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Réseaux sociaux : les adolescents en détresse psychologique

Snapchat, TikTok, Instagram…, de plus en plus de jeunes et adolescents sont accros aux réseaux sociaux. Si ces plateformes répondent à certains besoins psychiques, leur usage excessif soulève des risques grandissants pour la santé mentale des jeunes. Yousra Lahlou, docteure en psychologie clinique et psychopathologie, décrypte les mécanismes de cette emprise numérique.

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Leur premier réflexe au réveil ? Scroller. Le dernier geste avant de dormir ? Liker. Pour une génération connectée en permanence, les réseaux sociaux ne sont plus de simples outils, mais des extensions d’elle-même. Snapchat, TikTok, Instagram... ces plateformes ont colonisé leur quotidien, imposant leurs codes, leurs rythmes, leurs injonctions. Ce n’est plus un simple «passe-temps». Pour des milliers de jeunes, les réseaux sociaux dictent les émotions, les relations et même l’image de soi. Une dépendance moderne, souvent banalisée, mais qui infiltre en silence la construction identitaire, les liens sociaux et la santé mentale de ces jeunes.


Une génération extrêmement connectée

Comment expliquer une telle emprise ? Selon Yousra Lahlou, docteure en psychologie clinique et psychopathologie, ce lien fort avec les réseaux sociaux est lié à notre ancrage dans l’époque dans laquelle nous vivons. «Les adolescents et les jeunes d’une manière générale passent beaucoup de temps sur leurs téléphones, et en particulier sur les réseaux sociaux. C’est un phénomène d’actualité, et par conséquent une réalité clinique actuelle et largement répandue», souligne -t-elle. Et d’ajouter que «nous sommes, en tant qu’individus, en lien avec l’espace et l’époque dans lesquels nous vivons, et c’est tout à fait normal. Les réseaux sociaux font partie du monde d’aujourd’hui. Ils constituent une composante essentielle des nouveaux modes de communication, et les jeunes doivent pouvoir vivre dans leur époque. Ces plateformes ne sont pas nocifs en soi, c’est plutôt leur usage qu’il faut interroger, car il peut, dans certains cas, devenir pathologique».


Une réponse à des besoins émotionnels profonds

Difficile d’ignorer l’impact quand on sait que l’adolescence, et même l’entrée dans l’âge adulte, sont des moments décisifs dans l’édification de l’équilibre psychique et émotionnel. «Ce sont des périodes particulièrement charnières dans la construction de soi et de l’adulte en devenir. Les adolescents et les jeunes sont par nature plus vulnérables. À cela s’ajoutent les caractéristiques propres à l’époque actuelle, notamment ce que les réseaux sociaux induisent». Mais si ce lien est si fort, c’est aussi parce que les réseaux remplissent certaines fonctions importantes pour les jeunes et ils y trouvent des avantages. «Tout d’abord, les réseaux sociaux sont omniprésents et faciles d’accès. Ils permettent aux adolescents et aux jeunes (mais pas uniquement !) de répondre à un besoin d’immédiateté et d’instantanéité, même si cette satisfaction reste éphémère. Ces outils jouent aussi un rôle dans l’affirmation de soi, loin des figures parentales. Ils permettent, en effet, aux jeunes de se construire une sphère propre à eux, où les parents sont souvent exclus. Faire comme les autres de leur âge, ressentir une appartenance à un groupe de pairs, est un besoin essentiel pour leur construction psychique à ce moment de leur vie», explique la spécialiste.

Autre aspect important : l’image de soi. «Les réseaux sociaux offrent la possibilité de façonner une image idéalisée de soi, parfois éloignée de la réalité. Cela permet de compenser une estime de soi souvent fragile à l’adolescence. C’est aussi un moyen de reconnaissance et de validation sociale, à travers les «likes», les «followers», les «vues»... autant d’éléments qui renforcent le sentiment de valeur personnelle». Enfin, ces plateformes deviennent un refuge face au vide et à l’inconfort émotionnel. «Elles permettent de contourner les émotions désagréables du quotidien, d’éviter l’ennui, de combler tous les moments de vide, souvent perçus comme insupportables. Toutes ces raisons expliquent pourquoi les jeunes prennent du plaisir à être sur les réseaux sociaux ! Même si ces éléments sont particulièrement présents chez eux, on les retrouve aussi chez les adultes».



Des outils conçus pour captiver l’attention

Dre Lahlou précise, par ailleurs, que si ces outils sont si efficaces pour capter l’attention, c’est aussi parce qu’ils sont conçus dans ce but. «Le design joue un rôle : interfaces intuitives, “scroll infini”, couleurs et sons stimulants... tout est pensé pour capturer l’attention. Les algorithmes, quant à eux, personnalisent le contenu en fonction des préférences de l’utilisateur pour le retenir le plus longtemps possible. Enfin, les likes, les vues et les partages sont des sortes de récompenses qui renforcent l’usage et créent un véritable conditionnement.»

Si les réseaux sociaux peuvent répondre à certains besoins psychologiques chez les jeunes, leur usage excessif n’est pas sans conséquences. Sur le plan de la santé mentale, les effets de cette dépendance sont multiples et préoccupants. «Les effets de cette consommation excessive des réseaux sociaux sont nombreux et varient en fonction des jeunes», explique Dre Yousra Lahlou. Parmi les répercussions les plus fréquemment observées, on note une augmentation des symptômes d’anxiété et de dépression, largement alimentée par la pression sociale constante et la comparaison avec les autres. L’estime de soi en prend également un coup, notamment chez les jeunes qui deviennent dépendants des réactions en ligne (likes, followers, commentaires) pour valider leur propre image.

