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Les Marocains et la politique dans «De choses et d’autres» avec la sociologue Khadija Berady

Khadija Berady est sociologue, enseignante universitaire et animatrice d’ateliers de sensibilisation aux droits humains. Dans le dernier épisode de l’émission «De choses et d’autres», elle s’est penchée sur un sujet qui traverse les générations : la conscience politique des Marocains et les mécanismes à travers lesquels elle s’exprime.

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Khadija Berady a commencé par établir un constat global. Sur le plan international, les générations X et Y avaient une perception des droits différente, centrée sur les droits collectifs – civils et économiques –, et défendue à travers des mécanismes de plaidoyer structurés autour d’institutions pyramidales comme les partis politiques ou les syndicats, où «un leader négocie au nom de la base». Avec l’arrivée de la génération Z, les choses ont changé. Les priorités portent désormais sur les libertés individuelles, les questions identitaires et la justice sociale. Cette génération adopte une approche décentralisée du militantisme, rejetant la médiation traditionnelle et utilisant les réseaux sociaux comme moyen d’expression privilégié. Leur action repose sur une horizontalité assumée, une immédiateté revendiquée et un référentiel universel qui traverse les frontières.

La société liquide

Dans le cas spécifique du Maroc, comprendre cette évolution exige de revenir sur l’histoire récente des mobilisations. «Des années 1960 à 1990, les protestations étaient majoritairement politiques, menées par les partis et les syndicats à travers des grèves sectorielles et des mouvements universitaires», explique la sociologue. À partir des années 1990, ce sont les militants (défenseurs des droits humains, militants amazighs, associations islamiques ou diplômés chômeurs) qui prennent le relais, «introduisant une nouvelle monnaie militante, rejetant en bloc la bureaucratie institutionnelle et installant la rue comme nouveau centre de gravité», étaye la sociologue. Les années 2000 voient s’installer des protestations centrées sur les politiques publiques, marquant une transition vers des revendications sociales portées par des groupes hétérogènes. Cette dynamique conduira au mouvement du 20 février, moment où s’affirme pleinement l’organisation digitale et la revendication en ligne. Aujourd’hui, selon Berady, la lecture de la conscience politique de la génération Z doit passer par le concept sociologique de «légitimité de performance», c’est-à-dire «la performance des politiques publiques comme source principale de légitimité. Pour moi, c’est le cœur de la politique», souligne-t-elle. Cette transformation s’inscrit dans un contexte où les cadres référentiels traditionnels de la formation de la conscience politique (école, syndicats, partis, médias, religion) cèdent la place à des repères universels, globalisés, plus proches des aspirations des jeunes. «Cela correspond, en sociologie, au concept de “société liquide” qui, contrairement à la société solide, est traversée par des transformations radicales des valeurs, du rapport à l’autorité et des dynamiques sociales», explique Berady. Ceci étant dit, la sociologue souligne que la conscience politique n’est pas homogène, car la jeunesse elle-même ne l’est pas. Cette dernière est constituée de plusieurs composantes aux aspirations totalement différentes.

Du virtuel au réel

À la question du rôle du digital dans la revendication sociale et politique, depuis Facebook et X (ex-Twitter), utilisés massivement, jusqu’aux plateformes inhabituelles comme Discord, Khadija Berady apporte une nuance : les technologies ne sont qu’un outil parmi d’autres. «La technologie a toujours servi les mouvements contestataires. Déjà, dès l’apparition de l’imprimerie de Gutenberg, l’impression a été utilisée pour contrer la suprématie de l’Église. Les plateformes sont un outil de communication et de mobilisation, pas plus», rappelle-t-elle.

L’engagement partisan de la jeunesse actuelle pose une véritable interrogation. Selon Khadija Berady, plusieurs données récemment publiées confirment l’ampleur de la crise de confiance politique chez les jeunes. «Le Baromètre arabe 2024 indique que plus de 40% d’entre eux déclarent ne plus croire en l’action politique. Du côté de la participation électorale, le rapport 2025 de la Fondation Friedrich Naumann montre que seuls 24% des jeunes se rendent aux urnes, tandis que 35% auraient pris part à des manifestations ou à des sit-in au cours des dix dernières années. Selon les chiffres du Haut-Commissariat au Plan (HCP), à peine 13% des jeunes sont membres d’un parti politique», énumère Khadija Berady, pour qui ces données illustrent l’absence d’enthousiasme envers les structures partisanes, renforcée par un certain «monopole» des représentants politiques qui limite l’accès des jeunes aux espaces de décision. Selon elle, un engagement renouvelé serait possible si les partis politiques réformaient leur organisation, dépassant le discours polarisé gauche-droite et adoptant une manière de communiquer plus proche de la spontanéité, du pragmatisme et de l’immédiateté propres aux jeunes de la génération actuelle. Pour Khadija Berady, la responsabilité n’incombe pas uniquement au politique. C’est aussi le rôle de l’enseignant, de l’acteur associatif et de la famille. Mais l’État demeure le premier acteur à même de rassurer la jeunesse et de lui rendre confiance en la politique.
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