TikTok Lite : Attention au risque d’addiction
Mais tout cela n’est pas sans conséquence. Et il ne faut pas le sous-estimer. La distribution de récompenses stimule en effet la libération de dopamine ayant un effet immédiat sur l’addiction. Recevoir des récompenses génère également un sentiment de succès et renforce l’estime de soi. Pour plusieurs spécialistes de la santé, la nouvelle application encouragerait les jeunes et adolescents à passer plus de temps devant leurs écrans. Et de rappeler que cette attitude entraîne plusieurs problèmes physiques et psychologiques, notamment des maux de tête, des douleurs au cou et aux épaules, la fatigue oculaire, l’irritabilité, des problèmes de concentration et de sommeil. Pour atténuer ces effets malsains sur la santé des utilisateurs, TikTok précise qu’il faut avoir plus de 18 ans pour utiliser sa nouvelle version. De même, elle limite la durée maximale de visionnage récompensée entre 60 à 85 minutes sans oublier de proposer un système de rappel pour sa dose de connexion quotidienne.«Il faut interdire TikTok au Maroc avant l’arrivée de la nouvelle version. Non seulement elle nuit aux enfants, mais aux familles en général. Des parents sont scotchés tout au long de la journée sur leurs écrans pour voir des challenges insensés, des influenceurs danser ou se maquiller et des recettes bizarres. Cette nouvelle tendance met à mal les fondements de la famille», s’alarme un parent sur Facebook. Pour d’autres internautes, il faut surtout se concentrer sur la sensibilisation à une bonne utilisation des réseaux et des écrans.
En attendant de voir si TikTok Lite débarquera au Maroc, des députés, spécialistes de la communication, des médecins, des associations... continuent d’insister sur la nécessité de la suspension ou du moins la régulation de cette application, en raison de ses risques sur la santé et sur la vie en société.
Plus de 12 millions d’utilisateurs de TikTok au Maroc en début 2024
Selon le cabinet de conseil international Kepios, les chiffres publiés dans les ressources publicitaires de ByteDance, la maison mère de TikTok, indiquent que l’application comptait 12,41 millions d’utilisateurs âgés de 18 ans et plus au Maroc au début de 2024.«Les chiffres de ByteDance indiquent que les publicités TikTok ont atteint 47,3% de l’ensemble des adultes âgés de 18 ans et plus au Maroc au début de 2024», souligne Kepios.
Les données publiées dans les propres outils de planification publicitaire de ByteDance montrent que la portée de publicité potentielle de TikTok au Maroc a augmenté de 3,1 millions de dollars (33,8%) entre le début de 2023 et le début de 2024. Kepios précise, par ailleurs, sur son site web, que ByteDance permet aux spécialistes du marketing de cibler les publicités TikTok sur les utilisateurs âgés de 13 ans et plus via ses outils publicitaires, mais ces outils ne montrent que les données d’audience pour les utilisateurs âgés de 18 ans et plus.
Kepios souligne aussi que le Maroc comptait 21,20 millions d’utilisateurs des médias sociaux en janvier 2024.
BookTok : une tendance positive sur TikTok
Si TikTok est particulièrement connu pour ses différents challenges, la viralité de l’application est aussi utilisée pour éveiller l’intérêt des jeunes pour la lecture. La tendance BookTok réunit des amateurs de littérature partageant leurs lectures préférées via des vidéos attrayantes. Des romances aux épopées fantastiques, ils proposent des sélections en vogue et à même d’attirer les jeunes dans la sphère littéraire. Certains partagent les livres qui les ont marqués pendant leur enfance ou qui ont forgé leur personnalité, d’autres proposent des titres jeunesse... La popularité du #BookTok a littéralement explosé en 2021 et 2022. Pour leur part, les écrivains ne peuvent pas se plaindre de cette tendance. Les ventes peuvent exploser grâce aux vidéos BookTok. Des librairies ont commencé à proposer des sections réservées aux titres favoris sur TikTok. Les critiques de livres et recommandations postées par les utilisateurs aident également à toucher de nouveaux publics.Bernard Corbel, psychologue : TikTok pourrait nous rendre captifs, un peu comme un insecte pris dans une toile d’araignée
Le Matin : À votre avis, qu’est-ce qui rend TikTok addictif ?
