Chebakkia, Briouates, sellou,... les délices de Ramadan font exploser le compteur des calories créant un déséquilibre dans le régime alimentaire normal des jeûneurs. En plus, le changement des horaires des repas et la prédominance de certains aliments gras et riches en sucre augmentent les risques de développer des carences nutritionnelles ou au contraire, des excès nocifs pour la santé.
Comme dans toutes les choses de la vie, un équilibre est souhaité pour maintenir une bonne santé. C'est une évidence qui peut paraitre difficilement tenable pendant ce mois, mais que les spécialistes de la nutrition ne cessent de rappeler. C'est le cas de notre interlocutrice nutritionniste, Dr Valérie Alighieri, qui nous livre sa règle d'or pour relever le défi : l’assiette divisée en 4 compartiments ! C'est ce qu'elle explique dans cet entretien accordé à "Le Matin". L'experte explique ainsi comment éviter les carences et les excès pendant ce mois de jeûne et partage ses conseils pour une alimentation équilibrée au ftour et au Shour.
Le Matin : Pendant le mois de Ramadan, nos habitudes alimentaires sont complètement chamboulées. Comment éviter les carences nutritionnelles pendant cette période ?
Dr Valérie Alighieri : En effet, pour ne pas aggraver ou développer des carences nutritionnelles pendant le mois du Ramadan, il faut absolument avoir des repas équilibrés et complets. Il faut consommer suffisamment d’aliments avec des fibres, protéines, vitamines, glucides, lipides pour maintenir le corps en parfaite santé et résister au jeûne quotidien.
Les mets ramadanesques sont généralement riches en sucre et très gras. Quel impact peut avoir une surconsommation de ce type de nourriture sur notre santé ?
Avant le début du mois de Ramadan, les ménagères stockent une grande quantité de mets traditionnels comme les briwates, pastillas, nems, chabakia, sellou, rghayef... Malheureusement, tous ces aliments sont très gras et certains aussi très sucrés et, par conséquent, très caloriques. Ils ne devraient pas être quotidiennement présents sur les tables ramadanesques, d'autant plus que de nombreuses personnes ont un mode de vie très sédentaire. La journée de jeûne entraîne, entre autres, une baisse de sécrétion d’insuline en l’absence d’apport alimentaire. Le corps va aller puiser dans les réserves pour maintenir la glycémie et produire l’énergie nécessaire à l’organisme. À la rupture du jeûne, la reprise de l’alimentation provoque une augmentation de la glycémie d’autant plus importante que les plats sont glucidiques et gras. Au niveau métabolique, les excès dans un même repas sont toujours néfastes, et encore plus si ce repas suit une journée de jeûne.
Ainsi, la consommation excessive de plats riches à la rupture du jeûne provoque une variation plus importante de la glycémie. Je souligne ce propos surtout pour les patients diabétiques de type 2 qui décident de jeûner malgré leur maladie : leurs repas doivent être sains et équilibrés et je conseille une surveillance attentive de la glycémie avec une éventuelle adaptation du traitement médicamenteux. Attention également aux personnes au taux de cholestérol ou de triglycérides élevé ! Ces aliments excessivement gras et sucrés vont également entraîner des désordres digestifs et un inconfort gastrique gras, car ils sont plus longs à digérer. Ils peuvent entraîner douleurs et nausées, mais aussi des troubles au niveau intestinal à cause de la fermentation responsable de ballonnements et de flatulences.
Quels sont les aliments recommandés pour le suhoor afin de fournir une énergie durable pendant la journée de jeûne ?
Le suhoor est le repas qui précède la journée active pendant laquelle il va falloir assumer aussi bien les tâches professionnelles que domestiques. Par conséquent, il est important que le suhoor ait une bonne valeur énergétique. Je recommande de prévoir un féculent : pain complet ou soupe «blanche» type «hassoua» ou même un bol de harira. Les féculents vont apporter des glucides complexes qui vont fournir de l’énergie. Les soupes apportent un volume d’eau. Par ailleurs, prévoir un apport protéiné : œuf, fromage sec ou blanc battu, yaourt, lait ou même une portion de viande ou de poisson. L’avantage du yaourt ou du lait est qu’ils apportent une bonne quantité d’eau (1 yaourt = 1 verre d’eau). Enfin, consommer une portion de fruit et/ou de légumes. Ils assurent une ration de fibres pour favoriser le transit, ce qui est important en raison des fréquents soucis de constipation durant cette période de jeûne, et ils contiennent de l’eau. Il faut aussi boire suffisamment, surtout si vous n’avez pas prévu de soupe ou de boisson chaude, car l’hydratation est très importante pour le bon déroulement de la journée. Elle évite entre autres céphalées et constipation. Évitez les aliments sucrés (viennoiseries, biscuits, jus, thé ou café sucré...) qui risquent de déclencher une sensation de faim quelques heures après.
Comment équilibrer le repas de rupture du jeûne pour s'assurer de consommer des nutriments essentiels tout en évitant la suralimentation ?
Pour équilibrer votre Iftar, il convient de suivre la règle habituelle de l’assiette divisée en 4 compartiments : féculents/légumes et fruits/laitage/aliments protéiques avec des rations limitées en matières grasses ajoutées. Respectez des portions raisonnables d’un repas complet habituel. Surconsommer ne permet pas de réduire la faim, mais contribue plutôt à une prise de poids et au risque de perturber votre équilibre métabolique après un mois de jeûne. Mangez lentement, mastiquez bien pour réduire l’inconfort digestif après le repas. Idéalement, prévoyez des crudités et des fruits, une soupe, des protéines (viandes maigres, poissons, œufs) et des sucres lents (féculents) : harira, batbot, crêpes salées, rouleaux de printemps, «jbane», brochettes de viande ou poisson au four, yaourts, fruits séchés (dattes) ou frais. Évitez de consommer chaque jour les briwates frits, jus très glucidiques, desserts lactés sucrés type flans ou crèmes dessert, viennoiseries et gâteaux marocains. Prenez-les de façon ponctuelle, non cumulés sur le même ftour et en quantité raisonnable. Attention également au thé ou au café très sucré qui risque aussi de perturber la qualité de votre sommeil.
Existe-t-il des recommandations spécifiques pour rester hydraté toute la journée pendant le Ramadan malgré le jeûne ?
Pas de conseils spécifiques, boire suffisamment, le 1,5 litre habituel sous forme d’eau essentiellement, mais aussi de soupes et d’infusions, ne pas manger trop salé ni très sucré (tout ce qui va augmenter l’osmolarité sanguine), éviter les activités physiques à effort cardiovasculaire trop élevé et privilégier les endroits frais peu exposés au soleil pour réduire la sudation.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui cherchent à perdre du poids ou à maintenir un poids santé pendant le Ramadan ?
Bannir les aliments sucrés surtout, les fritures et les aliments très gras et ne pas surconsommer. Il est aussi recommandé de maintenir un niveau minimum d’activité physique : 10.000 pas sur la journée et respecter les heures de sommeil pour limiter la fatigue.
Comment prévenir les problèmes de digestion ou d'estomac liés à des changements alimentaires pendant le Ramadan ?
Manger lentement, bien mastiquer pour faciliter la digestion, limiter les aliments sucrés qui favorisent la fermentation colique, boire suffisamment et consommer des fibres (fruits, légumes, légumes secs) pour lutter contre la constipation, éviter les aliments frits, très gras et acides pour soulager l’estomac. Si les repas sont sains et équilibrés comme ceux présentés précédemment, les problèmes seront minimes.