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Viandes rouges : pourquoi les prix tardent-ils à baisser malgré les importations ?

Les autorisations des importations de viandes rouges, mises en œuvre depuis le 6 novembre dernier, avait pour objectif de stabiliser les prix sur les marchés locaux et de protéger le cheptel national, durement affecté par plusieurs années consécutives de sécheresse. Pourtant, deux mois après l'application de cette mesure, l'impact attendu tarde à se manifester. Les prix des viandes rouges, toujours jugés élevés par les consommateurs, suscitent des interrogations sur l'efficacité et la pertinence du recours au marché extérieur.

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Les consommateurs déçus par l’absence de baisse des prix

«Au début, j’étais un peu sceptique par rapport à l’idée d’importer de la viande. C’est une denrée importante pour nous, les Marocains, et je me demandais si la qualité allait être au rendez-vous. Mais je m’étais dit qu’au moins, cela ferait baisser les prix. Deux mois après, je ne vois toujours aucun changement. C’est vraiment décevant, car cette mesure ne semble pas nous aider, nous les familles», confie Karim, père de famille de 42 ans. «J’avais beaucoup d’espoir avec cette annonce, mais les prix restent inabordables. Nous vivons avec un budget limité, et la viande rouge était déjà une dépense qu’on réduisait depuis quelques années. Maintenant, c’est presque impossible d’en acheter régulièrement. C’est frustrant de voir que rien n’a changé pour les familles modestes. J’espère que les autorités vont agir pour que cette mesure ait un vrai impact», ajoute Fatima, 50 ans, femme au foyer.

Bouazza Kherrati, président de la Fédération marocaine des droits du consommateur (FMDC), regrette également que cette mesure n’ait pas eu un meilleur impact sur les prix. «Tout le monde s’attendait à une baisse significative des prix des viandes rouges après l’ouverture des frontières aux importations et l’exonération des taxes fiscales et douanières. Cependant, malgré une légère baisse enregistrée dans certaines régions, les prix restent globalement élevés. Peut-on en conclure que la solution était inadaptée, ou bien existe-t-il des mécanismes du marché qui échappent au contrôle ?», déclare-t-il au journal «Le Matin».«Le FMDC considère que le marché reste tout de même dominé par l’informel, ce qui le rend imprévisible. La décision prise par le gouvernement était judicieuse, mais elle n’a pas été accompagnée des mesures nécessaires pour encadrer efficacement cette importation»

La FMDC propose ainsi plusieurs mesures pour assurer un réel impact de cette politique. «Il faut renforcer le contrôle des prix et garantir leur affichage clair et mettre en place un suivi de la structure des prix, pour comprendre leur évolution et agir en conséquence. Il faut aussi créer des circuits directs pour les animaux importés, allant des fermes lazarets aux abattoirs, en interdisant leur passage par les souks. Sans oublier d’étudier la possibilité de plafonner les prix des produits subventionnés, à l’image du sucre, de la farine de blé tendre subventionné, ou encore du gaz butane. Le gouvernement doit rapidement agir pour maîtriser le marché et éviter toute pénurie à l’approche du mois du Ramadan», insiste Kherrati.



Les coûts d’importation, un frein à l’efficacité de la mesure

De son côté, Mohamed Jebli, président de la Fédération marocaine des acteurs de la filière élevage (FMAFE), nous affirme que le faible impact de l’importation de la viande rouge sur les prix s’explique par plusieurs facteurs. «La quantité importée reste insuffisante pour répondre à la demande et aux besoins du marché national. De plus, les prix d’achat de ces viandes à l’étranger sont élevés, ce qui limite leur capacité à influencer significativement les prix au niveau local», souligne-t-il. Jebli ajoute que la situation des éleveurs marocains est également marquée par un manque de produits locaux, qu’il s’agisse d’ovins ou de bovins. «C’est pour cette raison que les éleveurs se tournent vers l’importation d’animaux vivants, même si ces derniers sont eux aussi vendus à des prix élevés. Malgré tout, il faut reconnaître que ces mesures ont permis d’empêcher une hausse supplémentaire des prix. Elles contribuent à maintenir un certain équilibre sur le marché», indique-t-il.

