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Rééducation visuelle : comment l’IA transforme les pratiques

Alors que l’intelligence artificielle s’impose dans de nombreux domaines médicaux, la rééducation visuelle connaît elle aussi une transformation profonde. Pour Wiam El Jaï, orthoptiste, périmétriste et électrophysiologiste, ces outils ne remplacent pas la pratique humaine, mais l’enrichissent : analyses plus fines, exercices personnalisés, suivi continu et motivation accrue des patients. Dans cet entretien, elle détaille comment l’IA redéfinit déjà le quotidien des orthoptistes et ouvre la voie à une prise en charge plus précise et plus accessible.

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Rééducation visuelle : comment l’IA transforme les pratiques



Le Matin : Comment l’intelligence artificielle commence-t-elle à intervenir dans le domaine de la santé visuelle ?

Wiam El Jaï :
Depuis quelques années, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un allié incontournable dans le domaine de la santé visuelle. Initialement développée pour le dépistage des maladies oculaires, comme la rétinopathie diabétique, le glaucome ou la dégénérescence maculaire liée à l’âge, l’IA s’étend aujourd’hui à des champs plus fonctionnels, notamment celui de la rééducation visuelle. Dans ce contexte, l’IA ne se limite pas à l’analyse d’images médicales : elle apprend à comprendre les comportements visuels, à détecter les anomalies de fixation, de coordination oculo-motrice ou de perception, et à proposer des programmes d’entraînement sur mesure. C’est une véritable révolution, car elle apporte dans la rééducation visuelle une dimension d’adaptabilité et de précision que les méthodes traditionnelles, bien que très efficaces, ne pouvaient atteindre seules. L’IA ne remplace pas le regard clinique de l’orthoptiste, mais elle en amplifie la portée et la finesse.



Quels types d’outils ou d’applications basés sur l’IA sont déjà utilisés dans la rééducation visuelle ? Y a-t-il des exemples d’exercices visuels ou de suivi qui étaient impossibles avant l’IA ?

Plusieurs outils numériques exploitant l’IA sont désormais utilisés dans la rééducation visuelle. Certains logiciels d’exercices oculo-moteurs et de stimulation visuelle reposent sur des algorithmes capables d’analyser en temps réel la performance du patient : mouvements saccadiques, temps de réaction, stabilité de la fixation ou encore coordination entre les deux yeux. Des plateformes comme Orthocare, par exemple, développent des assistants virtuels capables de guider le patient dans ses exercices, d’évaluer ses progrès et d’ajuster automatiquement la difficulté selon ses résultats. Avant l’IA, ce type de feed-back instantané et intelligent était impossible. L’orthoptiste devait interpréter manuellement les données, ce qui limitait le nombre de paramètres analysables et la fréquence du suivi. Aujourd’hui, l’IA peut suivre un patient même à distance, entre deux séances, en lui proposant des mini-séances interactives adaptées à son profil.

Ces technologies permettent-elles de personnaliser davantage les programmes de rééducation ?

C’est l’un des apports les plus puissants de l’intelligence artificielle : la personnalisation dynamique. Chaque patient présente un profil visuel unique, influencé par son âge, sa pathologie, sa plasticité cérébrale ou son degré d’adhésion au traitement. Grâce à l’IA, les logiciels de rééducation peuvent apprendre de ces données et proposer un parcours visuel individualisé, évolutif et motivant. Par exemple, chez un enfant présentant une amblyopie, le système peut ajuster en direct le contraste, la durée de stimulation ou la fréquence des exercices selon la fatigue détectée. Chez un adulte, après chirurgie ou traumatisme, il peut moduler la vitesse des mouvements ou la complexité des stimuli pour stimuler les réseaux neuronaux impliqués dans la coordination binoculaire.

Cette approche «Patient-Centered» rend la rééducation plus précise, plus progressive et plus efficace. Quels avantages concrets l’IA apporte-t-elle aux patients en rééducation visuelle ?

L’impact de l’IA se traduit déjà par des résultats cliniques encourageants. Les patients gagnent en motivation, car les programmes sont plus interactifs, ludiques et adaptés à leur rythme. L’orthoptiste, de son côté, dispose d’une vision plus fine des progrès : les données objectives (vitesse, précision, stabilité) lui permettent de mesurer concrètement l’efficacité des séances et d’ajuster la prise en charge en conséquence. En pédiatrie, ces outils facilitent l’adhésion des enfants grâce à des jeux visuels intelligents. Chez les seniors, ils permettent un entraînement sécurisé et accessible à domicile, limitant les déplacements tout en maintenant une stimulation visuelle régulière. Enfin, pour les patients post-opératoires ou atteints de troubles neurovisuels, l’IA aide à optimiser la plasticité cérébrale, en proposant des protocoles de stimulation adaptés à la phase de récupération.

Comment voyez-vous l’avenir de la rééducation visuelle avec l’IA dans les 5 à 10 prochaines années ?

Dans les cinq à dix prochaines années, la rééducation visuelle sera profondément transformée par le numérique. On verra se généraliser des plateformes connectées où le patient, l’orthoptiste et l’IA travailleront main dans la main. L’orthoptiste conservera son rôle central : poser le diagnostic fonctionnel, définir les objectifs thérapeutiques et accompagner humainement le patient. Mais l’IA viendra renforcer cette alliance, en apportant une surveillance continue, une analyse prédictive des résultats et une optimisation en temps réel des exercices. L’idéal serait d’atteindre un modèle hybride : des séances présentielles ciblées, combinées à un suivi numérique intelligent entre les rendez-vous. L’IA ne remplacera jamais la relation thérapeutique, mais elle deviendra son prolongement naturel, un «assistant invisible» qui veille à la continuité du soin.

Comment l’orthoptiste peut-il se former aux outils numériques et à l’IA pour améliorer sa pratique ?

Pour que cette révolution soit bénéfique, il est essentiel que les professionnels s’y préparent. Les orthoptistes doivent être formés aux outils numériques et à la compréhension des bases de l’intelligence artificielle : savoir interpréter les données générées, comprendre les algorithmes d’apprentissage et surtout conserver une lecture clinique humaine des résultats. Des formations continues, des ateliers pratiques ou des plateformes de e-learning dédiées à la santé visuelle connectée commencent à émerger. L’enjeu est double : maîtriser la technologie sans perdre la dimension humaine du métier. Car, au-delà des algorithmes, la rééducation visuelle reste un travail de relation, d’observation et d’empathie, des qualités que l’IA ne remplacera jamais.

L’intelligence artificielle ouvre donc une ère nouvelle pour la rééducation visuelle : plus précise, plus interactive et plus accessible. Elle permet d’offrir à chaque patient un parcours personnalisé et évolutif, tout en soutenant le rôle essentiel de l’orthoptiste. Dans les années à venir, la combinaison du savoir humain et de la puissance du numérique promet de redéfinir les standards du soin visuel. Une chose est sûre : l’IA n’est pas l’avenir lointain de la rééducation visuelle, elle en est déjà le présent.

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