Dans le monde, près d'un milliard de personnes souffrent de troubles mentaux, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Environ 75% des individus souffrant de ces affections, qu'elles soient neurologiques ou liées à l'usage de substances psychoactives, n'ont pas accès aux soins nécessaires. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des vies, des histoires souvent marquées par le silence et l'isolement. Ces souffrances, parfois ignorées ou mal comprises, touchent plus de 17% de la population au Maroc, faisant de la santé mentale un défi immense de la santé publique.
D’après le ministère de la Santé et de la protection sociale, ces troubles constituent la première cause d'incapacité (22,3% de la charge d'incapacité) et la deuxième cause de morbidité nationale (10,52% du fardeau global des maladies), juste après les maladies cardiovasculaires (25,68%) et avant les cancers (8,02%). Pourtant, trop de personnes restent sans accès aux soins dont elles ont besoin, accentuant un fardeau déjà lourd à porter pour les individus et leurs familles. Le ministère rappelle par ailleurs, dans un communiqué publié à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale (10 octobre) que l’offre de soins en santé mentale au Maroc inclut principalement 11 hôpitaux psychiatriques et 34 services de psychiatrie intégrés dans des hôpitaux généraux, offrant ainsi 2.260 lits. Il existe également 4 établissements de réhabilitation psychosociale, avec des équipes spécialisées comprenant 1.301 infirmiers psychiatriques et 362 médecins-psychiatres répartis sur les secteurs privé et public, soit un médecin pour 100.000 habitants, alors que l’Organisation mondiale de la santé préconise un taux de couverture de 1,7 médecin pour 100.000 habitants. En 2023, ces services ont permis de prendre en charge 250.624 personnes selon une approche médico-psycho-sociale.
Face à cette situation préoccupante, plusieurs actions sont menées par le ministère. À ce titre, il prépare le lancement du Plan stratégique multisectoriel de la santé mentale 2030, élaboré en collaboration avec tous les acteurs concernés, y compris les personnes ayant une expérience vécue avec les problèmes de santé mentale.
Contacté par le journal «Le Matin», Mohamed Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste, qui a participé à l’élaboration du Plan stratégique multisectoriel de la santé mentale 2030, affirme qu’il s’agit d’une initiative ambitieuse qui vise à répondre à plusieurs des défis du secteur. Ce plan a été élaboré après près de deux ans de réflexion, impliquant d’éminents experts de divers secteurs. Ce qui le rend unique et différent des plans qui l’ont précédé, c’est son approche multisectorielle. La santé mentale ne se limite pas à un problème médical : elle est influencée par de nombreux facteurs tels que l’éducation, l’habitat, le travail, et même les politiques sociales. Ce plan est donc conçu pour aborder la santé mentale de manière globale, en impliquant plusieurs ministères et acteurs de la société civile».
Le spécialiste souligne que l’un des objectifs principaux de ce Plan est de combler les lacunes en matière d’accès aux soins. Cela inclut non seulement l’augmentation du nombre de professionnels de la santé mentale dans les régions sous-desservies, mais aussi l’amélioration de la formation de ces professionnels. Il est aussi prévu de renforcer les infrastructures, d'augmenter le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux psychiatriques et d’améliorer les services de réhabilitation psychosociale. «Nous l'attendons avec impatience, mais nous nous interrogeons sur la possibilité de son applicabilité. Il est essentiel que ce plan ne reste pas qu'un document théorique. La véritable question est de savoir comment le mettre en œuvre de manière efficace et durable sur le terrain. Il s'inscrit dans une dynamique de réforme plus large du système de santé, surtout avec l’introduction de la couverture médicale généralisée. L'idée est de rendre la santé mentale plus accessible à tous, en intégrant ces soins dans l'offre globale de santé publique», indique Pr Tyal. «Nous espérons que cette fois-ci, les objectifs seront réalisés de manière concrète, car jusque-là, malgré les efforts fournis, les précédents plans n’ont malheureusement pas atteint les résultats escomptés», poursuit-il.
Pr Hachem Tyal : La santé mentale au Maroc fait face à des défis majeurs, comme l’a souligné le ministre de la Santé lui-même. C’est le parent pauvre de notre système de santé pour de nombreuses raisons.