Contactés par nos soins, les services du ministère de l’Agriculture confirment que, sans les mesures prises par le gouvernement pour l’importation des animaux et des viandes, les prix des viandes rouges auraient atteint des niveaux bien plus élevés.

Ils soulignent également que, bien que les prix restent élevés, ils se sont stabilisés depuis le début de l’opération d’importation des viandes rouges fraîches ou congelées. «Les viandes importées sont proposées à des prix compétitifs, inférieurs à la moyenne des prix observés sur le marché des viandes bovines locales. Ces prix oscillent entre 80 et 90 DH le kilogramme, contre un prix moyen de départ abattoir dans les pays d’origine d’environ 6,5 euros par kilogramme, auquel s’ajoutent les frais de transport et autres coûts logistiques», expliquent les services du ministère.

En ce qui concerne le prix des viandes ovines, celui-ci demeure élevé par rapport à sa moyenne habituelle. On estime toutefois qu’une augmentation de l’offre pourrait entraîner une baisse progressive dans les mois à venir. Les services du ministère rappellent, en outre, que la loi 06-99 relative à la liberté des prix et de la concurrence pose comme principe fondamental la liberté des prix, pilier de l’économie de marché. Ce cadre législatif vise à instaurer les règles d’une concurrence loyale, où les prix sont déterminés par l’équilibre entre l’offre et la demande. Ce mécanisme permet une allocation optimale des ressources sur un marché donné, tout en favorisant une régulation naturelle des prix.

Garantir l’approvisionnement et préparer l’avenir de la filière

Les services du ministère de l’Agriculture rappellent, par ailleurs, que la question des prix ne relève pas directement de leurs missions. Le rôle du département se concentre sur plusieurs axes : garantir une offre suffisante de viandes pour les rendre accessibles dans tous les points de vente, assurer le suivi de l’approvisionnement des marchés grâce à ses services compétents, et protéger la traçabilité ainsi que la qualité des viandes, lesquelles sont soumises à des contrôles sanitaires stricts par l’Office national de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA). Le ministère facilite également l’importation des viandes rouges. Les opérateurs répondant aux conditions techniques et sanitaires peuvent, en concertation avec les professionnels du secteur, importer ces viandes depuis les pays autorisés.

Par ailleurs, les perspectives à moyen terme pour la filière des viandes rouges s’inscrivent dans le cadre de la stratégie nationale «Génération Green», déclinée via un contrat-programme signé avec les acteurs du secteur. Cette filière, en plus de son poids économique, joue un rôle social crucial grâce aux emplois qu’elle génère en milieu rural et urbain.

Selon le ministère, l’objectif actuel est double : repeupler le cheptel ovin et renforcer la contribution de la filière laitière à l’offre nationale de viandes rouges. À cet effet, un programme dédié est en cours de finalisation. Cependant, comme toute filière de production animale, celle-ci reste fortement dépendante de la disponibilité et du faible coût des aliments pour bétail, condition essentielle pour mobiliser les éleveurs et garantir un approvisionnement suffisant des marchés.

Dans ce contexte, les récentes pluies, particulièrement celles qui ont arrosé les zones pastorales de l’Oriental et du Sud-Est cet été, ont apporté un soulagement significatif. Elles ont permis une régénération des parcours, insufflant un nouvel espoir aux éleveurs. Couplée aux efforts gouvernementaux pour subventionner les aliments pour bétail, cette amélioration offre une perspective encourageante. Bien que des défis subsistent, cette dynamique favorable pourrait conduire à une stabilisation progressive du marché et, à terme, à une baisse des prix à mesure que l’équilibre entre l’offre et la demande se rétablit.

Près de 1.500 tonnes de viandes importées en deux mois

Les importations de viandes rouges ont été autorisées depuis le 6 novembre 2024 et la quantité importée cumulée jusqu’au 27 décembre 2024 s’élève à 1424 tonnes. S’agissant d’une opération nouvelle, les opérateurs avaient besoin de temps pour étudier les marchés et trouver des fournisseurs. Force est de constater une amélioration de la cadence des importations durant les dernières semaines (272 tonnes en moyenne par semaine), ainsi qu’une augmentation progressive du nombre d’opérateurs.

