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Intoxication au plomb : le phénomène persiste malgré la réglementation

Malgré les efforts pour limiter le plomb dans les peintures au Maroc, les risques d’exposition restent préoccupants. À l’occasion de la Semaine mondiale de la prévention de l’intoxication au plomb, l’Association marocaine de santé environnementale et de toxicovigilance exhorte les autorités à s’assurer du strict respect des normes en vigueur.

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La Semaine d’action internationale pour la prévention de l’intoxication au plomb, qui se déroule du 20 au 26 octobre, est l’occasion de sensibiliser le public et les autorités sur la nécessité de prévenir cette problématique de santé publique mondiale. L’Association marocaine de santé environnementale et de toxicovigilance (Amsetox) alerte, à cette occasion, les autorités sur l’urgence d’assurer le respect des normes réglementaires concernant les limites de plomb dans les peintures. Cette initiative, soutenue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), vise à garantir un environnement sécuritaire pour les enfants, particulièrement vulnérables aux effets toxiques de ce métal lourd.

«Le plomb est un polluant environnemental majeur, dont la toxicité est bien documentée depuis plus de 120 ans. Il s’accumule dans l’organisme et affecte plusieurs systèmes, notamment le système neurologique, hématologique, gastro-intestinal, cardiovasculaire et rénal. L’OMS estime que l’intoxication par le plomb cause environ 600.000 cas de retard intellectuel chez les enfants chaque année dans le monde. En outre, l’exposition au plomb est responsable de 853.000 décès, selon les estimations de l’Institute for Health Metrics and Evaluation en 2013», souligne Dre Naïma Rhalem, médecin pharmaco-toxicologue et présidente de l’Asmetox. Et de préciser que «le plomb se trouve généralement sous forme de chromates dans les peintures, qui sont couramment utilisées dans les produits de consommation, notamment ceux destinés aux enfants. Bien que de nombreuses grandes sociétés de peinture aient déclaré avoir cessé d’utiliser des pigments au plomb, certaines petites entreprises nationales et locales continuent à produire des peintures contenant ces substances toxiques. Les peintures décoratives, souvent appliquées dans les foyers et établissements scolaires, sont particulièrement préoccupantes, car elles constituent la principale voie d’exposition au plomb pour les jeunes enfants».



Le Centre antipoison et de pharmacovigilance du Maroc (CAPM) a observé une augmentation des cas d’intoxication au plomb, notamment chez les enfants ayant été exposés à des peintures au plomb à domicile. Depuis 2014, le CAPM a publié des numéros spéciaux sur ce sujet dans sa revue «Toxicologie Maroc», soulignant les dangers de l’exposition au plomb par ingestion de fragments de peintures détériorées. Une étude réalisée en 2017 a révélé que près de 40% des peintures testées sur le marché marocain dépassaient la concentration maximale de plomb recommandée par l’OMS, fixée à 90 parties par million (ppm).

Pour lutter contre ce fléau, une réglementation interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation, la distribution, la vente et l’utilisation de peintures contenant plus de 90 ppm de plomb a été adoptée. «Promulguée par l’Institut marocain de normalisation (Imanor), cette norme (NM 03.3.318) est entrée en vigueur en 2020. Le CAPM et l’Amsetox ont collaboré étroitement avec le Ministère de l’Industrie pour sensibiliser les acteurs concernés et assurer la mise en œuvre de cette réglementation», souligne la présidente de l’Amsetox. Cette dernière insiste ainsi sur l’importance d’un engagement collectif pour veiller au respect de ces normes. Elle encourage les citoyens à revendiquer des peintures sans plomb, conformément aux exigences de l’OMS et des organisations internationales telles que l’IPEN. «La santé des enfants doit être une priorité, et il est impératif que les autorités agissent rapidement pour réduire l’exposition au plomb dans les foyers et les écoles. Alors que nous célébrons cette Semaine mondiale dédiée à la prévention de l’intoxication au plomb, il est crucial de rappeler que l’élimination de ce poison de nos environnements domestiques et scolaires est non seulement une obligation réglementaire, mais également une nécessité pour la santé publique et le bien-être des générations futures», appuie-t-elle.

Les intoxications au plomb, un danger silencieux pour la santé des enfants et l’avenir économique

La toxicité du plomb, bien qu’elle soit rare sous forme aiguë, se manifeste principalement sous la forme d’une exposition chronique, connue sous le nom de saturnisme. Dre Naïma Rhalem, présidente de l’Amsetox, explique que cette intoxication chronique affecte plusieurs systèmes de l’organisme, avec des effets dévastateurs. Parmi les principaux impacts, on retrouve des conséquences hématologiques, telles que l’anémie. Cette dernière résulte de la perturbation de la biosynthèse de l’hème, une molécule essentielle pour le transport de l’oxygène dans le sang, en raison de l’inhibition de certaines enzymes. Le plomb diminue aussi la durée de vie des globules rouges, provoquant ainsi une toxicité membranaire directe.

«Sur le plan rénal, une exposition prolongée au plomb peut entraîner une atteinte des tubules rénaux. Si cette toxicité peut être réversible avec l’arrêt de l’exposition, elle peut évoluer vers une insuffisance rénale modérée après plusieurs décennies d’exposition. Les effets neurologiques sont également graves, surtout chez l’enfant», indique Dre Rhalem. Et d’ajouter que «le plomb altère le développement intellectuel, affectant des capacités essentielles comme la mémorisation et l’apprentissage. Chez les adultes, il peut également provoquer des paralysies partielles liées à des atteintes du système nerveux périphérique».

La présidente précise que d’autres systèmes peuvent être affectés, notamment le système cardiovasculaire, avec un risque d’hypertension artérielle, et le système digestif, avec des symptômes comme la constipation. Le plomb perturbe aussi la spermatogenèse, et il est classé par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) comme substance cancérogène probable pour l’homme (groupe 2B).