La stigmatisation qui entoure les troubles mentaux reste l'un des principaux obstacles. Au Maroc, les maladies mentales sont souvent perçues comme une honte ou une tare, ce qui pousse beaucoup de patients à retarder la consultation. Ils souffrent en silence, par peur d’être jugés ou exclus socialement. En effet, beaucoup de personnes ne considèrent pas les troubles mentaux comme de véritables maladies nécessitant une prise en charge médicale. Souvent, 70 à 75% des personnes affectées ne consultent pas. Ce phénomène est accentué par le manque de sensibilisation et d’information, ce qui entraîne un retard considérable dans le diagnostic et le traitement des troubles mentaux et donc une aggravation des pathologies.
L’accès aux soins est également compliqué par des facteurs financiers. De nombreux patients, surtout dans les zones rurales, n’ont pas les moyens de suivre un traitement régulier ou de se rendre dans les villes où sont concentrés les professionnels de santé mentale. Les patients qui souhaitent consulter un professionnel doivent souvent faire face à des obstacles économiques, ce qui les empêche de recevoir l'aide nécessaire en temps voulu.
Il faut aussi souligner que le retard dans la détection et la prise en charge des troubles mentaux coûte cher non seulement aux patients, mais aussi à l'État. Un diagnostic tardif engendre, en effet, des dépenses supplémentaires pour le système de santé, notamment en termes de soins plus complexes et plus longs.
En termes d'infrastructures et de ressources humaines, nous observons un déséquilibre préoccupant. Le pays dispose de moins de 400 psychiatres pour une population de plus de 37 millions de personnes, et plus de 60% de ces psychiatres sont concentrés dans les grandes villes comme Casablanca et Rabat. Cela signifie que de nombreuses régions du pays, notamment les régions rurales et enclavées, sont gravement sous-desservies en matière de soins de santé mentale.
Quelles sont les actions qui doivent être menées pour sensibiliser davantage la population aux problèmes de santé mentale et réduire la stigmatisation associée à ces troubles ?
La stigmatisation des troubles mentaux reste une des barrières les plus difficiles à surmonter. Pour changer cette perception, il faut impérativement renforcer les campagnes de sensibilisation à travers différents canaux : les médias, les écoles, les entreprises, et les associations de santé. Nous devons sans cesse rappeler le message selon lequel la santé mentale est aussi importante que la santé physique. Les maladies mentales sont réelles et traitables, et il ne faut pas en avoir honte.
Les médias jouent un rôle important dans cette mission. Souvent, les troubles mentaux sont mal représentés dans les médias ou associés à des comportements extrêmes, ce qui alimente encore plus les préjugés. Nous avons besoin d’une couverture médiatique plus équilibrée, avec des témoignages de personnes ayant surmonté leurs troubles et des experts qui peuvent expliquer les différents types de maladies mentales et les traitements disponibles. Une sensibilisation massive au sein des écoles est également essentielle. Si nous pouvons éduquer les jeunes dès leur plus jeune âge sur l'importance de la santé mentale, nous pouvons espérer réduire la stigmatisation sur le long terme.
Comment renforcer les équipes spécialisées et les ressources humaines dans le domaine de la santé mentale au Maroc ?
Il est crucial d'augmenter le nombre de psychiatres, de soignants spécialisés et de psychologues dans les institutions publiques. En psychiatrie, il faut davantage de personnel formé, car l'accompagnement des patients requiert des techniques et une présence constante. De plus, la profession de psychologue n'a toujours pas de statut au Maroc, ce qui freine leur recrutement. Nous avons également besoin d'ergothérapeutes, une spécialité quasiment inexistante dans le pays, mais essentielle pour la rééducation des patients.
Les autres professionnels de santé doivent également être mieux formés aux particularités de la santé mentale pour identifier les signes précoces des troubles mentaux et orienter les patients vers les bons spécialistes.
Quel message souhaitez-vous transmettre à la population marocaine concernant l'importance de la santé mentale ?
Il ne faut surtout pas cacher la maladie mentale. Si des signes apparaissent, il faut consulter rapidement. Les familles doivent être sensibilisées à ces troubles et soutenues pour mieux accompagner leurs proches. Nous devons croire au rétablissement des patients et leur donner la chance de retrouver une vie active et digne.
