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Ramadan : la mendicité en ligne a le vent en poupe

La mendicité en ligne prend une ampleur croissante, notamment pendant le Ramadan, une période où la fibre religieuse et humaniste est particulièrement sensible. Les réseaux sociaux sont, en effet, envahis par des messages de détresse et de demandes d’aide. Une question se pose dès lors. Comment vérifier la sincérité de ces appels et s’assurer des bonnes intentions de leurs auteurs. N’y a-t-il pas risque de manipulation, voire d’imposture ? un vrai dilemme pour les âmes charitables et les esprits généreux.

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«Je suis veuve, mère de trois enfants, et nous n’avons rien à manger. Aidez-moi !», «Nous sommes une association qui œuvre pour la scolarisation des filles victimes de violence, votre soutien est essentiel», «Soyez magnanime ! enfants atteint d’une maladie grave. Ses parents sont démunis. Il doit être opérer en urgence. Vous êtes son seul espoir»... Ces mots, vous avez eu certainement l’occasion de les entendre ou de les lire en naviguant sur internet ou en scrollant sur votre smartphone. Et avec l’avènement du mois du Ramadan, mois de piété et de recueillement, cette «mendicité en ligne» prend plus d’ampleur.

Chaque jour, des milliers de messages envahissent nos écrans, rédigés par des inconnus supposés être en état de détresse et ayant besoin d’aide. Mères seules, enfants malades, familles démunies, associations de bienfaisance... autant de profils qui cherchent à capter la générosité des internautes. Certains demandent la «Zakate», d’autres sollicitent des paniers alimentaires ou prétendent être des ONG œuvrant pour les plus démunis dans des zones reculées. D’autres voient plus grand. Ils lancent carrément des appels pour financer des «Omras» ou pour collecter des sommes rondelettes pour financer des opérations chirurgicales ou des traitements coûteux. Des histoires bouleversantes sont ainsi exposées dans le but de susciter la pitié et la générosité des donateurs.

Gare à l’arnaque !

Une question se pose dès lors. Comment vérifier la sincérité de ces appels et s’assurer des bonnes intentions de leurs auteurs. N’y a-t-il pas risque de manipulation, voire d’imposture ? Il faut dire que les âmes sensibles et les esprits généreux se trouvent face à un dilemme. Ils sont tentés de venir en aide à de gens dans les besoins, mais ces derniers sont-ils vraiment dans le besoin ? La probabilité de se faire escroquer est d’autant plus grande que les réseaux sociaux sont un terrain propice pour les fake news, les vidéo truquées et les montages savamment orchestrés.

En effet, selon Fouad Yakoubi, psychologue social et secrétaire général de l'Organisation nationale de soutien et d'autonomisation psychosociale, l'émotion et l'empathie sont exploitées de manière subtile et redoutablement efficace, notamment à travers l’utilisation d’images poignantes qui touchent directement l'inconscient. «Les visuels sont choisis avec soin, ce qui déclenche une réponse émotionnelle immédiate, liée à l'empathie humaine, où la souffrance d'autrui réveille un besoin instinctif d'aider», explique-t-il. Pour cet expert, le plus délicat c’est que ces images sont utilisées aussi pour manipuler les sentiments de culpabilité, d'urgence et de responsabilité, incitant les internautes à faire des dons sans prendre le temps de réfléchir à la véracité des situations. «L'impact visuel agit directement sur l'inconscient, coupant court à toute réflexion rationnelle et alimentant une impulsion d’action immédiate», explique-t-il.
Selon Fouad Yakoubi, l'essor de la mendicité en ligne pendant le mois du Ramadan résulte d'une combinaison de facteurs sociaux, économiques et technologiques. Ces éléments, précise-t-il, rendent cette forme de sollicitation plus accessible, visible et souvent plus efficace que les méthodes traditionnelles directes. Il s’agit, d’après notre interlocuteur, des facteurs suivants :
• Facteurs sociaux : durant ce mois de piété, la générosité est une valeur centrale. L’aide aux plus démunis est donc au cœur une priorité. Du coup, de nombreuses personnes se tournent vers les réseaux sociaux pour solliciter des dons. La bienveillance collective est alors mise à l’épreuve. Si certains appels sont sincères, d’autres exploitent cette période de solidarité à des fins opportunistes, en faisant vibrer la corde sensible chez les internautes.
• Facteurs économiques : l'inflation galopante et les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont exacerbé la précarité de nombreuses personnes. Ces difficultés financières sont désormais des arguments récurrents dans les appels à l’aide en ligne. L’argument économique, largement partagé et compris par les internautes, sert de justification pour de nombreuses demandes, mais il est aussi facilement instrumentalisé par des personnes malhonnêtes.

