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Médecine traditionnelle et IA : un duo innovant pour améliorer l'accès aux soins au Maroc

Et si la médecine traditionnelle entrait dans une nouvelle ère technologique ? Pour l’OMS, le moment est venu d’engager cette transition. Dans un récent rapport, l’Organisation plaide pour une intégration progressive de l’intelligence artificielle dans ces pratiques ancestrales. Un chantier stratégique pour le Maroc, où les plantes médicinales et les savoirs hérités des guérisseurs restent au cœur du parcours de soins pour une large partie de la population.

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Longtemps transmise de bouche à oreille, la médecine traditionnelle continue de soigner des millions de Marocains. Entre remèdes à base de plantes et savoir-faire ancestral, elle reste aujourd’hui bien plus qu’une simple alternative : dans certaines régions, elle constitue encore le premier recours face à la maladie. Mais si cette pratique est enracinée dans la culture marocaine, elle pourrait bien entrer dans une nouvelle ère. L’intelligence artificielle, en plein essor dans le domaine de la santé, s’invite désormais dans cet univers séculaire.

Et si les technologies de pointe pouvaient moderniser, sécuriser et valoriser les savoirs traditionnels ? C’est en tout cas ce que préconise l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans un Rapport publié le 11 juillet dernier. Ce document, élaboré en partenariat avec l’Union internationale des télécommunications (UIT) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), dessine une Feuille de route visant à exploiter le potentiel de l’IA pour améliorer les systèmes de soins traditionnels, tout en respectant la souveraineté des données et la richesse du patrimoine culturel.

Des milliards de patients concernés

Intitulé «Mapping the application of artificial intelligence in traditional medicine : technical brief», le Rapport souligne que la médecine traditionnelle, complémentaire et intégrative (MTCI) est aujourd’hui pratiquée dans 170 pays et utilisée par des milliards de personnes. En Afrique, l’OMS estime que près de 80% de la population ont recours à ces traitements. Les usages de l’IA se multiplient : des outils de diagnostic en médecine ayurvédique aux modèles d’apprentissage automatique identifiant des plantes médicinales, en passant par l’analyse des composés thérapeutiques en République de Corée.

Face à cette dynamique mondiale, le Dʳ Tayeb Hamdi insiste sur l’importance d’intégrer les technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle, dans le développement de la médecine traditionnelle au Maroc. Selon lui, cette convergence entre savoir ancestral et innovation technologique n’est plus une option : c’est une évolution nécessaire.

«Allier intelligence artificielle et médecine traditionnelle n’est pas simplement un projet d’avenir : c’est une orientation stratégique déjà soutenue par l’OMS et sur laquelle de nombreux chercheurs travaillent depuis des années», explique-t-il. Si cette question est aujourd’hui essentielle, c’est parce que les médecines traditionnelles connaissent un regain d’intérêt mondial. «Dans de nombreux pays, on constate une augmentation significative du recours aux médecines dites traditionnelles ou complémentaires, que ce soit à des fins préventives, thérapeutiques ou même en accompagnement des traitements classiques. Cette tendance traduit une volonté des patients de revenir vers des pratiques plus naturelles, mais aussi une réponse aux limites rencontrées par les systèmes de santé modernes.»

Un savoir ancestral prêt à basculer dans l’ère numérique au Maroc

Pour le Maroc, le constat est similaire à celui observé dans de nombreux pays du Sud. «Notre pays possède un véritable patrimoine en matière de médecine traditionnelle. Cet héritage se traduit non seulement par des pratiques transmises depuis des générations, mais aussi par une incroyable diversité botanique : le Maroc dispose d’une richesse en plantes médicinales qui constitue un levier stratégique. À cela s’ajoute un savoir-faire empirique très développé. Nous avons donc tous les atouts pour faire évoluer cette médecine, à condition de la structurer, de la sécuriser et de l’enrichir grâce aux technologies innovantes comme l’intelligence artificielle».

Pour le Dʳ Hamdi, l’apport de l’IA peut transformer la médecine traditionnelle sur plusieurs plans. «D’abord, en facilitant l’apprentissage et la capitalisation des savoirs. Là où les guérisseurs travaillent généralement de manière isolée, avec des expériences limitées à leur propre patientèle, l’IA permet de mutualiser, cartographier et analyser ces pratiques dispersées. Elle transforme ainsi l’expérience individuelle en une expertise collective, documentée et évaluée.» Mais ce n’est pas tout. «L’intelligence artificielle peut aussi accélérer la recherche scientifique. Grâce à ses capacités d’analyse, elle peut prédire l’efficacité potentielle d’une plante médicinale ou d’un composé, en s’appuyant sur l’apprentissage automatique et la modélisation des interactions moléculaires. Cela ouvre la voie à la découverte plus rapide de traitements sûrs et efficaces, issus de notre pharmacopée traditionnelle.»

Sauver les savoirs oubliés grâce aux technologies

Enfin, l’IA offre un levier essentiel dans la valorisation et la préservation du savoir traditionnel. «Elle peut compiler et exploiter des volumes importants de données : textes anciens, récits oraux, entretiens avec les guérisseurs... autant d’informations que l’IA peut analyser, organiser et transformer en bases de données fiables et consultables. Ce processus de digitalisation permet non seulement de préserver ce patrimoine immatériel, mais aussi de le valoriser dans des cadres scientifiques et médicaux rigoureux».

Pour le Dʳ Tayeb Hamdi, cette alliance entre tradition et innovation pourrait véritablement repositionner la médecine traditionnelle comme un pilier de la santé publique, en particulier dans les zones où elle constitue parfois la seule réponse accessible aux besoins des populations.

Protéger le savoir ancestral et encadrer l’IA : l’appel à l’action de l’OMS

Face aux enjeux éthiques et au risque de biopiraterie, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lance un appel clair : intégrer l’intelligence artificielle dans la médecine traditionnelle, oui, mais de manière encadrée, responsable et respectueuse des savoirs ancestraux.

L’OMS rappelle ainsi que, si l’intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives pour renforcer la Médecine traditionnelle, complémentaire et intégrative (MTCI), cette modernisation ne doit pas se faire au détriment de la souveraineté des données autochtones ni de la protection du patrimoine culturel.

Alors que le marché mondial de la MTCI devrait approcher les 600 milliards de dollars en 2025, l’Organisation souligne l’urgence de développer des cadres adaptés pour encadrer l’usage de l’IA dans ce secteur. La note technique appelle ainsi l’ensemble des gouvernements, des institutions et des acteurs de la santé à :

• Investir dans des écosystèmes d’IA inclusifs, qui respectent la diversité culturelle et garantissent la souveraineté des données autochtones.

• Mettre en place des politiques nationales et des cadres juridiques intégrant spécifiquement la question de l’intelligence artificielle appliquée à la médecine traditionnelle.

• Renforcer les compétences numériques des praticiens et des communautés utilisant la médecine traditionnelle, afin de leur permettre de tirer pleinement profit des technologies innovantes.

• Établir des normes internationales pour garantir la qualité des données, l’interopérabilité des systèmes et l’utilisation éthique des outils d’IA.

• Protéger les connaissances traditionnelles grâce à des bases de données numériques sécurisées, alimentées par l’IA, et des mécanismes équitables de partage des bénéfices.

L’objectif est clair : concilier la puissance de l’innovation technologique avec le respect et la valorisation des médecines anciennes, afin de bâtir un avenir plus juste, plus sûr et plus accessible pour tous les systèmes de santé.
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