Il est important de signaler que 94% des importations sont des viandes fraîches ou réfrigérées qui arrivent majoritairement d’Espagne en raison de la proximité. Toutefois, d’autres opérateurs ont commencé à importer les viandes à partir du Brésil, l’Australie et la Pologne.

Importations des viandes rouges, une solution temporaire ou une stratégie de long terme ?

Selon les services du ministère de l’Agriculture contactés par «Le Matin», l’importation des viandes rouges est une mesure exceptionnelle, qui ne s’inscrit pas dans la durée. Elle est mise en place pour garantir un approvisionnement régulier du marché en viandes et alléger la pression sur le cheptel national.

«Les six dernières années ont connu des précipitations faibles et irrégulières ayant impacté la productivité des parcours et les disponibilités des ressources hydriques et alimentaires pour le cheptel. Cette situation, conjuguée à la persistance des prix élevés des aliments de bétail sur les marchés locaux durant ces années, dans un contexte d’inflation et de diminution du pouvoir d’achat des éleveurs, a mis le cheptel national dans une situation de vulnérabilité entraînant une baisse de la productivité et une réduction des effectifs et, par conséquent, une baisse de l’offre en produits animaux et une augmentation de leurs prix», affirment les services du ministère. Et d’ajouter que «notre pays est confronté à une demande croissante en viandes rouges et à des défis structurels dans sa production nationale. Dans ce contexte, et afin de faire face aux conséquences des sécheresses récurrentes ayant gravement impacté l’agriculture et contraint les éleveurs à vendre une partie de leur cheptel pour maintenir leur production, le recours à l’importation des viandes (fraîches, réfrigérées ou congelées) s’est imposée comme une mesure d’urgence et une solution adaptée pour garantir un approvisionnement régulier du marché et répondre aux besoins des consommateurs en viandes rouges».

D’après le ministère, cette mesure contribuera à stabiliser les prix, à créer une dynamique dans les transactions réalisées par les professionnels opérant dans le secteur, à encourager les investissements et à améliorer sa durabilité.

Les services du ministère ont tenu, par ailleurs, à rappeler les réalisations du secteur des viandes rouges avant cette vague de sécheresse. «Dans le cadre des stratégies “Plan Maroc Vert” et “Génération Green”, la filière des viandes rouges a contribué à la garantie de la sécurité alimentaire du pays en assurant la satisfaction de près de 98%, ce qui a joué un rôle très important sur les plans économique, social et nutritionnel», confient les services du ministère. «Le développement de la filière a permis la création de 44 millions de journées de travail à tous les niveaux de la chaîne de valeur de la filière (production, transformation, commercialisation et distribution de la viande et des produits de la viande). Le secteur des viandes rouges joue également un rôle primordial dans l’approvisionnement du secteur de l’industrie et de l’artisanat en matière première, notamment en laine et en cuir», précisent-ils. Il est à noter également que la production des viandes rouges a connu un taux de variation de 51% entre 2008 et 2019, atteignant ainsi 606.000 tonnes en 2019, et ce grâce à l’amélioration de la productivité du cheptel. La consommation moyenne des viandes rouges a connu une évolution importante avec près de 17,2 kg/habitant/an en 2019. Et grâce aux programmes d’amélioration génétique, d’encadrement et de formation réalisés par les organisations professionnelles avec le soutien de l’État dans le cadre du contrat-programme viandes rouges, la productivité du cheptel a connu une amélioration de 36% chez les bovins et de 23% chez les ovins durant la période 2008-2019.

Pour rappel, la suspension de la perception des droits de douane et de la TVA est fixée à quota de 20.000 tonnes au titre de l’année 2024.

Qualité et traçabilité : quelles étapes pour un contrôle sans faille ?