Bernard Corbel : Il est connu que les algorithmes de TikTok, le format ultra-court d’une dizaine de secondes à 20 secondes, lui permettent de capter l’attention de l’utilisateur et de lui donner beaucoup de suggestions en retour dans le sens de ses propres préoccupations. Psychologiquement, il s’agit d’une espèce de dressage à base de conditionnement et de renforcement positif. L’ado, l’utilisateur, se retrouve piégé dans une boucle rétro-active. En outre, TikTok est utilisé en masse, il y a donc un fort effet de groupe. En restant connecté sur le même groupe, les utilisateurs sont dans un partage qui lui-même les renforce dans leurs tendances. Plus on y passe du temps et plus on devient addict.
Comment TikTok affecte-t-il notre psychologie, en particulier chez les utilisateurs dont le cerveau est encore en plein développement ?
TikTok affecte notre psychologie par le conditionnement. Grâce aux notifications qui sont des formes de rétroactions de propositions en lien avec nos propres préoccupations, cette application pourrait très bien nous rendre captifs, un peu comme un insecte pris dans une toile d’araignée. Le facteur est aggravé chez l’adolescent qui ne bénéficie pas encore, du point de vue cérébral, d’une boucle cortico-thalamique. En pratique, il est donc beaucoup plus manipulable qu’un adulte. À noter qu’on peut, en développant une addiction chez un adulte, diminuer cette boucle cortico-thalamique. La non-maturation de la boucle cortico-thalamique rend donc l’adolescent beaucoup plus vulnérable aux phénomènes de manipulation et d’addiction.
TikTok serait-il vraiment à l’origine du syndrome Gilles de la Tourette chez les ados ?
Il me semble, en effet, que des études se soient penchées sur la question. Mais si on me demande mon avis personnel, je dirais plutôt que les personnes qui ont une velléité de développer ce genre de symptômes et étant exposées à un réseau comme TikTok voient augmenter considérablement la probabilité de tics et de réaction du système nerveux. À mon avis, toute sur-utilisation de l’écran est nuisible à certaines organisations cérébrales à faible résistance. TikTok augmente la consommation et la variation très rapide des thèmes proposés est également en cause. L’absorption du cerveau derrière un écran conduit progressivement à la démolition de certains réseaux de neurones qui autrement permettrait davantage le contrôle des différents «bruits de fond».
Avis du professeur universitaire – spécialiste en sociologie de la communication et des médias, Hassan Baha : Les réseaux sociaux, TikTok en particulier, agissent comme des miroirs reflétant notre société
Que pensez-vous des trend TikTok comme «J’accepte et mon cœur reste ouvert» qui consistent à se faire des reproches filmés en ping-pong ?
Hassan Baha : «J’accepte et mon cœur reste ouvert» est une formule qui résume que j’accepte un feed-back négatif à mon sujet et que je suis prêt à le recevoir constructivement. En soi, l’idée est intéressante en particulier dans une dynamique de couple ou de personnes deux à deux.
Toutefois, même si le principe est beau, quand il tourne en boucle et devient obsessionnel, on assiste éventuellement à un effondrement des défenses. Comme tout cela est filmé on en arrive aussi à se trouver en posture d’infériorité grave et peut-être à se mésestimer de façon toxique. Donc nous retiendrons que la formule en elle-même est intéressante en tant que processus de feed-back, mais qu’elle peut être toxique quand elle est répétitive à outrance, obsessionnelle, filmée et communiquée à la communauté. Elle pourrait se transformer en châtiment collectif.
Comment à votre avis peut-on choisir les bons côtés de TikTok ? L’interdiction serait-elle la solution pour arrêter les effets négatifs de ce média ?
L’application limite le temps d’utilisation pour les personnes de moins de 18 ans à 60 minutes par jour. On peut aussi diminuer ce temps à 40 minutes dans les paramètres de l’application. Ce qui n’est déjà pas si mal. Le problème est qu’il faut vivre les nouvelles technologies avec leur intérêt par exemple de construction d’une communauté, d’une plateforme de partage d’idées.