La dynamique démographique elle-même reflète une transition marquée : l’indice synthétique de fécondité est passé de 2,5 enfants par femme en 2004 à 1,97 en 2024. Une baisse particulièrement nette dans les zones urbaines (1,77), contre 2,37 dans le rural. Si cette évolution pourrait soulager la pression sur les infrastructures publiques à long terme, elle n’efface pas les inégalités sociales qui conditionnent encore aujourd’hui le destin de millions d’enfants.
Côté santé, les indicateurs révèlent des progrès notables, mais loin d’être uniformes. Entre 2011 et 2018, la mortalité des enfants de moins de 5 ans a reculé de 30,5 à 22,2 décès pour 1.000 naissances vivantes. Cependant, un enfant né en milieu rural ou issu des 20 % de ménages les plus pauvres reste deux fois plus exposé à la mortalité infantile qu’un enfant urbain et riche. Les soins postnatals ne touchent que 21,35 % des mères, et les soins prénatals précoces ne concernent que la moitié des femmes rurales. En matière de nutrition, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 15,1 % des enfants souffrent de retard de croissance, et l’allaitement exclusif reste minoritaire (35 %).
Sur le plan de l’accès à l’eau et à l’assainissement, les contrastes territoriaux demeurent criants. Si 96 % des ménages bénéficient d’un assainissement amélioré, seuls 54,6 % des foyers ruraux sont raccordés au réseau d’eau potable, contre 97,1 % en milieu urbain. Cette inégalité structurelle affecte directement la santé des enfants et leur environnement immédiat.
L’école constitue une autre façade de cette jeunesse à double vitesse. Les taux de scolarisation au primaire dépassent les 110 %, reflet d’une politique volontariste. Pourtant, au niveau secondaire, les déséquilibres refont surface : seulement 49 % des enfants accèdent au lycée, et moins de 25 % en zone rurale. Par ailleurs, le Maroc figure à la 56e place sur 58 pays dans les évaluations internationales TIMSS de 2023, malgré une légère amélioration des scores au niveau primaire (+9 points en mathématiques). Le taux d’abandon reste préoccupant, notamment au collège (8,5 %).
Les failles dans la protection des enfants sont également mises à nu par les chiffres officiels. En 2023, 32.940 mineurs ont été en conflit avec la loi, et plus de 101.000 enfants âgés de 7 à 17 ans étaient économiquement actifs, en baisse notable par rapport à 2018, mais toujours trop élevée. Le phénomène des mariages d’enfants reste légalement possible : 15.319 demandes ont été déposées en 2023, dont plus de la moitié acceptées. Quant aux violences faites aux enfants, les cas jugés sont passés de 5.306 en 2020 à 9.357 en 2023, soit une augmentation de 76 % en quatre ans.
Sur le plan économique, les enfants restent les premières victimes des inégalités sociales. En 2022, 4,7 % vivaient dans une situation de pauvreté monétaire, mais ce taux atteignait 9,4 % en zone rurale. Plus grave encore, 35,92 % des enfants souffraient de pauvreté multidimensionnelle, c’est-à-dire privés de deux droits fondamentaux ou plus, selon l’indice MODA. Dans les campagnes, ce taux dépasse 54 %. L’écart avec les centres urbains, où il est limité à 17,1 %, illustre la fracture territoriale persistante.
Et pourtant, alors que les besoins sont immenses, les ressources publiques destinées à la jeunesse tendent à se contracter. Le budget alloué à l’éducation est passé de 21,7 % en 2021 à 17,5 % en 2023. La santé bénéficie d’un léger regain (7,1 % du budget), et la protection sociale progresse timidement (15 %). Mais ces efforts ne suffisent pas à renverser les tendances lourdes. Le taux de jeunes NEET (ni en emploi, ni en formation, ni à l’école) reste élevé à 25,2 %, atteignant même 37,3 % chez les jeunes femmes. C’est près d’un demi-million de jeunes Marocains en rupture de parcours.
Enfin, la protection sociale des enfants progresse, avec plus de 8,9 millions de mineurs couverts par un régime contributif (allocations familiales) ou d’assistance directe. Une avancée significative, mais encore insuffisamment universelle ou uniforme dans son application.
Ce tableau complet dresse le constat d’une jeunesse nombreuse, précieuse, mais encore largement exposée aux vulnérabilités. La baisse de la natalité ne résoudra pas mécaniquement les inégalités. Le Maroc est à un tournant : renforcer la qualité de l’investissement dans l’enfance, c’est parier sur l’équité, la stabilité sociale, et la compétitivité de demain.
