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La course aux semi-conducteurs ou la géopolitique de la high-tech (Tribune)

Il est quelque part légitime de se poser la question, à savoir comment une petite puce, intégrée entre autres dans un smartphone ou un téléviseur, peut-elle faire l’objet d’enjeux géopolitiques entre les grandes nations de ce monde?

Yassine Gamal, membre de l’Institut marocain des relations internationales.
Yassine Gamal, membre de l’Institut marocain des relations internationales.

Par Yassine Gamal, membre de l’Institut marocain des relations internationales

La complexité de l’analyse géopolitique réside dans la multiplicité des domaines qui la constituent et de leur interaction. Qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire, des risques pandémiques, de la menace terroriste ou des crises énergétiques, le constat reste le même : la multiplicité des données et la dynamique chronologique dans laquelle ils s’inscrivent compliquent l’aboutissement à des scénarios fiables, et rendent difficiles la lecture précise des pratiques diplomatiques des puissances mondiales, l’anticipation de leurs actions-réactions, et enfin la compréhension des retombées de ces manœuvres.



Les médias portent une attention évidente aux problématiques proprement politiques, militaires ou économiques, et s’intéressent peu ou prou aux enjeux technologiques. Or il est incontestable que les grandes nations de ce monde accordent depuis toujours une importance particulière au champ technologique, objet d’une lutte exacerbée entre elles, au travers d’une course à l’innovation autant discrète qu’acharnée, qui mobilise des moyens et des ressources considérables. L’un des éléments qui donnent à cette dimension technologique toute son ampleur géopolitique et stratégique, est celui des semi-conducteurs, ces petites composantes indispensables à toute industrie moderne, de surcroît à forte valeur ajoutée.

Il est quelque part légitime de se poser la question, à savoir comment une petite puce, intégrée entre autres dans un smartphone ou un téléviseur, peut-elle faire l’objet d’enjeux géopolitiques entre les grandes nations de ce monde? Comment cette petite «chose» peut-elle transformer les rapports de force entre pays, consolidant la puissance des uns et limitant la marge de manœuvre des autres ? Comment une industrie de dimension high-tech peut-elle avoir un impact géopolitique aussi conséquent ? Voici donc quelques interrogations auxquelles le présent document tentera de répondre.

Qu’est-ce qu’un semi-conducteur ?

Base incontournable de toute industrie microélectronique, les semi-conducteurs, qu’on appelle également micro puces, sont soit analogiques, soit numériques. Ce sont ces petites composantes qui permettent à un assemblage électronique de fonctionner convenablement, on parle ici et à titre d’exemple des nouveaux téléviseurs, smartphones, véhicules et réfrigérateurs dernière génération. Elles sont ainsi présentes dans le quotidien de millions de ménages à travers le monde. Mais les semi-conducteurs sont aussi une composante majeure des systèmes de défense militaire, des solutions satellitaires, des dispositifs aérospatiaux et des réseaux de télécommunication. On comprend dès lors qu’il s’agit d’un sujet d’une importance vitale, à fort enjeu stratégique.

En 2021, les industries de téléphones portables et d’ordinateurs ont consommé, à elles seules, près de 400 milliards de dollars de semi-conducteurs, pratiquement 2/3 du marché mondial. À l’horizon 2030, on estime la consommation des deux secteurs à près de 650 milliards de dollars, avec une hausse globale en volume et en valeur du marché des semi-conducteurs, qui devrait atteindre les 60%, une croissance sans pareil dans les économies modernes.

Cependant, cette perspective remarquable du marché des semi-conducteurs ne doit pas omettre le coût excessivement élevé qui se cache derrière la production d’une puce électronique. Il convient de porter une attention particulière à la chaîne de valeur pour comprendre l’ampleur des investissements nécessaires.

Les efforts en matière de recherche et de développement (R&D) ont permis de réduire davantage la taille des puces tout en en multipliant la puissance et l’efficacité, ce qui a conduit à une hausse des coûts de design. On imagine aisément un coût de revient originel déjà très élevé, abouté à ceux engendrés par la fabrication et l’assemblage, et l’on peut conclure de ce fait qu’une seule usine de fabrication implique un investissement en CAPEX et des engagements en OPEX vertigineux, raison pour laquelle de nombreuses firmes ont choisi de se spécialiser dans une fraction de la chaîne de valeur. Là où certaines ont fait le choix de s’orienter vers les travaux de recherche et de développement, d’autres se sont orientées vers la production ou la commercialisation. Plus rares sont celles qui ont opté pour une approche intégrée, à l’instar de la coréenne Samsung ou de l’américaine Inside.

Une chaîne de valeur «géopolitique»

Les États-Unis sont en tête de cette course technologique, et leurs firmes s’imposent autant en amont en termes de R&D, qu’en aval en matière de commercialisation. En 2020, elles ont généré plus de 45% des parts de marché et près de 40% de la valeur ajoutée produite par le secteur. En outre, les américains absorbent le quart de la production mondiale pour leurs besoins industriels.

Par ailleurs, ces derniers sont de moins en moins producteurs sur leur territoire, préférant redéployer leurs moyens en Asie de l’Est, et plus précisément à Taïwan où de nombreuses firmes américaines, telles que Apple, préfèrent confier la partie manufacturière à celle que l’on considère aujourd’hui comme la principale fonderie du monde : Taiwan Semiconductor Manufacturing Company, qui à elle seule pèse plus de 50% du marché mondial de la fonderie de semi-conducteurs.

Quid de la Chine qui se positionne aujourd’hui comme premier «atelier industriel» du monde ? Si l’interdépendance de la chaîne de valeur a permis à la Chine de rattraper son retard dans une industrie aussi stratégique que celle des semi-conducteurs, il n’en reste pas moins que l’écart avec les États-Unis est bien perceptible.
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