Dr Karim Moustaghfir
• Professeur et coordinateur du Programme de développement des RH
• Coordinateur de «The Mediterranean School of e-Business Management»
Al Akhawayn University à Ifrane
Le Matin Emploi : Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste le «Downsizing» et revenir sur son historique ?
Karim Moustaghfir : Le «Downsizing» ou le «Rightsizing» sont des pratiques de management ayant pour objectif de permettre à l’entreprise de disposer uniquement des ressources humaines nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de ses opérations et de ses activités futures. Ces pratiques ont vu le jour avec le management scientifique des organisations et même avant, et se sont intensifiées en raison de l’industrialisation. Il s’agit en effet de réduire les effectifs (Downsizing) ou de déterminer le niveau juste des effectifs (Rightsizing) et ainsi décider d’un plan social ou autres modalités du Downsizing pour gérer le surplus, sur la base d’une analyse approfondie des besoins en ressources humaines aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif. Lorsqu’on parle de besoins, cela renvoie au fait qu’il doit y avoir une relation étroite entre la stratégie de l’entreprise et le plan social. Même le législateur a donné le droit à tout employeur de procéder à une démarche de Downsizing pour des raisons économiques, lorsque l’entreprise fait face à une situation de crise ou en cas de récession, mais aussi pour des raisons structurelles si l’entreprise souhaite améliorer sa productivité, sa performance et sa compétitivité en général à travers l’adoption de structures plus souples, et l’introduction des technologies pour une coordination efficiente et plus flexible. Par technologies, en entend tout instrument, toute méthode, ou tout outil qui permettrait à l’entreprise d’accroître sa productivité. Cela peut faire référence, par exemple, aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, aux systèmes de production flexible, ou bien des méthodes de gestion de la qualité et d’amélioration de la performance.
En quoi se différencie la notion Downsizing des autres méthodes, tels que l’essaimage et l’outplacement ?
Il s’agit de deux méthodes d’accompagnement utilisées par les entreprises pour la mise en place du Downsizing. En effet, l’essaimage est une activité pour aider des salariés à créer leur propre entreprise alors que l’Outplacement comprend un ensemble de services pour soutenir les employés qui vont quitter l’entreprise à cause du Downsizing, à trouver un nouvel emploi, à développer de nouvelles compétences pour augmenter leur chance d’être embauchés par une autre entreprise, ou bien pour les soutenir financièrement avant l’apparition de nouvelles opportunités de travail. A titre d’exemple, une bonne partie des entreprises aux USA et en Europe assurent aux employés sur le plan de départ le paiement d’une partie de leur salaire jusqu’à ce qu’ils trouvent un nouvel emploi, d’autres continuent à couvrir les frais liés aux avantages sociaux obligatoires en cas de maladie par exemple jusqu’à l’âge de la retraite surtout pour les salariés âgés.
Existe-t-il une typologie spécifique à ce concept de restructuration ? Quels sont les acteurs impliqués et quels outils peut-on utiliser ?
Généralement trois modalités de Downsizing sont envisageables. L’entreprise peut procéder au gel du recrutement externe sur une période donnée et en cas de départ volontaire ou à la retraite, la personne n’est remplacée qu’à travers un recrutement interne si nécessaire. L’entreprise peut aussi inciter des salariés à opter pour une retraite anticipée ou un départ volontaire. Dans le troisième cas, l’entreprise peut procéder à un plan social et à un départ collectif. Cette troisième option, est bien évidemment la plus critique vu son impact sur la culture de l’entreprise à long terme. La restructuration se fait en fonction des besoins économiques ou structurels de l’entreprise. Le développement et la mise en place d’un plan social doit impliquer tous les employés et les partenaires sociaux de l’entreprise. Une approche participative et une communication efficace et transparente restent des facteurs déterminants pour la réussite du Downsizing. S’ajoutent à cela les services Outplacement et l’accompagnement des « survivants » au Downsizing. D’un point de vue technique, le Downsizing doit faire partie de la stratégie globale des ressources humaines et doit être l’un des résultats de la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC). L’une des recommandations que l’on adresse aux entreprises est de ne jamais réduire à néant le budget de la formation pendant le Downsizing et de continuer à célébrer la réussite pour « nourrir » le climat social. D’autres facteurs clefs de succès sont strictement liés aux capacités managériales et à l’intelligence émotionnelle du DRH.
Comment réussir à détecter la nécessité d’un Downsizing ? Quels sont le processus et les facteurs clés de succès pour sa mise en place ?
