La confrontation sino-américaine, structurée et méthodique, s’est cristallisée en 2018, lorsque les États-Unis ont mis fin à l’illusion d’un rapprochement automatique de la Chine avec l’ordre libéral mondial. La vision dominante à Washington jusque-là supposait que l’ouverture économique finirait par entraîner une convergence politique. Or, en deux décennies, la Chine a démontré qu’elle pouvait conjuguer intégration globale et centralisation du pouvoir, performance industrielle et contrôle social, croissance technologique et modèle autoritaire. Dès lors, le basculement fut inévitable.
L’administration Trump, première à formaliser cette inflexion stratégique, a réagi en imposant des droits de douane massifs, notamment sur l’acier, l’aluminium, les produits technologiques et agricoles. Ce protectionnisme assumé marquait la volonté américaine de freiner une montée en puissance perçue comme asymétrique. L’arrivée de Joe Biden n’a pas inversé cette dynamique. Et en 2025, avec le retour de Trump à la Maison Blanche, le bras de fer s’intensifie. Certaines surtaxes atteignent 145%, une mesure inédite depuis des décennies, avant d’être revue à la baisse. Pékin, fidèle à sa doctrine du temps long, répond sans s’emporter, avec une symétrie tarifaire, mais aussi une reconfiguration plus profonde de ses priorités économiques.
Là où les États-Unis adoptent une stratégie de front, la Chine privilégie les diagonales. Inspirée par les logiques subtiles de Sun Tzu, elle évite l’affrontement direct et choisit ses moments. Sa stratégie de «double circulation», renforcer la demande intérieure tout en maintenant une ouverture sélective à l’extérieur, lui permet d’amortir les chocs exogènes tout en consolidant ses capacités internes. Cela se traduit notamment par un effort accéléré d’autonomisation dans les secteurs les plus sensibles : semi-conducteurs, intelligence artificielle, cybersécurité et aéronautique.
L’illustration la plus frappante de cette approche se trouve dans l’épisode Huawei. Alors que l’entreprise faisait l’objet de sanctions sévères, la découverte en 2025 de nouvelles puces avancées conçues discrètement en Chine a surpris les observateurs. Washington avait misé sur une rupture technologique brutale, alors que Pékin préparait, en silence, son contre-coup. Ce dévoilement maîtrisé illustre une stratégie chinoise qui privilégie la surprise par la préparation, l’évitement du bruit au profit de l’efficacité, la patience comme levier d’action.
Sur d’autres fronts, la confrontation prend des formes tout aussi stratégiques. Dans le domaine aéronautique, la Chine suspend ses commandes de Boeing, privant l’avionneur américain d’un marché-clé tout en intensifiant le développement de ses propres appareils, même si ces derniers restent, pour l’heure, partiellement dépendants des technologies américaines. Sur le plan agricole, Pékin maintient les importations de porc et de volaille, essentielles pour sa sécurité alimentaire, mais laisse planer l’incertitude sur le bœuf. Cette flexibilité d’apparence commerciale est en réalité une arme d’ajustement diplomatique.
En parallèle, la Chine avance ses pions sur d’autres échiquiers. Les BRICS, revitalisés, deviennent l’un des vecteurs d’un nouvel ordre économique qui remet en question l’unicité du leadership occidental. Parallèlement, le soutien à des initiatives de paiement alternatifs, incluant des projets adossés à la blockchain, esquisse un monde où le dollar ne serait plus l’unique vecteur de puissance monétaire. Cette dynamique ne marginalise pas les cryptomonnaies, bien au contraire. Elle les intègre dans une réflexion plus vaste sur l’indépendance transactionnelle, la traçabilité et la souveraineté numérique.
L’annonce, en avril 2025, de DeepSeek, un moteur d’intelligence artificielle chinois concurrent direct de ChatGPT, s’inscrit dans cette volonté de repositionnement. Non seulement la Chine démontre sa capacité à innover, mais elle choisit précisément son moment en pleine intensification des sanctions technologiques américaines et au lendemain de l’annonce d’un giga projet IA qui devait assoir une suprématie mondiale. Là encore, le timing est un message.