• Exploitation des événements tragiques : cette année, une forme encore plus cynique de mendicité en ligne a émergé, celle qui utilise les catastrophes récentes, comme le séisme d'Al Haouz, pour récolter des fonds sous de faux prétextes. Des individus se font passer pour des «bienfaiteurs», prétendant venir en aide aux victimes de ces tragédies, alors qu'en réalité, ils exploitent la générosité des internautes à des fins personnelles. Cette manipulation est particulièrement insidieuse et porte atteinte à la confiance qui doit marquer les appels à l’aide.

• Coût faible et rentabilité élevée : la mendicité en ligne présente l’avantage d’être pratique et commode. Elle nécessite peu d'investissement par rapport aux méthodes traditionnelles de collecte de fonds. Les coûts sont limités à la gestion des réseaux sociaux et à la création de contenus (images, vidéos, etc.), ce qui en fait une option abordable pour ceux qui cherchent à récolter de l'argent rapidement et à moindre coût.

• Facteurs technologiques : l’omniprésence des réseaux sociaux joue un rôle clé dans l’essor de la mendicité numérique. Ces plateformes offrent une portée mondiale et permettent de diffuser instantanément des demandes de fonds, ce qui rend la collecte de dons beaucoup plus efficace. La facilité d'accès aux plateformes numériques permet aux sollicitations d’atteindre une audience beaucoup plus large et plus rapidement, ce qui multiplie les opportunités de récolte de fonds.

Sensibiliser pour mieux lutter

Face à l’ampleur du phénomène, Fouad Yakoubi estime qu’il devient urgent de sensibiliser la population aux dangers de la mendicité numérique, notamment à travers des campagnes de sensibilisation. «Il faut aussi penser à encourager les dons uniquement via des plateformes sécurisées et reconnues et d’inciter à vérifier la véracité des demandes d’aide», note-t-il. Notre interlocuteur est convaincu qu’une société solidaire ne doit pas se laisser abuser par des imposteurs sans foi ni loi, mais doit être vigilante face à l’exploitation de la fibre religieuse et humaniste. Il souligne également la nécessité de durcir les lois pour faire face à ce phénomène et protéger les citoyens. Le Ramadan, insiste-t-il, devrait être l’occasion de renforcer les liens de solidarité véritable, pas de favoriser les impostures.

Me Mehdi Fodda, avocat au barreau de Casablanca : Il faut mettre à jour la législation actuelle sur le mendicité

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Que dit la loi marocaine sur la mendicité électronique ? Existe-t-il des dispositions spécifiques qui l’encadrent ?


La mendicité est un phénomène ancien. Avec l’avènement des réseaux sociaux et leur capacité à toucher un nombre significatif de personnes en un temps record, le phénomène de la mendicité dite électronique cause des dommages plus importants et touche une population plus exposée à ces dérives, facilement manipulable. La législation marocaine criminalise la mendicité classique. En effet, le Code pénal marocain prévoit un dispositif juridique pour faire face à ce phénomène dans sa section V (De la mendicité et du vagabondage) via les articles 326 à 333. Ces articles prévoient des peines de prison allant de 3 mois à 3 ans si le mendiant utilise une arme ou d'autres moyens propres à commettre des crimes ou délits.



Ne pensez-vous pas qu’il est nécessaire de revoir la législation en raison de l’évolution des réseaux sociaux et de l’ampleur grandissante du phénomène ?

Les réseaux sociaux et l’avènement de l’IA donnent au phénomène de la mendicité électronique une longueur d’avance sur l’évolution du droit et de son adaptation à la réalité. Nonobstant le dispositif actuel au Maroc, il est important de mettre à jour la législation pour qu’elle soit en phase avec les exigences du monde des réseaux sociaux et du digital, afin de limiter les impacts néfastes de ces pratiques. Mais au-delà du corpus légal, il est aussi essentiel de mettre en place des services spécialisés ainsi que des moyens techniques et humains pour traquer, suivre et réprimer les délinquants.


Quelles précautions un citoyen doit-il prendre pour se protéger contre les arnaques ou les abus liés à la mendicité en ligne ?

Entre arnaques et abus, les citoyens doivent prendre toutes les précautions possibles pour se protéger et protéger les plus vulnérables émotionnellement des manœuvres et artifices utilisés pour exploiter les âmes charitables. Donner l’aumône et aider les plus démunis et les personnes réellement dans le besoin est quelque chose de noble. Mais il faut être sûr de ne pas se faire avoir. Il existe au Maroc des associations reconnues d’utilité publique, ainsi que des organismes et fondations aptes à orienter les aides vers les personnes dans le besoin réel. Par ailleurs, dans le cas où des citoyens détectent des agissements suspects, il est important de déclarer les pages ou les annonceurs pour limiter la propagation de ces pratiques illégales.
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