L’entreprise doit tout d’abord avoir une stratégie en fonction de sa vision et des conditions internes et externes et ainsi déterminer clairement ses objectifs stratégiques et opérationnels, mais également l’ensemble des tactiques et des activités à mettre en place pour les atteindre. Une analyse des processus est nécessaire pour identifier la carte des emplois futurs. En effet, l’entreprise doit identifier les emplois à maintenir, les emplois à créer, les emplois à modifier en fonction des tâches ou des compétences requises et les emplois à éliminer. En fonction de cette nouvelle organisation du travail l’entreprise procède à l’identification des compétences techniques et transversales en interne pour pouvoir satisfaire les besoins des différents emplois. Cet inventaire des compétences se fait sur la base d’un ensemble de critères, à savoir la performance, le potentiel, les qualifications, l’âge, le salaire, le type de contrat etc. Pour déterminer les différentes actions à entreprendre dans le cadre de sa stratégie RH, l’entreprise doit déterminer si elle dispose de compétences nécessaires pour satisfaire ses besoins futurs, les compétences à développer, et les compétences qui ne seront plus nécessaires. En répondant à ces questions l’entreprise identifiera les actions possibles en termes de formation, de redéploiement et reconversion. Si l’entreprise identifie un surplus quantitatif et qualitatif important ceci conduira à un plan social en concertation avec les partenaires sociaux. Ceci dit, le plan social doit rester le dernier recours vu les difficultés de gestion et d’organisation qu’il exige sans parler des répercussions sur le climat social et sur la culture de l’entreprise en général.
Comment peut-on mesurer l’efficacité de cette pratique à différents niveaux de l’organisation ?
Le Downsizing ne doit jamais être une réponse automatique à chaque difficulté économique, il faut tout d’abord chercher d’autres solutions créatives connaissant l’ampleur de cette opération et son impact à long terme sur le turnover, la capacité de l’entreprise à retenir ses talents et l’attractivité de l’entreprise. Le Downsizing risque d’anéantir tous les efforts de l’entreprise en matière de Marketing RH. Le Downsizing et la réduction des coûts ne sont pas des stratégies. Il s’agit seulement d’un moyen pour arriver à un résultat préfixé. Il faut déterminer avant tout le résultat souhaité sans perdre de vue la possibilité de déployer d’autres moyens moins pénibles et plus efficaces. Beaucoup d’entreprise pensent malheureusement à court terme, elles réalisent des réductions substantielles de leurs coûts mais au détriment de leur capacité de croissance. Et ceci sans prendre en considération la perte en termes de savoirs et de connaissances. Lorsque l’entreprise décide de se libérer d’une partie de ses employés, il faudrait qu’elle calcule le coût lié à la formation et au développement que ces derniers ont reçu ainsi que les pertes d’expertise. Des systèmes de gestion des connaissances peuvent réduire l’impact de cette séparation tout en capitalisant sur les connaissances explicites des employés avant qu’ils ne quittent l’entreprise.
Vous savez que le mot crise en chinois s’écrit en deux signes, un signifie menace et l’autre opportunité. Des entreprises ont la capacité de tourner la crise en opportunités. Par exemple, quelques entreprises au moment de crise continuent à recruter les hauts potentiels, offrir des programmes de formation à leurs talents, et revoir la rémunération des employés les plus performants.
Quelles pourraient être les éventuelles conséquences pour l’ensemble des parties prenantes dans le cas d’un Downsizing mal conduit ?
Déjà le Downsizing même avec une approche bien pensée, a des effets négatifs sur le long terme, ne serait-ce que pour une question d’image et de réputation de l’entreprise. Un Downsizing mal conduit aura sûrement des conséquences désastreuses. Imaginez un environnement où règne la tension, où un rapport de méfiance s’instaure entre les employés, les syndicats, le DRH et le DG, où les rumeurs deviennent le maître mot au lieu de la performance, la collaboration, l’engagement et l’implication, où l’on ignore les orientations futures de l’entreprise et où pour une bonne partie des employés la survie devient le principal souci au quotidien.
Comme tout changement organisationnel, le Downsizing nécessite un accompagnement. En termes de communication, quelles sont les bonnes pratiques et quels sont les pièges à éviter ?
Le facteur clef pour la réussite de tout changement organisationnel, en l’occurrence le Downsizing, se traduit en trois mots : communiquer, communiquer et communiquer. Ceci est pour dire que l’efficacité de la communication en temps de crise est primordiale. Il faut s’assurer qu’une approche ascendante, est adoptée pour favoriser un management participatif et donner aux employés - à tous les niveaux - la possibilité d’exprimer leurs idées en ce qui concerne la meilleure manière de mettre en place le Downsizing. La concertation, la consultation, l’approche participative basée sur l’expression claire de la vision de l’entreprise mais également sur la décision par rapport à la tactique et les actions nécessaires pour concrétiser cette vision, restent l’œuvre de la Direction conjointement avec les employés. Ceci donnera plus de légitimité aux décisions prises et augmentera ainsi les chances d’acceptation de la décision, ce qui réduit les incertitudes et la résistance au changement. Le DRH doit aussi avoir la capacité de détecter les zones de pouvoir à l’intérieur de l’entreprise, de les fidéliser et de les convaincre de la nécessité du changement, tout en les impliquant dans le processus décisionnel. Le pouvoir est différent de l’autorité et les zones de pouvoir sont difficiles à identifier. Alors que l’autorité est bien précisée au niveau des responsabilités et des fiches de postes, le pouvoir pourrait avoir d’autres sources telles que la culture, les valeurs, les connaissances etc. Là où on laisse le vide, on donnera l’occasion aux rumeurs destructives de se propager. Une autre recommandation aux entreprises est de garder toujours une communication systématique, ponctuelle et transparente et de personnaliser les moyens et les modes de communication selon les catégories des employés, leurs intérêts, leurs besoins, et leurs attitudes. La psychologie et la compréhension du comportement humain sont aussi d’une très grande utilité.
