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Pénurie de psychotropes : un enfer pour les malades et pour le système de prise en charge psychiatrique

La pénurie de médicaments touche plusieurs spécialités, y compris les psychotropes, indispensables pour traiter les troubles psychiatriques. Des patients et des familles, ayant contacté «Le Matin», font part de leur désarroi face à l’absence de ces remèdes vitaux. Pis encore, les urgences psychiatriques ne sont pas épargnées, d’où la forte menace qui plane sur les malades qui sont ainsi exposés à des complications graves (comportement violent, suicide...). Quant à leurs proches, leur angoisse incommensurable n’a d’égale que leur impuissance. Les psychiatres, eux, tirent la sonnette d’alarme et appellent à une intervention rapide des autorités sanitaires pour assurer un approvisionnement normal en psychotropes.

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La pénurie de médicaments semble s’installer dans la durée, affectant patients et professionnels de santé. Après avoir consacré un article aux ruptures de stock de certains médicaments liés à la cardiologie, l’oncologie ou encore la pédiatrie, «Le Matin» a reçu un grand nombre d’appels évoquant une grave pénurie de médicaments destinés au traitement des troubles mentaux. Les témoignages poignants de patients et de leurs familles en détresse traduisaient tous un sentiment de colère, d’incompréhension et d’impuissance. Malika, une maman cinquantenaire, n’a pas de mots pour décrire sa peine. Son fils, atteint de schizophrénie, est privé du fluphénazine depuis plusieurs semaines, plongeant la famille dans une spirale de souffrance et d’angoisse. «Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit depuis des semaines, je suis détruite. Mon mari nous a quittés, car il n’arrivait plus à supporter la situation», confie-t-elle, la voix chevrotante. En l’absence du traitement adéquat, son fils devient de plus en plus agressif et se renferme sur lui-même, plongé dans une souffrance qu’il ne parvient plus à contrôler. Ce que Malika craint par-dessus tout, c’est qu’il quitte la maison, et qu’elle perde sa trace. Mais elle affirme qu’elle ne lui en veut pas, car elle sait qu’il est malade et qu’il a besoin d’être pris en charge. Mais malheureusement, «il ne peut pas être interné à l’hôpital psychiatrique», regrette-t-elle. Le cas de Malika n’est certainement pas isolé. Des centaines de familles vivent le même calvaire, en l’absence des médicaments nécessaires.

Les médicaments psychotropes en rupture de stock selon Dr Tyal

La pénurie de psychotropes représente donc à l’évidence une préoccupation majeure pour les patients, leurs familles et les professionnels de santé au Maroc. «Le Matin» a essayé d’obtenir plus informations sur ce problème auprès du ministère de la Santé et de la protection sociale, mais à l’heure où cet article est mis sous presse, aucune réponse ne lui a été fournie. Le journal a pris contact avec des pharmacies et des laboratoires pour comprendre les raisons de cette pénurie, mais sans résultats non plus. Mais c’est auprès du Dr Hachem Tyal, psychiatre-psychanalyste, président du Syndicat marocain des psychiatres d’exercice privé et de la Fédération nationale pour la santé mentale, que «Le Matin» a pu se faire une idée précise de l’ampleur de la pénurie.



Le Dr Tyal a non seulement confirmé la pénurie, mais il s’est aussi alarmé de son ampleur sur le marché. Selon lui, cette pénurie affecte gravement la prise en charge des patients en psychiatrie, en particulier dans le traitement des troubles psychotiques chroniques, tels que la schizophrénie, la maladie bipolaire et certains troubles graves du comportement. Il a mentionné notamment l’absence de la fluphénazine, commercialisée sous le nom Modécate. Le Dr Tyal a confirmé que ce médicament était en rupture de stock, de même que son équivalent en termes d’indications thérapeutiques et d’efficacité, la pipothiazine, connue surtout sous son nom commercial, le Piportil retard. «Ces médicaments injectables étaient des alliés précieux pour stabiliser les patients souffrant de schizophrénie ou de troubles graves du comportement, notamment en réduisant l’agressivité et en prévenant les rechutes délirantes», a expliqué le Dr Tyal, précisant que l’administration espacée de ces traitements, toutes les deux à quatre semaines, permettait un contrôle efficace de ces maladies mentales, avec une compliance inégalable et donc une stabilisation durable à faible coût pour les patients. En plus des médicaments cités plus haut, plusieurs autres médicaments essentiels sont également introuvables. le Dr Tyal a accepté de partager avec «Le Matin» une liste détaillée des remèdes manquants. Il s’agit de :

• Le lithium, stabilisateur de l’humeur, crucial dans le traitement des troubles bipolaires et pour prévenir les rechutes de la maladie.

• La clozapine (nom commercial Leponex) : antipsychotique très important pour traiter les schizophrénies qui ne répondent pas aux thérapeutiques habituelles ou bien pour les patients qui ne tolèrent pas ces médicaments.

• La clomipramine injectable (nom commercial Anafranil injectable 25 mg) : antidépresseur injectable, particulièrement utile pour les patients ayant des difficultés à prendre des médicaments par voie orale.

• L’amisulpride injectable (nom commercial Dogmatil) : antipsychotique injectable pour traiter les troubles psychotiques et gérer les urgences psychiatriques avec agitation.

• La ziprasidone injectable (nom commercial Zeldox) : antipsychotique injectable pour gérer les états d’agitation et les crises psychotiques.

• La mirtazapine (nom commercial Remeron) : antidépresseur, également efficace pour traiter les troubles du sommeil importants dans le cadre d’une maladie dépressive sévère.