L’impact est aussi physiologique : l’usage intensif, souvent nocturne, perturbe gravement le sommeil, entraînant fatigue chronique et troubles du rythme veille-sommeil. Enfin, cette hyperconnexion contribue à un isolement social réel, fragilisant les liens interpersonnels authentiques et compliquant les interactions hors du monde virtuel. Autant de signaux qui appellent à une prise de conscience collective sur les usages numériques, et à une éducation à la fois bienveillante et lucide autour de ces outils devenus omniprésents.



Entretien avec la docteure en psychologie clinique et psychopathologie

Yousra Lahlou : «Les parents ont un rôle important à jouer dans la prévention»

Réseaux sociaux : les adolescents en détresse psychologique
Yousra Lahlou

Le Matin : Quels sont les signes qui doivent alerter les parents ou les proches ? Existe-t-il des profils plus à risque que d’autres ?

Dre Yousra Lahlou : Les parents et les proches peuvent être attentifs à divers signes qui peuvent indiquer un problème lié à l’utilisation excessive des réseaux sociaux. Par exemple, un isolement excessif, avec une réduction notable des interactions réelles, ou une irritabilité et une anxiété marquées lorsque l'accès aux réseaux sociaux devient impossible. Des troubles du sommeil, souvent dus à une utilisation nocturne excessive des écrans, ainsi qu’une perte d’intérêt pour les activités habituelles, remplacée par un plaisir uniquement trouvé dans l’usage des réseaux sociaux, sont également des indicateurs à surveiller. D’autres signes incluent des changements brusques dans l’humeur ou l’estime de soi, souvent influencés par les réactions en ligne (likes, commentaires), ainsi que des comportements dangereux ou provocants sur les réseaux, comme le partage d’informations personnelles ou la participation à des défis risqués. Ces signes ne sont cependant pas exhaustifs et doivent être complétés par d’autres éléments relatifs au fonctionnement psychique du jeune.

Il est important de souligner que les réseaux sociaux peuvent exacerber des fragilités psychologiques préexistantes. Les jeunes les plus vulnérables sont souvent ceux qui présentent déjà une fragilité psychologique ou une faible estime de soi, ceux qui sont socialement isolés ou rencontrent des difficultés relationnelles, ainsi que ceux en quête constante de validation sociale ou d’approbation externe. Les jeunes ayant déjà été victimes de harcèlement scolaire ou de cyberharcèlement sont également particulièrement à risque.

Y a-t-il un lien entre l’usage excessif des réseaux sociaux et l’anxiété ou la dépression ?

Oui, plusieurs études scientifiques montrent qu’un usage excessif des réseaux sociaux augmente le risque d’anxiété et de dépression chez les jeunes, même si ce lien demeure complexe, multifactoriel et nécessite une appréciation attentive des autres variables (contexte familial, scolaire, social, etc.). En plus des éléments précédemment cités, le sentiment persistant d’exclusion (FOMO - Fear of Missing Out) crée une anxiété permanente à l’idée d’être déconnecté ou exclu socialement, qui contribue à favoriser l'apparition de troubles anxieux.

Comment cela affecte-il leur concentration, leur sommeil et leurs relations sociales ?

Du point de vue de la concentration, l’utilisation excessive des réseaux sociaux peut entraîner une diminution de l’attention prolongée, une distractibilité accrue et des difficultés à se concentrer durablement sur des tâches scolaires ou quotidiennes. L’utilisation excessive et notamment tardive des réseaux sociaux peut provoquer des retards d’endormissement, un sommeil fragmenté et/ou non réparateur qui peut entraîner fatigue, irritabilité et diminution générale des performances cognitives. Au niveau des relations sociales, l’usage excessif des réseaux sociaux peut amener le jeune à négliger les relations réelles, créant un isolement social et une difficulté à interagir en face-à-face.

Comment aider un jeune à prendre conscience de son addiction ? et quel rôle les parents et les éducateurs peuvent-ils jouer dans la prévention ?

Aider un jeune à prendre conscience de son usage excessif des réseaux sociaux commence par le fait d’aborder le sujet avec bienveillance, en évoquant des faits précis (temps passé, comportements observés, conséquences négatives). Il s’agit de le responsabiliser et de l’encourager à observer lui-même sa manière d’utiliser les réseaux sociaux. L’idée est que l’entourage puisse instaurer un espace de confiance et de discussion autour de ces pratiques sans tomber dans le jugement et la culpabilisation.

Les parents peuvent faire ce premier travail, mais il ne faut pas hésiter à demander de l’aide à des professionnels de santé mentale si besoin. En effet, un usage excessif des réseaux sociaux peut être un signal d’alerte d’un mal-être plus profond qu’il faut prendre en considération. Effectivement, les parents ont un rôle à jouer dans la prévention. Il s’agit de sensibiliser leurs enfants aux risques liés aux réseaux sociaux et d’établir des règles claires et cohérentes sur leur usage (horaires, durées, contenus, etc.), et ce dès le jeune âge.

Par ailleurs, les parents devraient être en mesure de reconnaître que les réseaux sociaux sont utiles, mais qu’il ne faudrait pas les surconsommer comme beaucoup de choses dans la vie ! Il ne faudrait ni être trop permissif ni trop rigide face à leur usage pour parvenir à trouver un équilibre qui convient à tout le monde. En effet, le fait d’être dans la confrontation ou d’interdire de manière massive augmente l’entêtement des jeunes et leur volonté d’en consommer davantage. Il est aussi important que les parents montrent eux-mêmes l’exemple en matière d’utilisation des écrans et des réseaux sociaux afin d’instaurer un modèle positif. Enfin, il s’agit aussi de trouver progressivement des alternatives attractives à l’usage des réseaux sociaux, où le jeune pourra aussi trouver du plaisir.
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