmes, le renforcement des liens familiaux et sociaux, la promotion d’activités alternatives saines et l’encouragement à rechercher de l’aide en cas de besoin.

Concrètement, comment les parents et les éducateurs peuvent-ils reconnaître et aborder les signes de dépendance aux médicaments chez les adolescents ?

Les parents et les éducateurs peuvent reconnaître les signes de dépendance aux médicaments chez les adolescents en observant les changements dans leur comportement et leur apparence physique, mais aussi en écoutant attentivement leurs préoccupations et en restant ouverts à la communication. Il faut surveiller de près les médicaments à domicile et fournir un soutien et des ressources appropriés.

Un adolescent en situation de dépendance aux médicaments peut monter des signes qui doivent alerter son entourage. Il s’agit tout d’abord d’un changement de comportement : perte d’intérêt pour les activités qu’il aimait auparavant, sautes d’humeur, fréquents problèmes scolaires, isolement social ou retrait des amis et de la famille, mensonges ou secrets concernant l’usage de médicaments, comportement secret ou furtif, changements dans les habitudes de sommeil ou d’alimentation, diminution de l’hygiène personnelle...

On peut aussi repérer des signes sur son apparence physique comme un changement soudain de poids, perte ou gain, les yeux rouges ou injectés de sang, les pupilles dilatées ou contractées, des tremblements incontrôlables, une perte ou un gain d’appétit... Il peut aussi avoir des comportements suspects tels que des visites fréquentes aux toilettes ou à la salle de bain, éviter les conversations sur l’usage de médicaments ou réagir de manière défensive à ce sujet, le vol ou l’emprunt d’argent sans explication, la possession d’objets inhabituels comme des pilules, des vaporisateurs... Enfin, un ado en situation de dépendance aux médicaments peut commencer à avoir des problèmes de santé comme des difficultés respiratoires, notamment en cas de consommation de substances inhalées, une fréquence cardiaque anormalement élevée ou basse, des évanouissements ou pertes de conscience... il peut aussi souffrir de maladies fréquentes ou infections récurrentes dues à une immunité affaiblie, ainsi que des changements dans la cognition, comme la confusion ou la difficulté à se concentrer.

Quels sont les traitements disponibles pour les adolescents en situation de dépendance aux médicaments ?

Les traitements disponibles pour les adolescents en situation de dépendance aux médicaments comprennent entre autres un suivi psycho-addictologique avec des thérapies individuelle et familiale. La thérapie individuelle permet à l’adolescent de travailler en tête-à-tête avec un professionnel de la santé mentale spécialisé dans le traitement des dépendances. Ce type de thérapie vise à explorer les causes sous-jacentes de la dépendance, à développer des stratégies de gestion des envies et à promouvoir des changements de comportement positifs. La thérapie familiale implique souvent la participation des membres de la famille de l’adolescent afin de renforcer les relations familiales, d’améliorer la communication et de résoudre les conflits. Elle peut également aider les membres de la famille à mieux comprendre la dépendance et à fournir un soutien approprié.

Le traitement comprend également la désintoxication médicale qui est souvent le premier stade du traitement pour les adolescents dépendants aux médicaments. Elle consiste à surveiller étroitement l’adolescent pendant qu’il élimine les substances toxiques de son corps. Dans certains cas, des médicaments peuvent être administrés pour atténuer les symptômes de sevrage et prévenir les complications médicales graves. Par exemple, les médicaments de substitution comme la méthadone ou la buprénorphine peuvent être utilisés pour traiter la dépendance aux opioïdes. D’autres médicaments, tels que les antidépresseurs ou les anxiolytiques, peuvent être prescrits pour traiter les troubles mentaux coexistants.

Une équipe de professionnels de santé met souvent en place un programme de réadaptation personnalisé en milieu résidentiel dans les centres de désintoxication qui offrent un environnement structuré et intensif où l’adolescent peut se concentrer sur sa guérison. On peut aussi mettre en place des programmes de réadaptation ambulatoire qui permettent à l’adolescent de vivre à domicile tout en recevant un traitement régulier dans un centre de traitement. Ces programmes offrent une flexibilité supplémentaire et peuvent être adaptés aux besoins spécifiques de l’adolescent et de sa famille.

Il est important de noter que l’efficacité de ces traitements peut varier en fonction des besoins individuels de chaque adolescent, de la gravité de sa dépendance et de sa motivation à participer au traitement.

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