Menu
Search
Lundi 16 Décembre 2024
S'abonner
close
Lundi 16 Décembre 2024
Menu
Search

Santé mentale au Maroc : un système à bout de souffle, la Cour des comptes s'alarme

La Cour des comptes a tiré la sonnette d’alarme sur la santé mentale au Maroc, soulignant des lacunes profondes au niveau de la prise en charge des malades. Entre l’insuffisance des infrastructures, le manque de ressources humaines et l’absence de prévention efficace, les troubles mentaux restent un enjeu de santé publique sous-estimé.

Hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil. Ph. Sradni
Hôpital psychiatrique Arrazi de Tit Mellil. Ph. Sradni
L’Enquête Nationale de Prévalence des Troubles Mentaux (2003-2006), menée auprès de la population âgée de 15 ans et plus, a révélé que ces troubles constituent une charge pathologique importante et représentent un enjeu majeur de santé publique. Ce constat a provoqué une prise de conscience accrue de l’ampleur du problème et a donné lieu à l’adoption de plusieurs stratégies nationales dans ce domaine.

La mission de contrôle de la Cour des comptes, dont les conclusions ont été publiées dans son rapport annuel au titre de 2023-2024, a pour objectif de s’assurer que le système de santé mentale, dans ses différentes dimensions, est en mesure de répondre de façon adaptée aux besoins de la population. Elle a abordé, notamment, les aspects portant sur la prévention en matière de santé mentale, la disponibilité et l’accessibilité de l’offre de soins, ainsi que sur les conditions de prise en charge des malades.

Un système sous pression

Le Maroc fait face à une charge pathologique importante en matière de santé mentale. L’Enquête Nationale sur les Troubles Mentaux (2003-2006) avait déjà révélé l’ampleur de la situation, mais depuis, peu de progrès ont été réalisés. Les établissements spécialisés sont en nombre insuffisant et mal répartis, ce qui limite l’accès aux soins dans de nombreuses régions. Le Maroc compte également un nombre dérisoire de psychiatres et de psychologues (En 2023, le Maroc comptait 407 psychiatres (public et privé confondus) et seulement 32 psychiatres pour enfants, soit une densité de 1,13 psychiatre pour 100.000 habitants), amplifiant les disparités territoriales et rendant les soins encore plus difficiles d’accès.

Dans le détail, le rapport indique que le nombre d’établissements de santé publique spécialisés en psychiatrie dans le secteur public s’élève à 43 unités, comprenant 11 hôpitaux psychiatriques et 32 services de psychiatrie intégrés dans des hôpitaux publics. Quant au secteur privé, il se limite à seulement quatre (04) cliniques.

La couverture de la population est marquée par d'importantes disparités géographiques, plus de la moitié des préfectures et provinces n’étant pas dotées de ces établissements. Cela malgré les dispositions du dahir relatif à la prévention et au traitement des maladies mentales et à la protection des patients atteints (dahir n° 1.58.295), qui stipule que chaque préfecture ou province doit disposer d’un "service public d’hébergement" dédié à la psychiatrie.

Manque d’hôpitaux spécialisés pour enfants et seniors

Les besoins des personnes âgées représentent près de 11 % de la demande en soins psychiatriques dans le secteur public et plus de 8 % des hospitalisations. Cependant, le Maroc ne dispose que d’une seule unité dédiée à cette catégorie : l’hôpital Ar-Razi à Salé, avec seulement 12 lits spécialisés pour les troubles neurocognitifs. Les autres troubles sont pris en charge dans des hôpitaux psychiatriques pour adultes, inadaptés aux besoins spécifiques des seniors, souvent atteints de maladies physiques concomitantes. De plus, ces hôpitaux sont souvent situés en périphérie, rendant l'accès encore plus difficile.

En ce qui concerne la psychiatrie infantile, l'offre est extrêmement limitée, voire inexistante dans plusieurs régions. Le pays compte seulement 32 unités pour soins ambulatoires, dont 13 cliniques privées, principalement concentrées à Casablanca (12) et à Marrakech (1). Du côté public, seuls quatre régions disposent de 1 à 2 psychiatres pour enfants (Casablanca-Settat, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Marrakech-Safi, et Laâyoune-Sakia El Hamra). Pour l’hospitalisation, une seule unité de 16 lits est disponible au niveau national, bien que les stratégies ministérielles depuis 2012 visent à renforcer cette offre.

Concentration et inégalité dans la répartition des lits psychiatriques

Le Maroc dispose de 2.466 lits psychiatriques dans le secteur public, soit un ratio de 6,86 lits pour 100.000 habitants, inférieur à la moyenne mondiale de 10,8 lits. Le plan santé 2025 vise à atteindre 10 lits pour 100.000 habitants.

Cependant, près de 48 % des capacités d’accueil sont concentrées dans deux régions : Casablanca-Settat et Marrakech-Safi. Les hôpitaux psychiatriques détiennent la majorité des lits (62 % de la capacité totale), tandis que les services intégrés dans les hôpitaux généraux sont peu développés. Pourtant, l'OMS recommande la "désinstitutionnalisation" pour intégrer les soins psychiatriques dans les hôpitaux généraux.

