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Révision de la Moudawana : Saïd Saâdi pronostique des changements plus audacieux

Le contexte actuel se prêterait mieux à une réforme plus poussée du Code de la famille, estime l’ex-secrétaire d’État chargé de la Protection sociale, de la famille et de l’enfance, Saïd Saâdi. Le militant, qui a clamé ses positions sur la polygamie, le mariage des mineures ou encore les relations extra-conjugales, préfère toutefois teinter son pronostic optimiste de prudence. Notamment pour certains sujets qui fâchent plus que d’autres, à l’exemple de l’héritage. Les détails.

Mohamed Saïd Saâdi
Mohamed Saïd Saâdi
Pour la réforme de la Moudawana, c’est un peu le paradoxe de l'œuf et de la poule. Pour de nouvelles avancées, faut-il commencer par une loi plus proactive permettant un changement des mentalités ou attendre un changement des mentalités pour permettre de concevoir les droits des femmes différemment ? C’est une question qui divise et qui n’a pas une réponse tranchée. Mais pour Mohamed Saïd Saâdi, homme politique et fervent défenseur des droits de la femme, attendre que les mentalités changent pour changer la loi est un luxe qu’on ne peut pas s’offrir aujourd’hui. «On ne peut pas attendre que les mentalités changent pour changer la loi. La loi peut faire évoluer les mentalités. C'est ce qu'on avait fait en 2003-2004 avec la première réforme du Code de la famille, et ce en dépit d’une forte opposition», assure ce militant de gauche, ex-secrétaire d’État chargé de la Protection sociale, de la famille et de l’enfance.



Intervenant à l’émission «L’Info en Face» diffusée sur la chaîne «Matin TV», Saïd Saâdi a affirmé que la révision de la Moudawana intervient aujourd’hui dans un contexte pacifié et plus favorable à des avancées plus audacieuses. «Au début des années 2000, les mentalités étaient beaucoup plus rétrogrades qu'aujourd'hui. Pourtant, on a fait un saut énorme, comparativement au Code du statut personnel de 1957-1958. Et les mentalités se sont adaptées», rappelle-t-il. L’autre élément qui fait aussi pencher la balance en faveur d’une révision plus profonde est le retrait de la vague de l’islam politique qui ne pèse plus autant, du moins au niveau du Parlement. Pour l’islam «populaire», c’est une autre paire de manches.



N’empêche que le militant table sur des changements plus poussés avec la nouvelle révision. «Je pense qu'il n'y aura pas seulement un changement technique, mais aussi des changements beaucoup profonds», pronostique-t-il. Toutefois, il tient à teinter son optimisme de prudence, notamment sur certaines questions qui fâchent, telles que l’héritage. «Pour l'élargissement du champ du testament ou l’héritage par agnation (taâssib) par exemple, je pense que c’est jouable. J'ai confiance. Mais je reste prudemment optimiste au vu de la pression exercée par le camp conservateur qui sent que les choses vont lui échapper. J'espère que le pouvoir central sera suffisamment lucide pour s'élever au-dessus du débat», déclare-t-il.
«Lors de la réforme de 2004, on avait convenu, au niveau des groupes de travail, de ne pas toucher à cette question d’héritage. On avait estimé que c'était prématuré. Aujourd'hui, je crois qu'on peut faire un pas dans ce sens», raconte cet ancien dirigeant du Parti du progrès et du socialisme (PPS).

Révision de la Moudawana et religion : il n'y a pas d'antinomie

Pour ceux qui associent cette réforme du Code de la famille à une révision du référentiel religieux, Saïd Saâdi fait remarquer que rien n’est immuable dans la vie et que la loi de l’évolution s’applique aussi à la religion. «Les religions ont évolué et l’islam est aussi évolutif. Est-ce qu’on interdit aujourd’hui les prêts à intérêt ? Est-ce qu’on ampute la main du voleur ? Est-ce qu’on applique la lapidation en cas d’adultère ? Non, pourtant c’est ce qui est dit dans le texte coranique. Ce sont des choses qu’on n’accepte plus aujourd’hui. Il y a des penseurs réformistes musulmans qui ont fait de l’ijtihad pour démontrer que la polygamie par exemple peut être interdite», lance-t-il.
«Le vrai débat doit porter sur l'adéquation de nos valeurs et de notre référentiel avec les droits universels. Je trouve qu'il n'y a pas d'antinomie si on fait l'effort de relire le texte avec les yeux du XXIᵉ siècle», soutient le militant. «À mon avis, ce n’est pas une question de religion. C'est plus une question de pouvoir et de menaces pour la domination masculine», poursuit-il. Et de préciser : «Je ne dis pas qu'il faut jeter la balle aux hommes qui sont réfractaires au changement. Il faut voir comment leur montrer, à travers l'éducation, à travers les médias... que ce n'est pas une atteinte au pouvoir au sens étroit du terme. Au contraire, c'est une promotion de la société, parce que ses deux piliers fondamentaux doivent aller de pair».