D’après le ministère de la Santé et de la protection sociale, ces troubles constituent la première cause d'incapacité (22,3% de la charge d'incapacité) et la deuxième cause de morbidité nationale (10,52% du fardeau global des maladies), juste après les maladies cardiovasculaires (25,68%) et avant les cancers (8,02%). Pourtant, trop de personnes restent sans accès aux soins dont elles ont besoin, accentuant un fardeau déjà lourd à porter pour les individus et leurs familles. Le ministère rappelle par ailleurs, dans un communiqué publié à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale (10 octobre) que l’offre de soins en santé mentale au Maroc inclut principalement 11 hôpitaux psychiatriques et 34 services de psychiatrie intégrés dans des hôpitaux généraux, offrant ainsi 2.260 lits. Il existe également 4 établissements de réhabilitation psychosociale, avec des équipes spécialisées comprenant 1.301 infirmiers psychiatriques et 362 médecins-psychiatres répartis sur les secteurs privé et public, soit un médecin pour 100.000 habitants, alors que l’Organisation mondiale de la santé préconise un taux de couverture de 1,7 médecin pour 100.000 habitants. En 2023, ces services ont permis de prendre en charge 250.624 personnes selon une approche médico-psycho-sociale.
Face à cette situation préoccupante, plusieurs actions sont menées par le ministère. À ce titre, il prépare le lancement du Plan stratégique multisectoriel de la santé mentale 2030, élaboré en collaboration avec tous les acteurs concernés, y compris les personnes ayant une expérience vécue avec les problèmes de santé mentale.
Contacté par le journal «Le Matin», Mohamed Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste, qui a participé à l’élaboration du Plan stratégique multisectoriel de la santé mentale 2030, affirme qu’il s’agit d’une initiative ambitieuse qui vise à répondre à plusieurs des défis du secteur. Ce plan a été élaboré après près de deux ans de réflexion, impliquant d’éminents experts de divers secteurs. Ce qui le rend unique et différent des plans qui l’ont précédé, c’est son approche multisectorielle. La santé mentale ne se limite pas à un problème médical : elle est influencée par de nombreux facteurs tels que l’éducation, l’habitat, le travail, et même les politiques sociales. Ce plan est donc conçu pour aborder la santé mentale de manière globale, en impliquant plusieurs ministères et acteurs de la société civile».
Le spécialiste souligne que l’un des objectifs principaux de ce Plan est de combler les lacunes en matière d’accès aux soins. Cela inclut non seulement l’augmentation du nombre de professionnels de la santé mentale dans les régions sous-desservies, mais aussi l’amélioration de la formation de ces professionnels. Il est aussi prévu de renforcer les infrastructures, d'augmenter le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux psychiatriques et d’améliorer les services de réhabilitation psychosociale. «Nous l'attendons avec impatience, mais nous nous interrogeons sur la possibilité de son applicabilité. Il est essentiel que ce plan ne reste pas qu'un document théorique. La véritable question est de savoir comment le mettre en œuvre de manière efficace et durable sur le terrain. Il s'inscrit dans une dynamique de réforme plus large du système de santé, surtout avec l’introduction de la couverture médicale généralisée. L'idée est de rendre la santé mentale plus accessible à tous, en intégrant ces soins dans l'offre globale de santé publique», indique Pr Tyal. «Nous espérons que cette fois-ci, les objectifs seront réalisés de manière concrète, car jusque-là, malgré les efforts fournis, les précédents plans n’ont malheureusement pas atteint les résultats escomptés», poursuit-il.
Une campagne de sensibilisation lancée
À l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre), le ministère de la Santé organise une campagne nationale de sensibilisation du 10 au 17 octobre 2024 qui vise à sensibiliser le public au sujet des troubles mentaux. «Cette campagne offre une occasion de sensibiliser et d’investir davantage en faveur de la santé mentale au niveau des individus et dans les milieux de vie, y compris le milieu du travail», lit-on dans le communiqué. Et d’ajouter que «cette campagne a pour objectif d’informer les citoyennes et citoyens ainsi que les professionnels de santé sur l'importance de la santé mentale. Elle sera menée en deux volets : un volet présentiel, avec des sessions d’information, des ateliers et des conférences organisés dans différentes villes pour favoriser les échanges directs avec la population, et un volet digital, qui comprendra la diffusion de contenu éducatif sur les réseaux sociaux et les plateformes du ministère. L’objectif est d’informer et de sensibiliser la population sur les problèmes de santé mentale et les possibilités de soutien».Entretien avec Pr Hachem Tyal, psychiatre et psychanalyste
Le Matin : Comment décririez-vous la situation actuelle de la santé mentale au Maroc ?Pr Hachem Tyal : La santé mentale au Maroc fait face à des défis majeurs, comme l’a souligné le ministre de la Santé lui-même. C’est le parent pauvre de notre système de santé pour de nombreuses raisons.
