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Responsabilités homme-femme en cas de divorce, l’arbre qui cache la forêt

En suggérant que les femmes ayant des revenus supérieurs seront appelées à verser une pension alimentaire à leur ex-mari en cas de divorce, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a jeté un pavé dans la mare. Intentionnellement ou pas, il a relancé le débat épineux sur la répartition des responsabilités financières et la reconnaissance des contributions domestiques féminines. Mais les militants des droits des femmes que nous avons contactés expriment leur déception à l’égard de cette lecture réductrice des droits des femmes. Ils appellent à relever les véritables défis des sujets qui accentuent les discriminations basées sur le genre.

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Dans un entretien diffusé récemment sur la chaîne de télévision «2M», le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a laissé en entendre qu’en cas de divorce, les femmes ayant un revenu supérieur à leur ex-mari devraient verser une pension alimentaire (Nafaqa) à ce dernier. Cette déclaration a suscité des réactions contradictoires sur les réseaux sociaux. Certains y voient un progrès vers une égalité plus concrète entre les deux sexes, estimant que les responsabilités financières doivent refléter les réalités économiques et l’évolution de la société et de la gestion financière du foyer.

D’autres, en revanche, expriment des craintes quant aux effets potentiels d’un tel changement sur les structures familiales traditionnelles et les équilibres au sein des couples. À ce jour, la «Nafaqa» n’a jamais été du ressort de la femme dans le cadre du système juridique marocain. C’était – et c’est toujours le cas – un mécanisme à travers lequel le conjoint, abstraction faite des différences de revenus, soutenait financièrement les membres de sa famille après le divorce. La proposition de M. Ouahbi pourrait donc marquer un tournant significatif dans cette pratique établie. Il convient de préciser que la déclaration du ministre intervient dans un contexte où le Maroc peaufine une deuxième réforme du Code de la famille, après celle de 2004.

L’ADFM plaide pour une véritable «égalité» et «justice»

Contactée par nos soins, Khadija Errebbah, membre du bureau de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), a vivement critiqué la déclaration du ministre de la Justice concernant la «Nafaqa». Selon elle, les propos du ministre ne répondent pas aux véritables défis auxquels sont confrontées les femmes divorcées, qui doivent souvent assumer la quasi-totalité des charges financières liées à leurs enfants. Mme Errebbah souligne que le montant actuel de la «Nafaqa» est souvent insuffisant pour couvrir les besoins essentiels tels que l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux et la scolarité. «Dans de nombreux cas, la pension alimentaire est dérisoire par rapport aux dépenses réelles nécessaires pour le bien-être de l’enfant», explique-t-elle.

Pis encore, ajoute notre interlocutrice, certains hommes ne versent pas de pension alimentaire, soit en raison de leur incapacité financière, soit par refus délibéré. «Les tribunaux se retrouvent alors submergés de dossiers liés à ce problème, mettant en évidence un écart important entre la finalité de la loi et la réalité sur le terrain», note-t-elle. Mme Errebbah regrette ainsi que le débat public se focalise sur la répartition des paiements plutôt que sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle appelle de ce fait à une réforme qui place les enfants au centre des préoccupations et ajuste les responsabilités financières de manière équitable et réaliste pour garantir leur bien-être. «Au sein de l’ADFM, nous plaidons pour une véritable égalité et justice, et non pour une simple égalité de façade. Nous souhaitons une refonte totale du Code de la famille en insistant sur la co-responsabilité des femmes et des hommes», précise-t-elle.

L’ATEC plaide pour la valorisation du travail domestique

De son côté, Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté (ATEC), exprime des réserves quant à la proposition de Abdellatif Ouahbi sur la pension alimentaire. Elle rappelle que la «responsabilité financière partagée» est déjà une réalité dans de nombreux foyers marocains.

Toutefois, elle met en lumière un aspect crucial souvent négligé : la reconnaissance du travail domestique des femmes comme une contribution essentielle au patrimoine familial. «Le travail domestique des femmes mérite une valorisation matérielle et l’État devrait intégrer cette réalité dans les réformes en cours. Nous espérons que cette question sera abordée dans la réforme du Code de la famille», affirme-t-elle. Mme Abou insiste sur le fait que la contribution des femmes, tant dans le foyer qu’à l’extérieur, mérite une reconnaissance officielle. «Les femmes marocaines jouent un rôle crucial non seulement au sein de la famille, mais aussi dans le monde professionnel. Ce double fardeau doit être pris en compte», souligne-t-elle. Et d’ajouter qu’au-delà des ajustements législatifs nécessaires, un changement profond des mentalités est indispensable. «Il est crucial de transformer les perceptions culturelles et éducatives pour que les hommes comprennent et acceptent la notion de partage des responsabilités domestiques», précise notre interlocutrice.

L’intérêt de l’enfant au cœur des priorités

Les militants des droits des femmes suivent de près les évolutions législatives, en particulier la réforme en cours du Code de la famille, connu sous le nom de «Moudawana». Cette réforme, attendue depuis plusieurs années, est perçue comme une opportunité pour corriger les inégalités persistantes qui affectent le statut et les droits des femmes au Maroc.

Outre les discussions sur la pension alimentaire, il est crucial de s’assurer que les enfants ne soient pas utilisés comme instruments de pression dans les différends entre leurs parents. Les décisions législatives et financières doivent être formulées de manière à prioriser l’intérêt supérieur des enfants, en veillant à ce que leurs besoins fondamentaux et leur stabilité émotionnelle soient pleinement protégés.
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