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Préparation aux concours post-bac : un «business» lucratif qui fausse l’égalité des chances ?

Pas de répit pour les bacheliers ! À peine les résultats du baccalauréat ont-ils été publiés qu’une autre course s'engage, celle des concours d’accès aux filières dites «d’excellence» : médecine, gestion, ingénierie, architecture. Et dans cette nouvelle bataille, l’argent joue un rôle déterminant. Car aujourd’hui, la réussite se prépare… et se monnaye. Cours particuliers, stages intensifs, plateformes spécialisées : les prix grimpe vite, atteignant des centaines, parfois des milliers de dirhams. Un investissement que tout le monde ne peut pas se permettre et qui favorise du coup les plus nantis.

À Salé, M. Saïd, père de trois enfants regarde sa fille avec une fierté immense. Elle vient d’obtenir une moyenne remarquable : 18,12 au baccalauréat scientifique. Mais la fierté amplement méritée de ce chef de famille est toutefois entamée par un vague sentiment d’inquiétude. La jeune et ambitieuse lauréate aura-t-elle les moyens de concrétiser ses rêves ? Dans ce foyer modeste, la joie de la réussite scolaire a vite été troublée par la réalité amère : le concours d’accès aux études de médecine doit se préparer et cette préparation coûte cher ! L’échéance approche, et malgré son excellent dossier, la bachelière doit être au top niveau. «La concurrence est rude, alors on fait tout notre possible pour l’aider à se préparer comme les autres», confie M. Saïd. Pour accompagner sa fille, la famille a débloqué pas moins de 6.000 dirhams : cours particuliers, plateformes en ligne, frais de déplacement vers des centres spécialisés. Pour cette famille, cette rondelette somme n’est pas rien, c’est presque l’équivalent du salaire d’un mois. Mais les parents ont dû se débrouiller. «Ce n’est pas un budget qu’on avait anticipé», ajoute-t-il, résigné.
Comme Said, des milliers de familles marocaines se mobilisent chaque été pour maximiser les chances d’accès de leurs enfants aux filières les plus sélectives : médecine, pharmacie, ingénierie, architecture, commerce, ou encore l’Université Mohammed VI Polytechnique. Pour beaucoup, la préparation privée est désormais vécue comme un passage obligé, voire une nouvelle épreuve dans le processus de scolarité. Pour répondre à ce besoin nouveau, les offres pullulent sur le marché : centres spécialisés, cours particuliers à domicile, stages intensifs en ligne ou en présentiel... les élèves n’ont que l’embarras du choix, sauf que ce choix a un coût que les parents se résignent à assumer, à leur corps défendant.

Un marché en pleine expansion

Les prix pratiqués varient considérablement selon le type de préparation choisi, la spécialité visée, mais aussi selon les villes. D’après l’enquête que nous avons menée, il s’est avéré que ce «business» brasse des mille et des cents. Ainsi :

• Les cours particuliers individuels représentent l’option la plus coûteuse. Très prisés pour les concours de médecine ou d’architecture, ils sont souvent assurés par des enseignants expérimentés, à domicile ou en ligne. Les tarifs démarrent à 200 dirhams de l’heure, mais peuvent atteindre jusqu’à 333 dirhams en moyenne. Pour un rythme intensif – deux heures par jour, cinq jours par semaine – les frais peuvent atteindre 9.990 dirhams sur 15 jours, et jusqu’à 19.980 dirhams sur un mois.

• Les cours en groupe offrent une alternative plus abordable. Organisés dans des centres privés à Casablanca, Rabat ou Marrakech, ils réunissent généralement entre 15 et 25 élèves (parfois, les élèves se retrouvent condensés dans une classe de 40 personnes). À Casablanca, une heure de cours coûte entre 167 et 230 dirhams. À Rabat, les prix oscillent entre 150 et 180 dirhams de l’heure, tandis qu’à Marrakech, ils varient de 150 à 200 dirhams. Pour un rythme intensif – deux heures par jour pendant quinze jours – le coût total peut atteindre entre 4.500 et 6.900 dirhams selon la ville et le centre choisis. Les parents sont tenus dans la majorité des cas de régler d'une seule traite les frais sur une base mensuelle.

• Par ailleurs, les plateformes en ligne gagnent du terrain, surtout dans les régions où l’offre présentielle reste limitée. Ces solutions numériques – modules vidéo, classes virtuelles, stages intensifs – sont généralement proposées sous forme d’abonnements mensuels, avec des tarifs peuvant dépasser dans certains cas les 600 dirhams par mois selon le nombre d’heures et le format.

Il est clair que ces tarifs ne sont pas à la portée de la majorité des familles, déjà fortement éprouvées par le renchérissement du coût de la vie. Mais, les choses se compliquent, même pour celles ayant une certaine aisance financière, quand elles ont plus d’un enfant à faire accompagner. Par exemple, si un parent doit financer à la fois des cours particuliers pour un enfant qui vise la médecine et des cours en groupe pour un second intéressé par une école d’ingénieurs, la facture peut vite devenir exorbitante. Un mois de préparation intensive pour les deux enfants peut coûter jusqu’à 24.480 : environ 19.980 dirhams pour les cours particuliers (basés sur un rythme de deux heures par jour, cinq jours par semaine, à un tarif moyen de 333 dirhams/heure) et 4,500 pour les cours en groupe à Casablanca. Ce montant représente 8 fois le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qui est actuellement 3.045 Maroc. Pour beaucoup de familles, notamment de classe moyenne ou modeste, ces dépenses sont tout simplement impossibles à engager. Pourtant, certains parents acceptent de se saigner aux quatre veines pour mettre toutes les chances du côté de leur progéniture, quitte à contracter des crédits.