C’est dire à quel point il est urgent de remédier à cette situation en assurant un approvisionnement normal en médicaments psychotropes. Il y va de la santé de beaucoup de malade, mais aussi du bon fonctionnement de tout le système de prise en charge psychiatrique. À cet égard, Le Dr Mohamed Hachem Tyal insiste sur la nécessité d’une collaboration renforcée avec les autorités sanitaires et les laboratoires pharmaceutiques. Selon lui, cette coopération est indispensable pour assurer une disponibilité continue des médicaments psychotropes, permettant ainsi d’offrir aux patients une prise en charge stable et régulière. Le président du Syndicat marocain des psychiatres d’exercice privé et de la Fédération nationale pour la santé mentale plaide par ailleurs pour l’introduction de médicaments n’ayant pas encore obtenu une autorisation de mise sur le marché marocain.

Ouvrir la voie à l'importation, une option à envisager

Outre cette liste de médicaments, il existe d’autres produits que le Dr Tyal estime très utiles pour le traitement de certains troubles psychiatriques graves, mais qui n’ont pas encore obtenu une autorisation de mise sur le marché marocain, privant ainsi les psychiatres de médicaments importants pour traiter leurs patients. Parmi ces médicaments, on trouve :

L’oxazépam (nom commercial Seresta) : anxiolytique pour traiter l’anxiété et les troubles du sommeil sévères.

• La lurazidone (nom commercial Trileptal) : antipsychotique utilisé dans le traitement des troubles schizophréniques et bipolaires, surtout avec agitation.

• La loxapine injectable (nom commercial Loxapac) : antipsychotique injectable pour traiter les troubles psychotiques aigus.

L’olanzapine injectable (nom commercial Ranozyp) : antipsychotique injectable utilisé pour traiter la schizophrénie et les troubles bipolaires.

• La cyamemazine injectable, gouttes et comprimés (nom commercial Tercian) : antipsychotique utilisé pour traiter les troubles comportementaux et l’anxiété sévère.

• Le méthylphénidate (nom commercial Ritaline, Concerta) : médicament stimulant pour traiter le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) de l’enfant. C’est un médicament salutaire pour l’avenir des enfants souffrant de ce trouble, leur absence compromettant gravement leur scolarité et la construction de leur personnalité.

• La succinylcholine : médicament utilisé en électroconvulsivothérapie (ECT) pour détendre les muscles et éviter les fractures pendant le traitement. L’absence de ce produit fait prendre un grand risque aux patients qui font leur sismothérapie sans celui-ci, en raison du risque de fractures vertébrales parfois graves.

L’impact multidimensionnel de la pénurie des psychotropes

Il va sans dire que la pénurie de médicaments psychotropes au Maroc a des répercussions dramatiques, qui peuvent être classées en trois catégories majeures, selon les explications du Dr Tyal. Ces impacts sont d’une gravité telle qu’ils menacent non seulement la santé mentale des patients, mais aussi la stabilité de tout le système de soins psychiatriques du pays.

• L’impact dévastateur sur les patients et leurs familles: La pénurie de médicaments essentiels entraîne des conséquences dramatiques pour les patients. Sans traitement adéquat, ceux souffrant de schizophrénie, de troubles bipolaires ou d’autres troubles mentaux graves se voient confrontés à un retour brutal de leurs symptômes. Les crises maniaques, dépressives ou psychotiques réapparaissent, souvent de manière exacerbée et imprévisible. Cela plonge les patients mais aussi leurs familles dans une souffrance insupportable, où ils peuvent devenir violents, suicidaires ou totalement désorientés. Les familles, déjà éprouvées par la maladie, se retrouvent face à un fardeau insurmontable. Les proches sont dès lors confrontés à des situations de crise quotidienne, avec des comportements imprévisibles et des risques accrus de danger pour eux-mêmes ou pour les autres. Le stress, la peur et la culpabilité rongent les familles qui n’ont plus de solutions.

• L’aggravation de la situation dans les hôpitaux psychiatriques et les services d’urgence : les hôpitaux psychiatriques se retrouvent submergés, incapables de faire face à l’afflux de patients en détresse, situation aggravée par la rupture de stocks de médicaments injectables. Ces traitements étaient essentiels pour gérer les états d’agitation sévère et contrôler les crises psychotiques, en permettant aux patients de retrouver une certaine stabilité dans leurs comportements. La disparition de médicaments comme la fluphénazine ou la pipothiazine a des conséquences dramatiques, car elle retarde la stabilisation des patients et prolonge leur hospitalisation. Cela a pour effet direct d’augmenter les coûts, de saturer les services d’urgence et de mettre en danger la sécurité des patients et des soignants. La prise en charge devient plus complexe, avec des risques accrus de rechutes fréquentes.

• L’exposition accrue aux comportements à risque et aux dépendances : le manque de traitements réguliers et efficaces crée un vide dangereux pour les patients déjà fragilisés par leurs troubles mentaux. Dans ce vide, certains se tournent vers des substances illicites dans un désespoir croissant, cherchant à échapper à leur souffrance psychologique ou à gérer leurs symptômes. Cette dérive vers les drogues est particulièrement dangereuse, car elle aggrave l’instabilité des patients, les rendant plus vulnérables aux comportements autodestructeurs, à la dépendance et aux risques de surdose. La situation devient un cercle vicieux ingérable : l’absence de traitement les rend plus enclins à des comportements à risque, et ces comportements, à leur tour, exacerbent les troubles mentaux. Cela crée une spirale de dégradation qui compromet définitivement l’avenir de nombreux patients.

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