«Les effets cumulés de l’exposition au plomb sur une population, notamment chez les jeunes enfants, entraînent des conséquences sur la performance économique du pays. La réduction de l’intelligence et des capacités scolaires chez une grande partie de la population se répercute inévitablement sur le développement social et économique du pays», alerte la spécialiste.

Populations vulnérables

Dre Naïma Rhalem insiste, particulièrement, sur la vulnérabilité des femmes enceintes et des enfants de moins de 6 ans, qui absorbent plus efficacement le plomb à travers leur système gastro-intestinal comparé aux adultes. L’exposition au plomb, même à faible dose, peut entraîner des troubles neurologiques graves et irréversibles chez les jeunes enfants. Ces troubles comprennent des déficits cognitifs, une baisse du QI, des difficultés scolaires, ainsi qu’un comportement antisocial accru.

Le principal vecteur d’exposition pour les jeunes enfants provient souvent des peintures contenant du plomb, utilisées dans les habitations, les écoles ou d’autres lieux fréquentés par les enfants. L’ingestion de fragments de cette peinture reste une cause bien documentée d’intoxication.

Un autre facteur préoccupant est l’exposition involontaire des enfants via les travailleurs exposés au plomb. Ces derniers, en ramenant des particules de plomb sur leurs vêtements ou leurs mains à leur domicile, deviennent une source de contamination pour leurs familles.

Dre Naïma Rhalem : Le Maroc doit renforcer les efforts pour assurer la commercialisation de peintures sans plomb



Depuis la mise en œuvre des campagnes de sensibilisation aux dangers du plomb, notamment par l’Amsetox, avez-vous observé une évolution positive quant à l’adoption de peintures sans plomb ?


Nous avons mené des actions en collaboration avec le Centre antipoison du Maroc (CAPM), l’IPEN et le ministère de l’Industrie, afin d’éliminer le plomb des peintures et, dernièrement, avec le département du Développement durable pour contrôler les pigments (chromate de plomb) qui sont mélangés avec les peintures, et ce à travers une notification à la Convention de Rotterdam pour réguler ses échanges à travers le monde. Cependant, nous ne savons pas si la peinture au Maroc est sans plomb. Nous projetons, en collaboration avec le CAPM, entamer un plaidoyer auprès du ministère de l’Industrie pour nous assurer de la situation actuelle des peintures au Maroc. Notre but c’est de s’assurer que le contrôle des peintures au plomb se fait de façon rigoureuse et de discuter des pistes d’amélioration du contrôle.

Trouvez-vous que le gouvernement marocain est suffisamment engagé dans la lutte contre l’exposition au plomb ?

Oui le gouvernement marocain s’est engagé dans le processus de lutte contre l’exposition au plomb, en effet, en plus de la norme «Madmoune» qui interdit le plomb dans les tajines, il y a la norme relative aux peintures au plomb ; c’est la norme réglementaire marocaine (NM 03.3.318) qui limite la teneur maximale en plomb des peintures commercialisées au Maroc à 90 ppm à partir de 2020, puis la mise en place d’un Arrêté le 6 avril 2021 (Arrêté du Commerce, de l’économie verte et numérique N° 959-21) qui a rendu obligatoire l’application de la norme marocaine sus-citée, étant donné que la peinture au plomb touche à la santé humaine.

Il y a aussi le Centre antipoison et de pharmacovigilance (ministère de la Santé) qui opère une toxicovigilance quant aux cas d’intoxication au plomb à l’échelle individuelle et collective et mène des investigations approfondies autour de ces cas. Il est à noter que plusieurs cas d’exposition se produisent dans le secteur informel (recyclage clandestin des batteries) et le CAPM (parfois en collaboration avec l’Amsetox) mène soit des études soit des séances de sensibilisation ou encore il lance des alertes autour de ces cas.

Comment évaluez-vous la situation marocaine par rapport aux autres pays en développement en matière de régulation et de prévention de l’intoxication au plomb ?

Le Maroc a montré une bonne volonté pour l’élimination du plomb des peintures, il est parmi les premiers pays en Afrique dans cette action. Selon l’OMS, jusqu’au janvier 2024, quelque 48% des pays du monde ont confirmé qu’ils appliquaient des contrôles juridiquement contraignants sur la production, l’importation, la vente et l’utilisation de peintures au plomb. En Afrique, il s’agit des pays suivants : le Maroc, le Cameroun, l’Égypte, l’Éthiopie, le Kenya, l’Afrique de Sud, la Tanzanie et l’Algérie.

Le Maroc a encore beaucoup de travail à faire pour contrôler les peintures commercialisées dans le pays afin de s’assurer que seules les peintures sans plomb circulent.

Quels sont les objectifs à court et à long terme de l’Amsetox pour réduire encore davantage l’exposition au plomb au Maroc ?

Actuellement, notre objectif est de n’avoir sur le marché marocain que des peintures sans plomb pour tous les usages ; lorsque des produits de substitution existent à l’échelle internationale. Pour cela, un contrôle strict des peintures commercialisées au Maroc est indispensable.

À long terme, nous espérons que toutes les peintures au niveau des écoles soient remplacées par des peintures sans plomb afin d’avoir un environnement sain pour nos enfants. Nous allons aussi poursuivre la sensibilisation des citoyens pour exiger des peintures sans plomb et la sensibilisation aux risques du secteur informel qui utilise le plomb comme le recyclage des batteries. Nous poursuivrons également notre vigilance à tous les aspects qui peuvent nuire à la santé des citoyens aussi bien par exposition au plomb que par d’autres contaminants de l’environnement.
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