Le ministère de la Santé et de la Protection sociale a intégré cette recommandation en programmant la création de 30 à 40 lits psychiatriques intégrés dans les régions sous-équipées, avec un objectif de trois unités par an.

Des soins fragmentés et inadaptés

La Cour des comptes pointe une organisation des soins incomplète. Faute d’intégration dans les soins primaires, les patients sont souvent orientés vers des structures spécialisées, où le suivi post-hospitalisation est presque inexistant. Résultat : des réadmissions fréquentes, oscillant entre 67 % et 90 %, causées par l’absence de prise en charge continue.

Cette situation est aggravée par un cadre légal insuffisant et une gouvernance éclatée, qui limitent la coordination entre les différents acteurs du système de santé. De nombreux diagnostics restent imprécis, menant parfois à des hospitalisations non justifiées.

Aussi, l’absence de mise en œuvre effective d’un parcours de soins progressif nuit gravement à la qualité de la prise en charge en santé mentale au Maroc. La clarification des rôles, l’amélioration des infrastructures et une meilleure coordination sont essentielles pour garantir un suivi adapté aux besoins des patients et une efficacité globale du système de santé mentale, souligne le rapport.

Les avertissements de la Cour

La Cour met en garde contre les conséquences sociales et économiques d’un tel manque d’attention à la santé mentale. Sans prévention adéquate, les troubles mentaux non traités entraînent des coûts élevés pour le système de santé et freinent la réintégration sociale et professionnelle des patients.

De plus, le Maroc reste en deçà des standards internationaux en matière de santé mentale, risquant d’aggraver son retard dans la réforme globale de son système de santé.

Les recommandations pour un changement structurel

Pour faire face à ces défis, la Cour des comptes propose des solutions concrètes :
  • Élaboration d’une politique intégrée : Définir des orientations claires prenant en compte les principaux enjeux de ce système, en particulier le renforcement de la santé mentale, la prévention des maladies psychiques et le développement d'une offre de soins adaptée aux besoins des populations et des territoires.
  • Mise en place d’un cadre juridique adapté : Élaborer un cadre légal qui tient compte des spécificités de la santé mentale, ainsi qu’un cadre de gouvernance approprié incluant tous les acteurs impliqués dans ce domaine.
  • Création d’un système de surveillance et de suivi épidémiologique : Instaurer un système basé sur un dispositif d’information efficace et coordonné.
  • Conception et mise en œuvre d’une stratégie multisectorielle adaptée à la santé mentale : Cette stratégie devrait inclure les éléments suivants :
  • Renforcement de la prévention en santé mentale, notamment à travers la mise en place d’un programme de communication pour lutter contre les stéréotypes négatifs liés aux troubles mentaux, l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de sensibilisation pour inciter les professionnels de santé non spécialisés à détecter précocement les troubles mentaux et psychiques et l’extension de la couverture territoriale des centres dédiés aux enfants, aux jeunes et aux addictions, en collaboration avec les partenaires, tout en les dotant des ressources nécessaires.
  • Amélioration de l’offre de soins en santé mentale :
    • Assurer une répartition équitable des établissements de santé mentale, publics et privés, sur l’ensemble du territoire.
    • Mettre en place des mécanismes d’organisation au niveau national et régional pour garantir leur disponibilité dans toutes les régions.
    • Poursuivre l’intégration des services de santé mentale dans les hôpitaux publics et développer l’offre de soins au niveau des établissements ambulatoires.
  • Renforcement des ressources humaines : Accroître les effectifs dans les spécialités liées à la prise en charge des patients, tout en garantissant leur disponibilité pour offrir des soins globaux et adaptés.
  • Optimisation des ressources disponibles :
    • Établir un parcours de soins progressif pour la santé mentale, en définissant les champs de compétence de chaque niveau en fonction de la nature des maladies et de leur complexité.
    • Renforcer le rôle des centres de soins primaires dans le parcours de soins.
    • Développer des structures de soins intermédiaires pour la réhabilitation psychosociale des patients et leur réintégration sociale.
    • Élaborer et mettre en œuvre un programme de modernisation des infrastructures hospitalières et d’amélioration des conditions d’hébergement des patients.

Une urgence nationale

La santé mentale est une composante essentielle du bien-être des citoyens et de la stabilité sociale. En mettant en œuvre les recommandations de la Cour des comptes, le Maroc pourrait non seulement répondre à une urgence sanitaire, mais aussi poser les bases d’un système de santé plus inclusif et équitable. Pour cela, il est impératif que les pouvoirs publics fassent de cette question une priorité.
Lisez nos e-Papers
Nous utilisons des cookies pour nous assurer que vous bénéficiez de la meilleure expérience sur notre site. En continuant, vous acceptez notre utilisation des cookies.