Persistance des stéréotypes : les politiques publiques mises en cause

Pour nombre d’observateurs, 20 ans de réformes n’ont pas réussi à venir à bout des stéréotypes et préjugés sexistes qui sont toujours aussi enracinés dans la société marocaine. Une situation qui serait à imputer à l’échec des politiques publiques d’après Saïd Saâdi. «Là, il faut incriminer les politiques publiques. En 2012, avec l'arrivée du gouvernement du PJD, on avait adopté le plan appelé IKRAM, appelé aussi agenda vers l'égalité, doté d’un financement consistant qui s’élevait à plus de 45 millions d'euros. Malheureusement, seul 48% de ces fonds ont été décaissés. Et le plan n'a pas été décliné de manière honnête et conforme aux engagements vis-à-vis de l'Union européenne. C’est pour cela que j'incrimine les politiques publiques», martèle-t-il.
L’ancien responsable ministériel a également fait dans l’auto-critique en évoquant les lacunes du plan d'intégration de la femme au développement, proposé par le gouvernement de 1998. «Nous avions établi ce plan, mais avons oublié de le faire accompagner par un budget et une dimension financière. C'est pour cela que nous n’avions pas réussi à atteindre l’objectif fixé qui était d’alphabétiser 5 millions de femmes», se reproche-t-il. «Je ne sais pas, mais les priorités étaient autres à cette époque. Il fallait consolider notre souveraineté par rapport au FMI, tenir compte des équilibres budgétaires, gérer la dette, etc. Des efforts ont été faits dans le domaine social, mais c'était sur le quantitatif. La qualité n'a pas suivi», fait-il savoir.

L’ancien secrétaire d’État regrette, à ce titre, l’impact bénéfique que ce plan aurait pu avoir sur l’évolution de la situation de la femme marocaine, notamment celle du milieu rural. «Les femmes rurales ne peuvent pas s'approprier toute réforme, aussi progressiste soit-elle, si elles sont analphabètes. Et nous avons 60% de femmes analphabètes en milieu rural», relève M. Saâdi.
«C'est pour dire qu’il s’agit de volonté politique. On aurait dû le faire à la fin des années 1990, dans notre plan d'intégration de la femme au développement. Si on l'avait fait, on serait aujourd’hui dans une meilleure posture», déplore-t-il.

L’égalité, une question d’«empowerment»

Saïd Saâdi est convaincu que l’enjeu de l’égalité homme-femme ne se limite plus à une question de droits. «C’est devenu aujourd’hui une question de pouvoir. Les anglais emploient le terme “to empower”, c’est-à-dire donner le pouvoir aux femmes. Et les femmes sont en train d’arracher ce pouvoir, malgré les résistances et les nombreuses normes sociales discriminatoires», explique-t-il. Il déplore les préjugés qui sont toujours enracinés dans notre société et dont il faudrait se débarrasser à travers la loi, mais surtout à travers les politiques publiques et l’engagement citoyen des hommes et des femmes qui croient en l’égalité et les droits universels. «Nous avons besoin de nouveaux hommes plus éclairés, qui croient en l’égalité et qui soient conscients que la société ne peut pas avancer si ses deux piliers fondamentaux ne travaillent pas de concert, n’ont pas les mêmes droits et le même degré de citoyenneté», avance-t-il.
Insistant sur ce dernier point, le politique rappelle que la Constitution de 2011 engage l’État à garantir l’effectivité de l’égalité et de la citoyenneté pour l’homme et la femme. «Vous remarquerez que les citoyens passent en premier dans la formulation exacte du texte de la Constitution», note M. Saâdi. «Bien sûr, les préjugés restent ancrés dans la société, et pas qu’au Maroc. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas aller de l'avant, vers l'égalité», ajoute-t-il. «Il faut que la marche vers l'égalité reste la boussole pour le progrès du Maroc, pour son entrée dans la modernité», insiste l’ancien politique.

Les positions de Saïd Saâdi sur...

• Le mariage des mineures : «La place des mineures doit être à l'école ! Mais il faut aussi accompagner les familles en situation précaire pour qu'elles n'optent pas pour la solution de facilité, celle de se débarrasser de la fille pour avoir une charge en moins. On interdit, mais on accompagne en parallèle. Nous avons laissé la porte ouverte aux juges et il y a eu beaucoup de laxisme. C’est pour cela qu’on est arrivé à des chiffres monstrueux : 230.000 mariages de mineurs entre 2009 et 2019 !»
• La polygamie : «La polygamie est une atteinte fondamentale et profonde à la dignité de la femme. C'est une question qui doit être abolie pour de bon ! Moi qui ai vécu dans un contexte familial de bigamie, je peux vous dire par expérience que cela engendre beaucoup de souffrances pour la femme».

• La dépénalisation des relations sexuelles hors mariage : «Je ne sais pas comment le secrétariat général du gouvernement (SGG) va traiter les propositions du gouvernement, mais il y a des signaux assez encourageantes de la part du ministre de la Justice quant à la marche vers la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage. Parce qu'on estime effectivement que c'est une question de liberté fondamentale, de vie privée, tant que cela ne touche pas notre espace public et notre sécurité. Et puis l'État n'a pas à s'immiscer dans cet aspect de la vie privée des citoyens».
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