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Îlot de Sidi Abderrahman : une mise à niveau bienvenue et beaucoup de questions

L’îlot de Sidi Abderrahman, tel qu’on l’a connu jusqu’à ce jour, ne sera bientôt plus qu’un lointain souvenir. La décision est déjà prise pour le rasement des logements illégaux érigés autour du marabout homonyme et enlaidissant cette zone qui pourrait se transformer en un atout touristique majeur de Casablanca. À moins d’un rebondissement de dernière minute, les opérations de démolition débutent ce vendredi 12 janvier. Bien que bienvenu, ce projet soulève des inquiétudes sur le sort des 50 familles qui vivent sur l’îlot depuis plus de quatre décennies.

La décision est tombée comme un couperet et les voyantes et autres chiromanciennes qui avaient élu domicile dans cet îlot n’ont rien vu venir. L’îlot de Sidi Abderrahman, site à la fois pittoresque et mystique, devenu un haut lieu de charlatanisme et de pratiques occultes de différentes sortes, s’apprête à subir une opération de «déblayage» en bonne et due forme. Ses occupants «illégaux» et leurs habitations «anarchiques» ne seront plus autorisés à faire partie de ce paysage féérique déprécié par des années d’abandon. Sauf rebondissement de dernière minute, les logements seront en effet complètement rasés ce vendredi 12 janvier. Seul sera épargné le Mausolée de Sidi Abderrahman en tant que bâtiment patrimonial.



Sur ce petit promontoire rocheux, situé au bout de la Corniche de Aïn Diab, l’ambiance est à la panique. La cinquantaine de familles qui l’occupent, certes, sans droit ni titre, ont été sommées de libérer les lieux en vertu d’une décision datée du 4 janvier 2024, émanant du président de l’arrondissement Anfa, Mohamed Chabak. Et pour ajouter à l’émoi général, aucune alternative n’a été proposée aux habitants concernés.

Selon le document, dont «Le Matin» détient copie, cette décision fait suite aux instructions du gouverneur de la préfecture d’arrondissements de Casablanca-Anfa, Aziz Dadès, contenues dans une correspondance datée du 2 janvier 2024. Le motif avancé ne fait pas référence à l’occupation illégale des lieux, mais à des «mesures de protection concernant des habitations présentant un danger pour la sécurité des habitants, des passants et des riverains». Un motif corroboré par une commission technique multipartite qui, selon le même document, s’est réunie à deux reprises, soit les 2 et 3 janvier 2024. Celle-ci compterait parmi ses membres l’autorité en charge de l’habitat menaçant ruine et du suivi des programmes de relogement. D’ailleurs, une expertise technique aurait été effectuée sur les bâtiments, comme nous l’ont affirmé plusieurs habitants de Sidi Abderrahman. Un recensement a également été mené en amont, sans que ses motivations réelles soient dévoilées.



Mais ces explications ne convainquent pas les habitants qui affirment que leurs logements sont d’une robustesse telle qu’ils peuvent résister aux vagues de l’Atlantique. «Nos logements sont on ne peut plus robustes. Nous avons vu passer le mini-tsunami qui a frappé la côte en 2020 ainsi que le séisme de septembre 2023 sans subir de dommages, même pas une petite fissure !» s’écrie l’une des habitantes que nous avons rencontrée sur place. «Nous ne contestons pas la décision, loin de là. Nous voulons juste une alternative. Sinon, dès ce vendredi, nous serons officiellement des sans-abri», ajoute-t-elle. «J’ai 41 ans et je suis né ici. Mes grands-parents ont vécu ici. Nous n’avons pas d’autre endroit où aller», se plaint un autre résident. «Nous n’avons rien contre cette décision qui est certainement dans l’intérêt du pays. Mais nous ne voulons pas devenir des SDF. Tout ce que nous demandons, c’est d’être relogés», poursuit-il.

La wilaya fait la chasse à l’anarchie urbaine

Les craintes des habitants sont exacerbées par la célérité avec laquelle ce dossier est mené. Il n’y a eu qu’une semaine entre la correspondance du gouverneur et le début de l’application effective de la décision ! Pourtant, cela fait des années que le rocher abrite des occupants sans titres de propriété et pratiquant des activités réprimées par la loi au grand jour. Un pont a même été construit pour en faciliter l’accès. Dès lors, des questions fusent : pourquoi aujourd’hui ? Pourquoi aucune action n’a été entreprise auparavant, notamment dans le cadre du grand chantier de valorisation du littoral, lancé en 2017 ?

Si aucune des autorités territoriales que nous avons contactées n’a voulu se prononcer sur la question, un début d’explication se trouve dans le changement qui vient de s’opérer à la tête de la wilaya de Casablanca-Settat. Ce chantier porte la griffe du nouveau wali, Mohamed Mhidia, qui a placé la lutte contre l’occupation du domaine public et la prolifération des bidonvilles, mais aussi la réhabilitation des habitats menaçant ruine parmi ses priorités. M. Mhidia avait déclaré solennellement en novembre dernier, lors d’une session extraordinaire du Conseil de la région de Casablanca-Settat, que la mise à niveau urbaine et la valorisation de l’espace de la ville seraient au cœur de son agenda. Entreprenant et engagé, le haut responsable semble déterminé à s’attaquer aux dossiers les plus épineux, quitte à remettre en cause des pratiques installées depuis fort longtemps.

Les responsables de la ville de Casablanca et ses habitants, qui voient plutôt d’un bon œil cette décision courageuse qui permettra le réaménagement et le développement d’un site à vocation touristique majeure, ne cachent pourtant pas leur inquiétude quant au sort qui sera réservé aux familles de Sidi Abderrahman.

Un réaménagement au détriment de l’humain ?

La fermeté dont font preuve les autorités dans cette affaire est, certes, souhaitable et même nécessaire. Leur approche étant dans la droite ligne des orientations du nouveau modèle de développement qui préconise d’améliorer le bien-être et le cadre de vie des citoyens. Mais qu’adviendra-t-il des familles qui ont passé toute leur vie dans cet endroit ? Leur cas doit être pris en considération, d’autant que le Maroc a choisi de renforcer les piliers de l’État de social qui ambitionne de ne laisser personne au bord du chemin. Des alternatives doivent être prévues. Autrement, on risque de créer ailleurs un nouveau foyer de précarité. Une approche inclusive s’impose.

Si pour le moment, on a encore du mal à identifier la partie qui doit prendre en charge les personnes qui seront expulsées – les différents départements concernés (Intérieur, Habitat, Habous...) se murent dans le silence, refusant de se prononcer sur la question –, les familles vivent l’enfer de l’attente et d’un avenir incertain. Le relogement paraît la solution la plus logique, on y a eu recours par le passé au profit des habitants des bidonvilles, mais pour le moment, cette option semble ne pas être à l’ordre du jour, d’après nos informations. De quoi nourrir le tourment des habitants, même si on sait que leurs activités n’inspirent pas la sympathie et encore moins la solidarité.
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