Face à cette Chine stratège, les États-Unis oscillent entre lucidité stratégique et précipitation défensive. Leur force reste considérable : puissance militaire et monétaire, influence culturelle, écosystème d’innovation, attractivité universitaire, etc. Mais ces atouts, pour s’exprimer pleinement, nécessitent une cohérence d’ensemble. Le premier défi est celui des alliances. En choisissant d’imposer des taxes à ses propres partenaires, notamment européens, japonais ou canadiens, Washington a, parfois sans le vouloir, érodé la confiance patiemment construite depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans un monde de plus en plus polarisé, négliger ses alliés traditionnels revient à affaiblir son propre levier d’influence.
Le second défi est démographique et intellectuel. L’Amérique a longtemps prospéré grâce à sa capacité d’attraction : des talents venus du monde entier y ont trouvé un terreau fertile pour inventer, entreprendre, révolutionner. Réduire cette ouverture, au nom de considérations sécuritaires ou politiques, c’est risquer de tarir la source même de son avantage comparatif. Dans cette configuration, l’enjeu pour les États-Unis n’est pas tant de ralentir la Chine que de se réinventer dans un monde où la compétition se joue aussi dans l’interconnexion. La suprématie ne s’assure plus seulement par le PIB ou la technologie, mais aussi par la capacité à fédérer, à inspirer, à incarner une vision.
Trois trajectoires s’ouvrent à l’horizon. La première est celle d’un découplage total, où les blocs s’érigent, les normes se fragmentent et les coûts de transaction explosent. La seconde est celle d’une «coopétition» structurée, où les tensions sont reconnues, mais canalisées dans des cadres multilatéraux rénovés. La troisième, plus probable à court terme, est celle d’une multipolarité désordonnée, où les alliances fluctuent selon les dossiers, et où chaque nation devient son propre pôle d’équilibre. Dans ce paysage mouvant, les États-Unis comme la Chine jouent une partie serrée. Mais si l’un cherche à conserver et l’autre à conquérir, tous deux savent qu’un faux pas pourrait précipiter des conséquences majeures. Ce n’est pas seulement une guerre économique. C’est une épreuve de lucidité, de cohérence et d’endurance.
Dans «L’Art de la guerre», Sun Tzu écrivait : «L’intelligence consiste à prendre l’ennemi là où il n’est pas préparé.» À l’heure où les équilibres géopolitiques se recomposent, cette sagesse ancienne invite les grandes puissances non seulement à anticiper les mouvements de leurs rivaux, mais aussi à cultiver une vision claire et cohérente de leurs propres objectifs. Car dans un monde où l’avantage peut basculer à tout moment, la constance stratégique devient un atout aussi précieux que la surprise.
L’administration Trump, première à formaliser cette inflexion stratégique, a réagi en imposant des droits de douane massifs, notamment sur l’acier, l’aluminium, les produits technologiques et agricoles. Ce protectionnisme assumé marquait la volonté américaine de freiner une montée en puissance perçue comme asymétrique. L’arrivée de Joe Biden n’a pas inversé cette dynamique. Et en 2025, avec le retour de Trump à la Maison Blanche, le bras de fer s’intensifie. Certaines surtaxes atteignent 145%, une mesure inédite depuis des décennies, avant d’être revue à la baisse. Pékin, fidèle à sa doctrine du temps long, répond sans s’emporter, avec une symétrie tarifaire, mais aussi une reconfiguration plus profonde de ses priorités économiques.
Là où les États-Unis adoptent une stratégie de front, la Chine privilégie les diagonales. Inspirée par les logiques subtiles de Sun Tzu, elle évite l’affrontement direct et choisit ses moments. Sa stratégie de «double circulation», renforcer la demande intérieure tout en maintenant une ouverture sélective à l’extérieur, lui permet d’amortir les chocs exogènes tout en consolidant ses capacités internes. Cela se traduit notamment par un effort accéléré d’autonomisation dans les secteurs les plus sensibles : semi-conducteurs, intelligence artificielle, cybersécurité et aéronautique.
L’illustration la plus frappante de cette approche se trouve dans l’épisode Huawei. Alors que l’entreprise faisait l’objet de sanctions sévères, la découverte en 2025 de nouvelles puces avancées conçues discrètement en Chine a surpris les observateurs. Washington avait misé sur une rupture technologique brutale, alors que Pékin préparait, en silence, son contre-coup. Ce dévoilement maîtrisé illustre une stratégie chinoise qui privilégie la surprise par la préparation, l’évitement du bruit au profit de l’efficacité, la patience comme levier d’action.