La qualité et la traçabilité des viandes importées sont encadrées par les lois en vigueur en matière de sécurité sanitaire des produits alimentaires. «L’article 4 de la loi n°28.07 relative à la sécurité sanitaire des produits alimentaires stipule qu’aucun produit primaire ou produit alimentaire ne peut être mis sur le marché national, importé ou exporté, s’il constitue un danger pour la vie ou la santé humaine», nous indiquent les services du ministère de l’Agriculture. Et d’ajouter que «conformément à la loi n°24.89, édictant des mesures de police sanitaire vétérinaire à l’importation d’animaux, de denrées animales, de produits d’origine animale, de produits de multiplication animale et de produits de la mer et d’eau douce, et ses textes d’application, les services de contrôle de l’Office national de la sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), effectuent des contrôles aux postes d’inspection frontaliers à l’importation».

Les services de l’ONSSA procèdent à un contrôle d’identité pour s’assurer que les informations d’identification de la viande importée correspondent bien à celles des pièces justificatives fournies. Ils vérifient également les documents délivrés par les autorités compétentes du pays d’origine, en s’assurant de leur conformité tant sur le fond que sur la forme. Ainsi, les viandes importées doivent être accompagnées d’un certificat sanitaire attestant de leur qualité et de leur sécurité, ainsi que d’un certificat d’abattage halal émis par un organisme islamique agréé par les autorités officielles du pays d’origine.

Les services de l’ONSSA font aussi un contrôle physique qui permet de vérifier que la viande a été transportée dans le respect des normes, notamment en maintenant la chaîne du froid, et qu’elle est correctement emballée, sans défectuosités. Il s’assure également que l’étiquetage respecte la réglementation, que la viande n’est ni altérée ni contaminée, et qu’elle porte les estampilles de salubrité ainsi que les marques d’identification nécessaires.

Enfin, des examens sensoriels sont réalisés pour confirmer la conformité des produits. En plus du contrôle analytique qui prévoit la prise d’échantillons représentatifs de la viande importée pour analyse en laboratoire, dans le cas où des doutes subsisteraient sur la qualité ou la sécurité des produits.

Des actions pour revitaliser la chaîne de production nationale

La filière des viandes rouges, essentielle pour l’économie et l’emploi rural au Maroc, fait face à des défis majeurs. À commencer par le cheptel national qui a enregistré une baisse significative de ses effectifs due à la succession de 6 années de sécheresse et à la flambée des coûts des aliments, ce qui a impacté la productivité des animaux et compromis leur durabilité.Ces contraintes ont eu un impact direct sur l’offre en viandes rouges, accentuant ainsi, la pression sur le marché national et par conséquent une hausse importante des prix. Ainsi, pour revitaliser la chaîne de production nationale et renforcer sa résilience face aux crises, le ministère a mis en place différentes mesures, au titre de l’année 2024, pour y remédier :

• La poursuite des programmes de soutien aux éleveurs et notamment les petits à travers la subvention des aliments pour bétail comme l’orge (18 millions de quintaux), les aliments composés (6 millions de quintaux) et les semences fourragères. Ces actions visent à relancer l’activité des éleveurs, réduire les coûts de production et améliorer la productivité du cheptel.

• La suspension des droits d’importation et de la TVA pour l’importation des bovins (à hauteur de 200.000) et des ovins (à hauteur de 200.000) pour assurer un approvisionnement régulier du marché et stabiliser les prix face à la persistance de leur hausse.

• La suspension des droits d’importation et de la TVA pour l’importation des viandes issues des espèces bovines, ovines, caprines et camelines, fraîches, réfrigérées ou congelées (quantité de 20.000 tonnes) ; pour assurer une offre continue sur le marché et alléger la pression sur le cheptel national.• L’interdiction de l’abattage des femelles reproductrices au niveau national ; une décision visant à préserver le cheptel national, stabiliser les prix de la viande rouge, et améliorer la sécurité alimentaire.

• Le renforcement des campagnes de vaccination à grande échelle, pour protéger les élevages et permettre une meilleure performance des animaux.

• L’appui aux éleveurs dans le cadre de la stratégie d’aides du FDA (Fonds de développement agricole), des bâtiments d’élevage, du matériel...

• Une refonte en profondeur du cheptel pour accroître les effectifs tout en améliorant la productivité, la durabilité et la résilience des systèmes d’élevage.

• La valorisation de la production de viande locale à travers la promotion des races locales : Sardi, Timahdite, Oulmès Zaër... pour renforcer durablement la résilience du secteur et contribuer à la souveraineté alimentaire du pays.
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