La stigmatisation qui entoure les troubles mentaux reste l'un des principaux obstacles. Au Maroc, les maladies mentales sont souvent perçues comme une honte ou une tare, ce qui pousse beaucoup de patients à retarder la consultation. Ils souffrent en silence, par peur d’être jugés ou exclus socialement. En effet, beaucoup de personnes ne considèrent pas les troubles mentaux comme de véritables maladies nécessitant une prise en charge médicale. Souvent, 70 à 75% des personnes affectées ne consultent pas. Ce phénomène est accentué par le manque de sensibilisation et d’information, ce qui entraîne un retard considérable dans le diagnostic et le traitement des troubles mentaux et donc une aggravation des pathologies.
L’accès aux soins est également compliqué par des facteurs financiers. De nombreux patients, surtout dans les zones rurales, n’ont pas les moyens de suivre un traitement régulier ou de se rendre dans les villes où sont concentrés les professionnels de santé mentale. Les patients qui souhaitent consulter un professionnel doivent souvent faire face à des obstacles économiques, ce qui les empêche de recevoir l'aide nécessaire en temps voulu.
Il faut aussi souligner que le retard dans la détection et la prise en charge des troubles mentaux coûte cher non seulement aux patients, mais aussi à l'État. Un diagnostic tardif engendre, en effet, des dépenses supplémentaires pour le système de santé, notamment en termes de soins plus complexes et plus longs.
En termes d'infrastructures et de ressources humaines, nous observons un déséquilibre préoccupant. Le pays dispose de moins de 400 psychiatres pour une population de plus de 37 millions de personnes, et plus de 60% de ces psychiatres sont concentrés dans les grandes villes comme Casablanca et Rabat. Cela signifie que de nombreuses régions du pays, notamment les régions rurales et enclavées, sont gravement sous-desservies en matière de soins de santé mentale.
Quelles sont les actions qui doivent être menées pour sensibiliser davantage la population aux problèmes de santé mentale et réduire la stigmatisation associée à ces troubles ?
La stigmatisation des troubles mentaux reste une des barrières les plus difficiles à surmonter. Pour changer cette perception, il faut impérativement renforcer les campagnes de sensibilisation à travers différents canaux : les médias, les écoles, les entreprises, et les associations de santé. Nous devons sans cesse rappeler le message selon lequel la santé mentale est aussi importante que la santé physique. Les maladies mentales sont réelles et traitables, et il ne faut pas en avoir honte.
Les médias jouent un rôle important dans cette mission. Souvent, les troubles mentaux sont mal représentés dans les médias ou associés à des comportements extrêmes, ce qui alimente encore plus les préjugés. Nous avons besoin d’une couverture médiatique plus équilibrée, avec des témoignages de personnes ayant surmonté leurs troubles et des experts qui peuvent expliquer les différents types de maladies mentales et les traitements disponibles. Une sensibilisation massive au sein des écoles est également essentielle. Si nous pouvons éduquer les jeunes dès leur plus jeune âge sur l'importance de la santé mentale, nous pouvons espérer réduire la stigmatisation sur le long terme.
Comment renforcer les équipes spécialisées et les ressources humaines dans le domaine de la santé mentale au Maroc ?
Il est crucial d'augmenter le nombre de psychiatres, de soignants spécialisés et de psychologues dans les institutions publiques. En psychiatrie, il faut davantage de personnel formé, car l'accompagnement des patients requiert des techniques et une présence constante. De plus, la profession de psychologue n'a toujours pas de statut au Maroc, ce qui freine leur recrutement. Nous avons également besoin d'ergothérapeutes, une spécialité quasiment inexistante dans le pays, mais essentielle pour la rééducation des patients.
Les autres professionnels de santé doivent également être mieux formés aux particularités de la santé mentale pour identifier les signes précoces des troubles mentaux et orienter les patients vers les bons spécialistes.
Quel message souhaitez-vous transmettre à la population marocaine concernant l'importance de la santé mentale ?
Il ne faut surtout pas cacher la maladie mentale. Si des signes apparaissent, il faut consulter rapidement. Les familles doivent être sensibilisées à ces troubles et soutenues pour mieux accompagner leurs proches. Nous devons croire au rétablissement des patients et leur donner la chance de retrouver une vie active et digne.