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Ramadan : Pourquoi la consommation des Marocains explose (avis du psychologue)

Synonyme de spiritualité, de piété et de modération, Ramadan est devenu au fil des ans le mois de surconsommation chez les Marocains. Selon le HCP, les dépenses de consommation des ménages augmentent en moyenne de 18,2% pendant ce mois. Les raisons de cette euphorie expliquées par Abdeljabbar Choukri, psychologue sociologue.

Alors que le mois sacré du Ramadan est traditionnellement synonyme de spiritualité, de piété et de modération, on constate depuis quelques années que c’est devenu une période de surconsommation chez les Marocains. Ce phénomène, qui va à l’encontre des valeurs fondamentales du mois béni, est devenu au fil des ans une norme sociale, malgré les défis économiques et la cherté de la vie. En effet, même si l’augmentation générale des prix à la consommation affecte le pouvoir d’achat des ménages ces derniers mois, plusieurs personnes succombent à la pression sociale et se laissent tenter par l’offre abondante, faisant des dépenses excessives qui dépassent souvent leurs besoins quotidiens, durant cette période. En 2019, le ministère de l’Agriculture a mené une étude qui montre justement que pendant le mois du Ramadan, la consommation alimentaire des Marocains augmente de 40% à 50% par rapport aux autres mois de l’année. La dernière enquête publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) cette année montre que les dépenses de consommation des ménages augmentent en moyenne de 18,2% pendant le Ramadan, et près de 82% de cette hausse est attribuable aux dépenses alimentaires. L’enquête a révélé aussi que le temps consacré aux courses s’allonge de 47 minutes pendant ce mois sacré, par rapport aux périodes normales.

Les raisons qui expliquent cette surconsommation pendant Ramadan

Pour comprendre les raisons derrière cette tendance à consommer excessivement durant ce mois, il faut se tourner vers la psychologie et l'analyse comportementale. Pour Abdeljabbar Choukri, psychologue sociologue, de nombreuses raisons peuvent expliquer ce phénomène.

Il s'agit premièrement, de la disponibilité des produits en grandes surfaces, dans les marchés, les boulangeries et pâtisseries... ce qui incite les clients à acheter davantage au lieu de se contenter des produits dont ils ont réellement besoin. C’est ce que j’appelle la tentation psychologique.

L'expert évoque comme deuxième raison, la tentation de l’imitation. "C’est lorsqu’un client voit un autre acheter plus d’un produit, il l’imite également en achetant plus de choses pour se sentir plus fier", explique Dr Choukri.

La troisième raison, note l'expert, est que " l’inconscient collectif des Marocains est toujours présent dans les jours de désolation et de famine qu’ils ont connus dans le passé et qui a créé chez eux la phobie de la famine. Cela les incite à se ruer vers les grandes surfaces à toutes les occasions, y compris le mois du Ramadan, pour acheter le plus grand nombre de produits".

Autre raison, et non des moindres, les réseaux sociaux qui contribuent grandement à la surconsommation pendant le Ramadan. "Les influenceurs et créateurs de contenus font de la publicité des produits avec un grand professionnalisme. Ils sont très convaincants et incitent leurs abonnés à consommer toujours plus. Les réseaux sociaux ont également facilité le processus de contact avec les points de vente que ce soit par téléphone, Internet et les applications d’achat... Sans oublier la facilité de faire ses achats chez soi et se faire livrer par la suite, une option qui séduit de plus en plus de Marocains", indique Dr Choukri.



A travers quelques témoignages recueillis auprès de jeunes marocains, on peut constater une prise de conscience de cette tendance à la surconsommation. "Chaque année, bien avant le début du Ramadan, j’achète de nombreuses choses pour bien préparer l’arrivée du mois sacré : des vêtements traditionnels pour toute la famille, de la vaisselle, des décorations et tous les ingrédients nécessaires pour préparer des petits mets et les conserver au frigo. Mais cela n’est jamais suffisant, dès le début du mois, les dépenses ne font que s’accumuler", confie Manal, 37 ans, mère de famille. "J’ai beaucoup de mal à me retenir devant tant de gourmandises dans les grandes surfaces et surtout dans les pâtisseries qui mettent les petits plats dans les grands durant cette période. Dresser une table de Ftour somptueuse est devenue une tradition chez qui fait plaisir aux grands et aux petits", ajoute-t-elle.

Comment les réseaux sociaux incitent à dépenser plus

La surconsommation pendant le mois du Ramadan est surtout alimentée par les différents contenus publicitaires sur les réseaux sociaux. Le mode de vie «exemplaire» que montrent les influenceurs et influenceuses sur leurs comptes fait perdre la raison à plus d’un. À travers leur style de vie luxueux et des publicités alléchantes, ils exercent une forte influence sur leurs followers qui ressentent le besoin d’avoir la même chose chez eux. Leur promotion de produits et services associés au Ramadan encourage ainsi la consommation excessive. «Les influenceuses sur Instagram ont un pouvoir incroyable. Leur contenu me fascine. Pendant le mois du Ramadan, je me retrouve souvent à faire des achats compulsifs pour dresser des tables qui ressemblent à celles que je vois sur les réseaux sociaux. Je fais aussi beaucoup d’achats en ligne : des vêtements, des articles de décorations, des cadeaux... il s’agit généralement de produits dont je n’ai pas vraiment besoin, mais je les prends tout de même», témoigne Hanaa, 31 ans. «Je n’hésite pas non plus à faire la queue dans les meilleures boulangeries et pâtisseries pour acheter de délicieux mets pour le Ftour. Je cherche tout le temps à re-créer chez mois l’ambiance festive des post que je vois défiler sur Instagram. C’est tellement satisfaisant pour moi», ajoute-t-elle.

Le Ramadan est ainsi devenu au fil des ans une belle période d’opportunités commerciales, qui révolte certaines personnes attachées aux valeurs fondamentales du mois béni. «Je trouve que c’est malheureux de voir autant de gaspillage et de dépenses inutiles durant ce mois sacré. En tant que musulmans, nous devons nous concentrer sur les valeurs de modération et de simplicité et opter pour des repas simples et nourrissants durant cette occasion unique. J’aimerai tant que les Marocains puissent se défaire de ces mauvaises habitudes et adopter une approche plus consciente et réfléchie de la consommation durant le Ramadan».
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