Une fracture éducative qui se creuse

Il faut dire que malgré leurs coûts souvent prohibitifs, les cours de préparation privés se sont progressivement imposés comme une étape quasi incontournable avant les concours post-bac au Maroc. Ce phénomène, observé à l’échelle nationale, s’explique par la combinaison de plusieurs facteurs ayant trait à la fois à la performance pédagogique des établissements d’enseignement et à la nature de la relation que les parents entretiennent avec leurs enfants ou encore aux ambitions de plus en plus grandes affichées par les familles s’agissant de l’avenir de leur progéniture (voir encadré).

Quoi qu’il en soit, le développement rapide du marché des cours de soutien intensifs soulève indirectement le problème de l’égalité des chances face au défi du succès scolaire. Pour beaucoup de familles, la réussite dépend désormais autant du mérite et de l’effort que des moyens financiers. «Même avec une bonne moyenne, un élève qui n’a pas la possibilité de s’offrir ces cours risque d’être éliminé face à d’autres mieux encadrés et mieux préparés», affirme Ali, père de famille, pour qui la situation s’apparente clairement à une «discrimination qui ne dit pas son nom».

Vers une «inégalité organisée» !

Ce constat à l'emporte-pièce est pourtant partagé par le spécialiste en sociologie de la communication et des médias, professeur universitaire, Hassan Baha, qui évoque une «inégalité organisée». Selon lui, ce système installe une barrière invisible qui se dresse devant les moins nantis. Le spécialiste attire également l’attention sur le fait que cette réalité est encore plus flagrante dans les régions rurales ou défavorisées, où l’accès aux structures de préparation demeure quasi inexistant. Dans ces zones, les élèves doivent se contenter de leurs cours ordinaires, souvent sans outils méthodologiques, sans soutien individualisé et sans les clés pour faire face à des concours de haut niveau. Pour Hassan Baha, cette fracture territoriale constitue une forme d’exclusion invisible, mais bien réelle.
Par ailleurs, le spécialiste note qu’au-delà des disparités sociales ou géographiques, ce recours massif à la préparation privée révèle surtout une crise de confiance envers l’école publique. Sur ce volet, Hassan Baha affirme que dans un pays où l’éducation est censée être gratuite et équitable, cette dépendance croissante aux solutions payantes pose une question de fond : l’école publique prépare-t-elle encore efficacement les élèves à franchir les étapes décisives de l’orientation ? Et si ce n’est plus le cas, alors à quoi sert-elle vraiment ? s’interroge notre interlocuteur.

Quelles pistes pour rétablir l’équité ?

Qu’on le veuille ou non, ces établissements privés de soutien existent et on ne peut pas contester leur «légalité» et encore moins leur utilité. En revanche, il est possible d’agir sur un certain nombre de leviers pour «réparer les injustices et offrir plus de chances aux plus défavorisés». Pour ce faire, le spécialiste en sociologie Hassan Baha propose notamment :

• D’encadrer le marché des cours privés pour garantir un minimum de qualité, éviter les dérives commerciales et protéger les familles contre les excès. Une accréditation officielle des centres de préparation pourrait permettre d’assainir le secteur.

• De réduire les inégalités territoriales en développant des plateformes en ligne gratuites, en créant des centres régionaux de préparation publique et en organisant des stages subventionnés dans les lycées des zones défavorisées.

• D'accompagner les familles en les aidant à adopter une approche plus équilibrée. Il est essentiel de sortir du culte exclusif des filières dites «nobles» et de valoriser la diversité des parcours, y compris les formations techniques ou universitaires de qualité.

• De redonner à l’élève un rôle actif dans son orientation. Plutôt que de subir les choix familiaux ou les logiques du marché, il doit pouvoir construire son propre projet, avec des outils adaptés : gestion du stress, autonomie, exploration de ses intérêts, etc.

• De renforcer l’école publique pour la rendre capable de préparer, à elle seule, les élèves aux concours. Cela implique de revoir les programmes, d’intégrer des modules de logique, d’oral et de résolution de problèmes, et de former les enseignants en conséquence.

Pourquoi les cours de préparation privés ont-ils le vent en poupe ?

Malgré leurs coûts exorbitants, les cours de préparation privés se sont progressivement imposés comme une étape quasi incontournable avant les concours post-bac au Maroc. Ce phénomène s’explique par plusieurs facteurs. Il s’agit notamment :

• Du décalage entre le programme scolaire et les exigences des concours : si le lycée dispense un savoir général, les épreuves d’admission aux grandes écoles requièrent des compétences plus techniques, notamment la maîtrise des raisonnements logiques, la rapidité d’exécution et la capacité à résoudre des problèmes inédits. Ces exigences dépassent largement le cadre des cours ordinaires, laissant de nombreux élèves insuffisamment préparés.

• De la pression croissante liée au nombre de place par rapport à l’effectif des candidats : chaque année, le nombre de bacheliers augmente, alors que les capacités d’accueil dans les filières sélectives – médecine, ingénierie, architecture ou commerce – évoluent peu. Cette stagnation crée une tension compétitive très forte, incitant les familles à investir dans des préparations spécialisées pour donner à leurs enfants un avantage qui pourrait s’avérer déterminant. Mais ce que certains considèrent comme une forme de concurrence légitime se transforme en réalité en un filtre qui réduit les chances des élèves issus des milieux modestes, quand bien même ils seraient brillants.

• Et de l’attitude surprotectrice de certains parents : poussés par la peur de l’échec ou par la pression sociale, nombre d’entre eux préfèrent surinvestir dans ces cours, quitte à s’endetter ou à sacrifier d’autres priorités. Certains élèves s’inscrivent prématurément même, dans une logique «d’anticipation», avec des préparations qui commencent dès la première année du lycée, non pour combler une lacune, mais pour avoir plus de chance que les autres.
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