Sur d’autres fronts, la confrontation prend des formes tout aussi stratégiques. Dans le domaine aéronautique, la Chine suspend ses commandes de Boeing, privant l’avionneur américain d’un marché-clé tout en intensifiant le développement de ses propres appareils, même si ces derniers restent, pour l’heure, partiellement dépendants des technologies américaines. Sur le plan agricole, Pékin maintient les importations de porc et de volaille, essentielles pour sa sécurité alimentaire, mais laisse planer l’incertitude sur le bœuf. Cette flexibilité d’apparence commerciale est en réalité une arme d’ajustement diplomatique.
En parallèle, la Chine avance ses pions sur d’autres échiquiers. Les BRICS, revitalisés, deviennent l’un des vecteurs d’un nouvel ordre économique qui remet en question l’unicité du leadership occidental. Parallèlement, le soutien à des initiatives de paiement alternatifs, incluant des projets adossés à la blockchain, esquisse un monde où le dollar ne serait plus l’unique vecteur de puissance monétaire. Cette dynamique ne marginalise pas les cryptomonnaies, bien au contraire. Elle les intègre dans une réflexion plus vaste sur l’indépendance transactionnelle, la traçabilité et la souveraineté numérique.
L’annonce, en avril 2025, de DeepSeek, un moteur d’intelligence artificielle chinois concurrent direct de ChatGPT, s’inscrit dans cette volonté de repositionnement. Non seulement la Chine démontre sa capacité à innover, mais elle choisit précisément son moment en pleine intensification des sanctions technologiques américaines et au lendemain de l’annonce d’un giga projet IA qui devait assoir une suprématie mondiale. Là encore, le timing est un message.
Face à cette Chine stratège, les États-Unis oscillent entre lucidité stratégique et précipitation défensive. Leur force reste considérable : puissance militaire et monétaire, influence culturelle, écosystème d’innovation, attractivité universitaire, etc. Mais ces atouts, pour s’exprimer pleinement, nécessitent une cohérence d’ensemble. Le premier défi est celui des alliances. En choisissant d’imposer des taxes à ses propres partenaires, notamment européens, japonais ou canadiens, Washington a, parfois sans le vouloir, érodé la confiance patiemment construite depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans un monde de plus en plus polarisé, négliger ses alliés traditionnels revient à affaiblir son propre levier d’influence.
Le second défi est démographique et intellectuel. L’Amérique a longtemps prospéré grâce à sa capacité d’attraction : des talents venus du monde entier y ont trouvé un terreau fertile pour inventer, entreprendre, révolutionner. Réduire cette ouverture, au nom de considérations sécuritaires ou politiques, c’est risquer de tarir la source même de son avantage comparatif. Dans cette configuration, l’enjeu pour les États-Unis n’est pas tant de ralentir la Chine que de se réinventer dans un monde où la compétition se joue aussi dans l’interconnexion. La suprématie ne s’assure plus seulement par le PIB ou la technologie, mais aussi par la capacité à fédérer, à inspirer, à incarner une vision.
Trois trajectoires s’ouvrent à l’horizon. La première est celle d’un découplage total, où les blocs s’érigent, les normes se fragmentent et les coûts de transaction explosent. La seconde est celle d’une «coopétition» structurée, où les tensions sont reconnues, mais canalisées dans des cadres multilatéraux rénovés. La troisième, plus probable à court terme, est celle d’une multipolarité désordonnée, où les alliances fluctuent selon les dossiers, et où chaque nation devient son propre pôle d’équilibre. Dans ce paysage mouvant, les États-Unis comme la Chine jouent une partie serrée. Mais si l’un cherche à conserver et l’autre à conquérir, tous deux savent qu’un faux pas pourrait précipiter des conséquences majeures. Ce n’est pas seulement une guerre économique. C’est une épreuve de lucidité, de cohérence et d’endurance.
Dans «L’Art de la guerre», Sun Tzu écrivait : «L’intelligence consiste à prendre l’ennemi là où il n’est pas préparé.» À l’heure où les équilibres géopolitiques se recomposent, cette sagesse ancienne invite les grandes puissances non seulement à anticiper les mouvements de leurs rivaux, mais aussi à cultiver une vision claire et cohérente de leurs propres objectifs. Car dans un monde où l’avantage peut basculer à tout moment, la constance stratégique devient un atout aussi précieux que la surprise.