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Ramadan et personnes âgées : quelles précautions pour jeûner en sécurité

Chaque année, à l’approche du mois sacré du Ramadan, les contraintes liées au jeûne des personnes âgées (PA) refont surface. Bien qu’elles puissent s’abstenir de jeûner à cause de leurs problèmes de santé, plusieurs PA décident de le faire, mettant ainsi leur vie en danger. Dans cet entretien, Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et en gériatrie, revient sur les risques liés au jeûne et les précautions à prendre chez les personnes âgées.

Le Matin : Quels sont les principaux facteurs à prendre en compte lorsqu’une personne âgée (PA) envisage de jeûner pendant le Ramadan ?

Khadija Moussayer :
Pendant le Ramadan, il faut tenir compte des modifications physiologiques et de la présence de diverses pathologies s’accumulant avec l’avancée dans l’âge. Ainsi, les PA souhaitant observer le jeûne du Ramadan sont invitées à prendre conseil auprès de leur médecin avant le début du jeûne, afin de recevoir des conseils adaptés à leur situation et ainsi minimiser le risque de complications et garantir une bonne tolérance du jeûne. Ce dernier est à éviter en cas de certaines pathologies tel qu’un diabète non équilibré ou de surcroit traité à l’insuline, d’insuffisance rénale ou de maladie cardiaque sous traitement diurétique qui, en éliminant le surplus de liquides de l’organisme, peut engendrer une déshydratation.

Quels sont les risques potentiels associées au jeûne chez les PA, en particulier en ce qui concerne la santé cardiovasculaire et métabolique ?

Le jeûne intermittent, alternant des périodes de jeûne avec des périodes de consommation alimentaire normale, en particulier lorsqu’il est pratiqué à long terme, peut contribuer à limiter le risque d’événements cardiaques et avoir des effets positifs sur la santé métabolique. Néanmoins, au cours du jeûne du Ramadan, la prise des repas est concentrée dans le temps et l’alimentation se caractérise par une densité énergétique souvent élevée par rapport aux besoins. Ainsi, les bienfaits du jeûne sont battus en brèche par les excès alimentaires observés à la rupture de ce dernier. Chez les PA diabétiques, le jeûne du mois du Ramadan peut avoir des effets néfastes et générer des accidents métaboliques – hypoglycémie, hyperglycémie ou acidocétose diabétique –, voire aggraver les complications dégénératives du diabète. Le patient diabétique peut être exposé à d’autres complications aiguës, notamment la déshydratation et la constitution de caillots sanguins au niveau des vaisseaux.



Existe-t-il des recommandations spécifiques pour les PA qui souhaitent jeûner pendant le Ramadan, en termes de gestion des repas ?

Il faut veiller à une alimentation bien équilibrée et surtout ne pas diminuer sa consommation alimentaire habituelle pour ne pas aggraver la fonte musculaire. En effet, le capital musculaire diminue avec l’âge et cette diminution de la masse musculaire peut être source de troubles nutritionnels et de l’hydratation. Il faut savoir que 73% de l’eau totale du corps sont stockés dans les muscles, une baisse des réserves en eau sera ainsi corrélative à cette diminution de la masse musculaire. Ce phénomène, la sarcopénie, a des répercussions considérables par les faiblesses qu’il provoque : risques infectieux par baisse des réserves protéiques nécessaires aux défenses immunitaires, chutes et fractures éventuelles compromettant l’autonomie de la PA... Ainsi, pour éviter l’aggravation de la fonte musculaire, l’apport protéique doit être supérieur à celui de l’adulte jeune et une activité physique quotidienne de 15 à 30 minutes par jour est également nécessaire pour lutter contre cette sarcopénie.

Comment évaluer la capacité d’une PA à jeûner en toute sécurité pendant le Ramadan en tenant compte de ses conditions médicales sous-jacentes et de ses capacités physiques ?

