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Santé mentale au Maroc : Il faut une stratégie claire, pas des initiatives dispersées (Abdelkrim Belhaj)

Dans l’émission « Hadith At-Toulataâ » du PCNS (The Policy Center for the New South), Abdelkrim Belhaj, directeur de l’École Supérieure de Psychologie, appelle à la mise en place d’une politique publique cohérente pour répondre aux enjeux de la santé mentale des jeunes au Maroc. Il alerte sur la fragmentation des initiatives, l’absence de coordination nationale et la persistance des tabous.

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Alors que près d’un Marocain sur deux a souffert ou souffrira de troubles psychiques au cours de sa vie, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental, la santé mentale reste largement sous-estimée dans les politiques publiques du Royaume. Abdelkrim Belhaj tire la sonnette d’alarme : « Nous manquons cruellement de vision. Il n’y a pas, à ce jour, de stratégie nationale structurée et opérationnelle en matière de santé mentale. »

Certes, des initiatives ont été lancées ici et là — dans des universités, certaines collectivités ou par des associations — mais elles demeurent isolées, ponctuelles et non coordonnées. Résultat : un système morcelé, où l’offre de soins et d’accompagnement psychologique varie selon les territoires, les institutions... et la bonne volonté des acteurs.

Une jeunesse exposée mais invisible

C’est pourtant chez les jeunes que la situation est la plus préoccupante. Confrontés aux tensions de la transition vers l’âge adulte, à la pression scolaire, au chômage, aux inégalités ou encore à la précarité émotionnelle, ils développent des formes de mal-être de plus en plus visibles... mais rarement prises en charge. « Il ne s’agit pas toujours de pathologies, mais de détresse psychologique. L’écoute, la prévention et l’accompagnement sont essentiels. Or, ces services sont encore rares, mal identifiés ou inaccessibles », explique Belhaj, en soulignant que les structures de santé mentale sont principalement concentrées dans les grandes villes, laissant les zones rurales sans alternatives crédibles.

Une profession brouillée par le flou réglementaire

Autre problème de fond : le manque de reconnaissance et de régulation des métiers de la santé mentale. La prolifération de coachs non qualifiés et de pseudo-thérapeutes crée une confusion délétère dans l’esprit du public. « Il faut différencier le psychologue clinicien formé et agréé de ceux qui s’improvisent dans des rôles d’écoute ou d’analyse sans formation scientifique ni encadrement légal », alerte Belhaj. Il dénonce aussi le manque de clarté sur les rôles respectifs des psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux ou encore enseignants-chercheurs, qui conduit à des chevauchements de compétences et parfois à des dérives.

Une politique de santé mentale encore absente

Pour Abdelkrim Belhaj, il est temps d’arrêter les approches fragmentées. Il appelle à l’élaboration d’une véritable stratégie nationale de santé mentale, adossée à une politique publique cohérente, concertée et inclusive. « Le Maroc dispose de compétences solides, de formations de qualité, de jeunes engagés. Ce qui manque, c’est une vision globale, une organisation institutionnelle et des moyens coordonnés », insiste-t-il. Il cite en exemple certaines expériences pilotes — centres de santé pour jeunes, cellules d’écoute universitaires, interventions post-crise lors du séisme d’Al Haouz ou de la pandémie de Covid-19 — qui ont montré leur efficacité, mais n’ont pas été pérennisées faute de structuration.

Les médias et l’école, leviers oubliés

Par ailleurs, Abdelkrim Belhaj appelle à une responsabilisation des médias, trop souvent enclins à banaliser ou à mal traiter les sujets de santé mentale. « Lorsqu’on invite des non-professionnels à parler de dépression ou de troubles anxieux à la télévision, on entretient la désinformation », regrette-t-il, plaidant pour une collaboration active avec des spécialistes qualifiés.

De même, il insiste sur l’importance d’intégrer la santé mentale dans les politiques éducatives dès le secondaire, en promouvant la formation à la gestion des émotions, l’écoute active et le bien-être psychologique comme compétences de base.

Pour conclure, Abdelkrim Belhaj appelle à un sursaut collectif. « Tant que la santé mentale restera un sujet marginal, traité par des actions ponctuelles sans cadre stratégique, nous ne pourrons répondre ni aux souffrances individuelles ni aux besoins collectifs. Il est temps d’agir de manière structurée. » Dans un pays confronté à de profondes mutations sociales et démographiques, la santé mentale des jeunes ne peut plus être laissée dans l’angle mort des politiques publiques. La construction d’une société résiliente passe aussi, et peut-être surtout, par le soin porté à l’équilibre psychologique de sa jeunesse.
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