Le plus grand souci au cours du Ramadan est la gestion des médicaments. Ces derniers restent en plus grande quantité et plus longtemps dans l’organisme d’une personne âgée que chez un adulte de 30 ou 40 ans. Leur élimination rénale est ralentie, leur accumulation dans les graisses est augmentée et leur passage dans le cerveau est plus agressif rendent de fait les PA beaucoup plus fragiles face aux médicaments. Au cours du Ramadan, la situation se complique lorsque plusieurs doses de médicaments doivent être prises à intervalles réguliers, de même que la nécessité de prendre certains médicaments à jeun, les absorber avant le petit-déjeuner peut s’avérer inapproprié, l’estomac n’étant pas toujours vide au réveil. Par ailleurs, la prise de certains médicaments est incompatible avec le jeûne, c’est notamment le cas des diurétiques et des sulfamidés hypoglycémiants.

Quels sont les signes ou symptômes qui indiquent qu’une PA devrait arrêter de jeûner pendant le Ramadan et consulter un professionnel de santé ?

La déshydratation est parmi les principaux dangers qui guettent la PA, particulièrement en période de jeûne. La perception de la soif s’émousse avec l’âge et les pertes en eau sont plus importantes à cause d’une plus forte résistance du rein à l’action d’une substance qui limite les pertes en urine : l’hormone antidiurétique. De plus, les mécanismes de régulation sont moins bien assurés, et l’élimination des surplus de sucre ou de sodium s’accompagne d’une plus grande perte en eau. L’équilibre hydrique est également menacé par certains médicaments (diurétiques, neuroleptiques...). Il faut préciser que les signes de la déshydration chez la PA sont sournois et pas toujours faciles à interpréter. Ainsi, on peut avoir des manifestations de somnolence brusque, de troubles neuromusculaires, de constipation ou d’accélération du rythme cardiaque. Aussi, Il ne faut pas attendre la survenue de ces symptômes pour s’alarmer, leur anticipation s’impose en contrôlant régulièrement l’état d’hydratation de la PA et en évaluant les risques que comportent la pratique du jeûne et la prise des médicaments par rapport à la genèse d’une déshydratation. Les risques d’hypoglycémie sont multipliés en cas de diabète. Il faut accentuer les contrôles et l’auto surveillance de la glycémie et apprendre à l’entourage de percevoir les premiers signes d’hypoglycémie : tremblements, vertiges, troubles de l’équilibre, nausées, vomissements, maux de tête, troubles de la vigilance. L’hypoglycémie peut provoquer le coma, voire le décès.

Quelles mesures préventives peuvent être prises pour minimiser les risques pour la santé des PA qui jeûnent pendant le Ramadan ?

Il faut lutter contre le manque d’appétit qui survient avec l’âge, qui est en partie dû à l’altération des perceptions des odeurs et du goût, qui stimulent ainsi moins bien l’appétit. En effet, la capacité discriminative s’affaiblit, d’où une difficulté à identifier et apprécier les aliments. Le seuil de détection des 4 saveurs de base est ainsi augmenté en moyenne de 11,6 fois pour le salé, 7 pour l’amer, 4,3 pour l’acide et 2,7 pour le sucré par rapport à un individu jeune ! Contrairement aux idées reçues, les besoins nutritionnels des personnes âgées sont presque identiques à ceux de l’adulte jeune : 2.000 kcal/j pour l’homme et 1.800 kcal/j pour la femme, contre respectivement 2.800 et 2.200 à 30 ans. De ce fait, la conjonction d’une baisse de l’appétit et l’observation de longues heures de jeûne peut compromettre l’état nutritionnel de la PA et mener à une spirale de conséquences fâcheuses.

Enfin, comment sensibiliser les PA et leurs familles aux risques potentiels du jeûne pendant le Ramadan et les encourager à prendre des décisions éclairées en matière de santé ?

Il est important de communiquer sur le sujet afin que les PA adoptent les règles propres à préserver leur santé et leur sécurité. Pour une plus grande sécurité, il est recommandé de se rendre chez son médecin au cours du Ramadan pour détecter précocement toute menace sur la santé de la PA. Il faut également lutter contre certains comportements, notamment que les malades seraient prêts à sacrifier leur santé et même leur vie pour jeûner. Travailler sur les mentalités est essentiel et «détabouer» le fait de ne pas pouvoir jeûner. Plusieurs PA se sentent malheureusement dévalorisées en étant incapables d’accomplir ce devoir religieux et portent de ce fait un lourd fardeau psychologique et social.
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